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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 88, juin-juillet-août 2013 > PSA Aulnay

PSA Aulnay

Discussion sur le bilan de deux ans de mobilisation dont quatre mois de grève à PSA Aulnay

Mis en ligne le 17 juin 2013 Convergences Entreprises

La longue lutte initiée par les salariés d’Aulnay contre la famille Peugeot, leurs quatre mois de grève et le rôle essentiel joué dans la façon de mener cette lutte par les militants révolutionnaires implantés dans cette usine – en l’occurrence essentiellement ceux de Lutte ouvrière – ont suscité bon nombre de discussions chez les militants d’extrême gauche. Et c’est normal. L’heure est à un premier bilan, toutefois provisoire (car rien n’est terminé, voir nos autres articles). Lutte ouvrière, pour sa part, a publié fin mai une brochure indispensable détaillant les différentes étapes et épisodes de cette lutte (« La lutte des travailleurs de PSA contre la fermeture de l’usine d’Aulnay »).

Pour ce qui est des « critiques », notons toutefois qu’il vaut mieux faire preuve de prudence dans les appréciations d’une telle lutte vue de l’extérieur, même quand on a participé activement à des actions de solidarité. En ce qui concerne la Fraction l’Étincelle, un de nos camarades faisait partie du Comité de grève et a défendu une certaine orientation et attitude vers les autres entreprises en butte aux licenciements. Cette orientation, pour l’heure, est restée toutefois minoritaire parmi les grévistes, malgré quelques concrétisations ponctuelles.

Nous essaierons de revenir ici d’une part sur des critiques que nous ne partageons absolument pas, d’autre part sur nos propres réponses à certains arguments que les camarades de Lutte ouvrière nous ont opposés.


  • Aurait-il fallu déclencher la grève plus tôt ? Par exemple en juillet 2012, lors de l’annonce par PSA des 8 000 suppressions d’emploi, en s’appuyant sur un coup de colère des salariés ?

C’est le sentiment de certains camarades du NPA ayant participé, en soutien extérieur, au rassemblement du 12 juillet 2012 devant l’usine suite à l’annonce par PSA de la fermeture. Le problème, c’est qu’un « coup de colère », cela ne se suscite pas par la simple propagande. C’est oublier également, comme les camarades de LO le détaillent dans leur brochure, le scepticisme des ouvriers devant la révélation du « plan secret » par la CGT, un scepticisme qui avait perduré toute l’année écoulée. Quant à l’annonce de la direction, elle a certes représenté un traumatisme, mais pas le coup de colère espéré par les militants.

Aurait-il été vraiment opportun de déclencher une grève dont on savait sciemment qu’elle aurait été minoritaire quinze jours avant la fermeture de l’usine lors des vacances d’été ? « Il faut savoir démarrer une grève… », objectent ces camarades. Dans n’importe quelles conditions ? À noter d’ailleurs que le secrétaire du syndicat Sud a alors appelé à faire grève, sans un seul écho positif parmi les 250 ouvriers présents sur le parking. Les militants de l’usine ont alors choisi de poursuivre tout le travail de préparation auprès des autres ouvriers du site, un travail engagé depuis une année, et d’en appeler à l’élection d’un Comité de préparation de la lutte , tout en donnant rendez-vous à la rentrée de septembre. À notre avis, ils ont eu parfaitement raison. Rappelons également que le déclenchement de la grève six mois plus tard, en janvier 2013, ne fut pas le résultat « d’un coup de colère » mais de la décision consciente d’une minorité (de 200 à 300 néanmoins !) d’ouvriers déterminés, déjà organisés et rodés à bien des actions depuis l’automne précédent.

  • Les revendications. Il fallait s’en tenir au « retrait du PSE », objectent quelques autres camarades du NPA (ayant par ailleurs organisé de multiples collectes de soutien dans leurs facs) et d’autres groupes d’extrême gauche. Le fait d’énumérer des « revendications spécifiques » (indemnités, garanties de reclassements, retraites…) n’était-il pas un renoncement, voire une compromission ? Mieux : une revendication propagandiste comme « l’expropriation de la famille Peugeot » n’aurait-elle pas fait l’unanimité chez les ouvriers, en facilitant la solidarité et les soutiens de la population, voire l’extension de la lutte ?

Les revendications de travailleurs en grève sont le plus souvent fonction de leur appréciation du rapport des forces. D’ailleurs, il arrive que les revendications de départ évoluent en fonction de la dynamique de la lutte. En se radicalisant si elle se renforce, voire s’étend, en se repliant sur la défensive dans l’isolement. Les slogans ou les mots d’ordre, aussi justes soient-ils, n’ont pas la vertu de déclencher la grève générale. Bien entendu, nous militons à titre propagandiste pour « l’interdiction des licenciements » (comme ont continué de le faire les militants de LO de l’usine), et autres objectifs atteignables dans un contexte de généralisation des luttes. Mais une grève se mène avec… les grévistes. Pas en fétichisant des slogans.

