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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 10, juillet-août 2000 > DOSSIER : L’immigration, un problème ?

DOSSIER : L’immigration, un problème ?

Des ordonnances de 1945 aux lois Pasqua

Mis en ligne le 1er août 2000 Convergences Politique

En matière d’immigration au sortir de la guerre le gouvernement dit de la Libération a surtout été préoccupé de réglementer, limiter ou orienter, bref tout le contraire de libérer. Ce sont les fameuses « ordonnances de 45 ».

Cela ne signifie pas que la législation de l’après 45 aurait été très différente de la législation en cours sous le gouvernement de Vichy en 39-45, ou dans les années 30. Dès le 10 août 1932 par exemple, le gouvernement avait fait voter une loi sur le contingentement de la main-d’œuvre étrangère. Elle sera suivie d’un certain nombre d’autres. La loi du 21 avril 1933 écarte de l’exercice de la médecine les étrangers, la loi du 19 juillet 1934 impose aux naturalisés un stage de 10 ans avant de pouvoir entrer dans la fonction publique ou au barreau, la loi du 9 août 1935 impose aux artisans étrangers la détention d’une carte d’identité spéciale (toujours nécessaire aujourd’hui !) et un contingentement des étrangers par métier et par région. En 1938 pas moins de 6 décrets-lois en un an, notamment celui du 2 mai sur la surveillance policière des étrangers, voient le jour. Du coup sur certains points, la réglementation en vigueur sur le séjour par exemple, le gouvernement de Vichy lui-même, dont il n’est pas besoin de rappeler la politique raciste et antisémite, ou sa collaboration avec les bourreaux nazis ou franquistes auxquels il livra aussi de nombreux réfugiés politiques, n’eut pas besoin de changer quoi que ce soit (estimant sans doute que les textes d’avant guerre permettaient un contrôle assez strict sur les étrangers). Inversement quand De Gaulle, soutenu par le PCF, forme un gouvernement à la fin de la guerre, certaines lois de Vichy mettront bien du temps à être supprimées, et certaines autres seront seulement réécrites (celle sur la déchéance de la « qualité » de Français par exemple).

Evolution du nombre d’immigrés en France de 1851 à 1990

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Les ordonnances de 45

Que trouve-t-on dans ces fameuses ordonnances ?

Un article 7 : « L’étranger ne peut exercer une activité professionnelle salariée sans y avoir été préalablement autorisé par le ministre chargé du travail. Cette autorisation précise la profession et la zone dans laquelle l’étranger peut exercer son activité ».

Un article 22 : « Toute personne logeant un étranger, même à titre gracieux, devra en faire la déclaration au commissariat de police ».

Voilà qui donne le ton... Aujourd’hui des textes de 1945, il ne reste certes pas grand chose. La décolonisation, la construction de l’Union Européenne, l’arrêt de l’immigration de main d’œuvre ayant amené modifications sur modifications. Rien que depuis le début des années 80, l’une des ordonnances a été modifiée... 26 fois ! Modifiée... pas abolie.

Georges Mauco est nommé par De Gaulle Secrétaire Général du Haut Comité consultatif de la population et de la famille en avril 1945. C’est un véritable symbole de la continuité de l’Etat français, puisque, haut fonctionnaire depuis 1938, il sera reconduit à son poste du Haut Comité par tous les gouvernements, gauche comme droite, jusqu’en 1970. Mais c’est aussi sans aucun doute que ses idées comme sa politique en matière d’immigration sont aussi celles de tous les politiciens des Républiques successives, de la troisième à la Cinquième.

Ainsi le Haut Comité a soutenu bien longtemps l’idée d’une stricte distinction entre deux types d’immigration souhaitables :

  • a) des éléments susceptibles avant tout de satisfaire aux besoins économiques du pays. L’assimilation sera en la matière secondaire. Le rendement quantitatif représentera au contraire l’élément décisif (...),
  • b) une immigration sélectionnée destinée à fournir au bout d’un délai plus ou moins long de nouveaux citoyens français ».