À Aulnay, entre juin 2011 et juillet 2012, des centaines d’ouvriers s’étaient mobilisés à différentes reprises sur le « NON à la fermeture », mais sans succès ni résultat auprès du reste des salariés et de la population aulnaysienne. Et dans la semaine qui a suivi l’annonce officielle de la fermeture, puis encore en septembre, ce sont les ouvriers eux-mêmes qui, dans les différents ateliers, se sont mis à aligner des listes de revendications spécifiques (130 000 euros d’indemnités, voire plus, CDI pour tous, préretraite à 55 ans, etc.). À l’automne, les militants de la CGT et le Comité de préparation de la lutte les ont reprises, tout en maintenant celle du retrait du PSE. Ils ont eu raison. Une lutte, a fortiori une grève, se mène sur les revendications que se donnent les travailleurs, quitte à ce que celles-ci évoluent en cours de route.

Plus généralement, on voit dans le pays toute une série de luttes contre des fermetures et des plans de licenciements avec des revendications aux modalités très diverses, en fonction de la situation, des espoirs locaux : indemnités, quête d’un repreneur, « nationalisation provisoire », voire tentative de Scop, etc. Chacune peut se discuter. Mais sur le fond, tous se battent contre les licenciements. Aussi ne s’agit-il surtout pas d’opposer telle revendication à une autre. Le problème réel étant de sortir de son isolement, et du même coup de faire évoluer le rapport des forces en faveur des travailleurs.


Discussion avec les camarades de LO

  • Les limites de la grève. « Il a manqué une politique à notre grève, dépassant le seul cadre de PSA, au moment où elle bénéficiait d’un très large écho dans tout le pays », expliquait Philippe Evrad au forum de l’Étincelle à la fête de Lutte ouvrière. Ce à quoi les militants de LO ont opposé différents arguments : « Mais si, nous nous sommes tournés vers l’extérieur, sommes allés vers d’autres entreprises. Mais nous n’avons pas réussi à étendre la grève. »… « La convergence des luttes, mais quelles luttes ? »

Oui, les grévistes sont allés manifester vers d’autres entreprises à plusieurs reprises. Mais ne confondons pas les possibilités « d’extension » de la grève et une politique à avoir vis-à-vis des autres salariés en butte aux licenciements.

Dans le contexte de la vague actuelle de licenciements, les travailleurs sont sur la défensive et se cantonnent à des luttes isolées et localisées, lesquelles s’échelonnent dans le temps. Les luttes, elles existent. Mais le plus souvent invisibles à l’échelle nationale. Une grève ou une mobilisation démarre ici quand une autre ailleurs s’épuise ou se termine. Le patronat compte là-dessus. C’est tout le problème. La question n’est donc pas de miser sur une extension quasi spontanée, ou par simple contagion d’une lutte fût-elle exemplaire (telle celle de PSA par sa durée, sa détermination et la taille de l’entreprise). Si c’était le cas, la grève générale serait déjà en route, et on discuterait déjà d’autres étapes.

À titre propagandiste, tous les militants révolutionnaires parlent de la nécessité de la convergence des luttes (y compris les militants de LO !). Mais entre les luttes défensives actuelles et la perspective d’un nouveau juin 36 ou mai 68, y a-t-il un trou noir ? Faut-il se cantonner à « vendre chèrement sa peau », le dos au mur, en attendant des jours meilleurs, quand la spontanéité ouvrière fera son œuvre ?

À notre avis, les militants révolutionnaires en situation d’être à la tête d’une lutte avec des ouvriers ont aujourd’hui l’opportunité de tenter une autre politique. De se servir de ce point d’appui pour donner à leur grève un impact au-delà d’elle-même et du même coup une dimension politique. Présenter la grève de PSA comme une lutte « exemplaire », c’est une chose. Mais faire en sorte que les 200 ou 300 travailleurs mobilisés pendant des mois, donc disponibles, prennent aussi contact avec les salariés de cinq, dix, vingt autres entreprises dont les salariés s’affrontent à leur patron comme ils peuvent, juridiquement, par des rassemblements, des débrayages, des grèves plus ou moins dures, pour constituer ensemble un début d’état-major ouvrier, c’est déjà autre chose.

Cela ne signifie pas pour autant qu’on sera en mesure de déclencher la grève générale. Pour l’heure, manifestement loin s’en faut. Mais ce serait poser de sérieux jalons pour les luttes à venir. Ce serait mettre en place des liens entre travailleurs combattifs aujourd’hui isolés, leur permettant de se concerter, d’élaborer ensemble une stratégie de convergence des mobilisations. Ce serait une façon de concrétiser de nouvelles perspectives pour la classe ouvrière. En tout cas c’est à tenter.


À l’heure où nous écrivons, en ce lundi 10 juin, les ouvriers de l’usine Michelin de Joué-lès-Tours se sont mis en grève parce qu’ils viennent d’apprendre par la presse que le groupe s’apprête à supprimer 700 postes sur les 927 que compte leur site. Jusqu’à quand les militants devront-ils se résigner, sans autre initiative, à voir un conflit se terminer au moment où un autre démarre ?


  • Une coquille vide, vraiment ? « Ce que vous voulez, objectait en substance un militant de LO, c’est de constituer une structure préalable, une coquille vide. Ce qui reviendrait à réunir des bureaucrates syndicaux de différentes entreprises et de s’en remettre à eux pour décider à la place des travailleurs ».

Une coquille vide ?

Rien que pour le mois de janvier 2013 (la grève d’Aulnay a démarré le 16 janvier), on pouvait décompter des dizaines d’entreprises où les salariés ont fait grève et continuaient de le faire. Ceux de Virgin, Sanofi, PSA, Florange, Goodyear, avaient eu une audience nationale. Mais combien de luttes invisibles ?

Les salariés des papiers spéciaux Lana, à Strasbourg, faisaient toujours des rondes autour de leur usine pour empêcher l’enlèvement des machines. Ceux des plaques de verre Euroglas, à Hombourg (Bas-Rhin), étaient en grève les 22 et 23 janvier. Les 110 salariés du lait Candia, à Saint-Yorre dans l’Allier, décrétaient le blocage de l’usine le 17 janvier, avaient dû le lever le 24, mais appelaient au boycott des produits Candia pour protester contre la fermeture du site, comme ceux de Lude, dans la Sarthe, qui prévoyaient une manifestation le 29 janvier à Paris. Ceux de la téléphonie Alcatel à Rennes, débrayaient les 10 et 23 janvier contre 20 postes supprimés sur les 130 de leur site. La fonderie SBFM à Caudan, dans le Morbihan, filiale de Renault, était en grève le 22 janvier à l’occasion de l’annonce des suppressions de postes chez Renault. Les salariés des transports Keolis à Woippy, en Moselle, étaient en débrayage quotidien à partir du 23. Ceux du carrossier Durisotti, à Sallaumines (Pas-de-Calais), fournisseur de PSA et de Renault, étaient en grève depuis le 17 janvier (et l’étaient encore le 21), contre 121 suppressions d’emplois. L’usine de surgelés Allis, à Falaise, dans le Calvados, sous le coup d’un PSE, était bloquée le 15 janvier, et se remettait en grève le 21. La liste serait longue s’il fallait citer les mobilisations analogues dans tous les départements du pays en ce seul mois de janvier. L’année 2012 avait ainsi connu plus d’une centaine de conflits locaux du même style.

En février, les ouvriers de la fonderie DMI, dans l’Allier, réveillaient un peu les médias contre la fermeture de leur entreprise en menaçant de faire sauter des bonbonnes de gaz. Puis en mars, dans le même département, à quelques dizaines de kilomètres, ceux de la serrurerie industrielle JPM se mettaient en grève contre les restructurations en exigeant une prime extra-légale de 80 000 euros pour ceux qui devraient quitter la boîte. Même région, même semaine, la centaine d’ouvriers de chez Candia Saint-Yorre organisait un nouveau meeting de protestation… Pour ne citer que les entreprises de cette région avec lesquelles la commission du Comité de grève chargée des liens avec les autres entreprises, à l’initiative du camarade de l’Étincelle, avait réussi à établir des premiers contacts.

Mais combien d’autres entreprises, ailleurs dans le pays, dont les militants se sentaient abandonnés par les fédérations et confédérations syndicales et avec lesquels il était possible d’établir des liens réels ? Des bureaucrates, tous ces militants d’appartenance syndicale ou politique diverses, se battant isolément le dos au mur ? Allons-donc ! À moins de ne vouloir faire converger les efforts que des seuls militants trotskystes ? Trêve de plaisanterie. La force des militants révolutionnaires n’est-elle pas précisément, en s’appuyant sur les travailleurs d’ores et déjà en lutte, de proposer une perspective susceptible d’entraîner et de convaincre bien au-delà de leurs propres forces ?

10 juin 2013,

Lydie GRIMAL et Flore ESSE

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