On ne s’étonnera donc pas que De Gaulle ait signé le 12 juin 1945 une directive adressée à son Ministre de l’intérieur dans laquelle on lit :

  • a) sur le plan ethnique, il convient de limiter l’afflux des méditerranéens et des orientaux (...) il est souhaitable que la priorité soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges, Luxembourgeois, Suisses, Hollandais, Danois, Anglais, Allemands, etc.),
  • b) (...) pour conserver son pouvoir d’assimilation, il est nécessaire que les professions libérales, commerciales, banquières, etc. ne soient pas largement ouvertes aux étrangers,
  • c) sur le plan démographique, il convient de naturaliser les individus jeunes ou ayant des enfants,
  • d) sur le plan géographique il convient de limiter strictement les naturalisations dans les villes, spécialement à Paris, Marseille, Lyon où l’afflux des étrangers n’est pas désirable (...) »

Pourtant, quels que soient les rêves des politiciens nationalistes ou même racistes pour maintenir une France blanche et européenne du Nord, il y avait d’abord les besoins des capitalistes en main d’œuvre. Et dans les décennies qui suivront, décrets, ordonnances et directives opposées ne pèseront pas lourd face à ces besoins et n’empêcheront pas les patrons d’aller chercher les travailleurs là où ils peuvent les trouver. Dans les années 60 les plus grandes entreprises, automobiles par exemple, organiseront elles-mêmes l’immigration de travailleurs du Sud de l’Europe, du Maghreb ou d’Afrique, sans trop se soucier de légalité, assurées il est vrai que les autorités sont prêtes à légaliser après coup et octroyer permis de travail et de séjour à tous ceux... dont les patrons ont besoin.

Ce n’est que lorsque ces besoins ralentissent que la politique de restriction de l’immigration revient à l’ordre du jour. Le 9 juillet 1974, Giscard d’Estaing édite une circulaire sur la « suspension de l’immigration ». Mais cette circulaire ne chamboulera pas l’ordonnance de 1945. Elle était bien assez élastique pour pouvoir à la fois ouvrir les frontières dans les années 50 ou 60 et les fermer dans les années 70.

Les lois Pasqua, la droite et la gauche

Les années 80 et 90 vont voir se succéder de multiples gouvernements de gauche et de droite, les uns et les autres modifiant seulement à la marge l’œuvre du précédent. Sur l’essentiel il y a un accord entre tous : la restriction de la liberté de circulation des travailleurs immigrés.

Ce sont les lois Pasqua, alors que celui-ci est ministre de l’Intérieur, qui résument bien cette orientation partagée en matière d’immigration. Elles renforcent en premier lieu le dispositif répressif visant à éloigner du territoire les travailleurs étrangers en situation irrégulière : allongement de la durée de rétention, limitation du pouvoir du juge auquel la loi ne laisse pratiquement plus d’autre choix, possibilité pour le préfet d’assortir la reconduite à la frontière d’une interdiction du territoire, restriction des catégories protégées contre l’éloignement, création d’une nouvelle modalité d’éloignement (la « remise » aux autorités d’un Etat membre de la Communauté Européenne). Une autre innovation des Lois Pasqua est de rendre le regroupement familial plus difficile, la délivrance de la carte de résident est subordonnée à de nouvelles conditions, les personnes entrées sur le territoire alors qu’elles étaient enfants se voient retirer la garantie de pouvoir y demeurer après leur majorité, les hypothèses de retrait ou de non-renouvellement des titres de séjour se multiplient... Plaisanterie cynique : les demandeurs d’asile doivent obtenir des préfectures une autorisation de séjour avant de pouvoir présenter leur demande à l’OFPRA (organisme qui gère les demandeurs d’asile).

La gauche, alors dans l’opposition, a à l’époque protesté contre les lois Pasqua. Revenue au pouvoir, elle ne les a pas supprimées en bloc comme elle l’avait promis. Elles peuvent sans doute lui être utiles pour justifier sa répression. En revanche Pasqua lui-même, maintenant dans l’opposition, a été un des premiers parmi les politiciens en vue... à suggérer qu’il faudrait peut-être légaliser largement les clandestins et entrouvrir les frontières. Il est vrai qu’avec la reprise économique certains patrons commencent à manquer de main d’œuvre, paraît-il. Souvent politicien varie au gré des intérêts des patrons... mais toujours aux dépens des travailleurs immigrés.

Christophe CERISIER

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