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SNCF

« Dépôts de sac » à la SNCF : une gifle pour la direction et le gouvernement

Mis en ligne le 30 octobre 2019 Convergences Entreprises

Mouvement inédit à la SNCF. Du jeudi 17 octobre au week-end des 19 et 20 qui a suivi, un mouvement de « droit de retrait » de milliers, voire dizaines de milliers de cheminotes et cheminots, conducteurs et contrôleurs, n’a cessé de s’étendre et de s’installer sur le territoire national. Comme une énorme et irrésistible vague d’émotion, à l’annonce qu’un collègue de Champagne-Ardenne et les voyageurs de son TER s’étaient trouvés dans une situation dramatique, liée à un système dénoncé et décrié depuis des années par les cheminots, de conduite à agent seul : pas de personnel SNCF autre dans le train que le conducteur !

Cheminots et usagers menacés : riposte !

Le 16 octobre en effet, une collision entre un camion et un TER avec 70 voyageurs, a eu lieu sur un passage à niveau dans les environs de Reims. Le conducteur du train, blessé, doit néanmoins quitter son train, couvrir une distance importante pour donner l’alerte permettant ainsi d’éviter une autre collision cette fois avec un autre train, avant de revenir vers la rame où les passagers, traumatisés par le choc et blessés aussi pour une douzaine d’entre eux, sont livrés à eux-mêmes. L’annonce de l’événement a créé un choc dans la communauté des cheminots, et une onde de refus de continuer à travailler dans pareilles conditions d’insécurité a inondé le réseau. Encouragée par un SMS de Laurent Brun, dirigeant de la CGT, en faveur du « droit de retrait » (droit légal de cesser le travail si on estime ne plus pouvoir l’exercer dans des conditions normales de sécurité). D’autres syndicats ont encouragé cette démarche.

Dès le jeudi soir mais surtout le vendredi 18 octobre dans la journée, la paralysie du trafic ferroviaire était spectaculaire : 60 % des trains supprimés ce jour-là, ce qui veut dire au moins autant, et probablement davantage de conducteurs et contrôleurs en colère (dans ces cas-là des cadres sont mobilisés pour tirer des trains, autant qu’ils en sont capables). Les 19 et 20 octobre, c’étaient encore deux journées sérieusement perturbées, bien que les mouvements jouent souvent relâche en week-end : 100 % des Ouigo supprimés (priorité aux TGV « high-cost »), un trafic TER nul en Champagne-Ardenne, un trafic régional très impacté dans les régions de Toulouse, Tours, Lyon ou en région parisienne.

Droit de retrait ou grève ?

Dès le vendredi 18 au matin, la hiérarchie de la SNCF faisait pression sur les cheminots par la menace de sanctions. Le secrétaire d’État au transport, Djebbari, dénonçait une « grève surprise hors du cadre légal ». La direction de la SNCF dénonçait une grève qui ne dirait pas son nom ; qui perfidement aurait pris en traitres les usagers, dont ces malheureuses familles partant en vacances. Pepy – futur-ex-PdG qui reprenait du service pour l’occasion – et Édouard Philippe renchérissaient sur la grève illégale, les poursuites judiciaires nécessaires, etc. Comme Blanquer avait sorti des menaces contre la grève du Bac en juillet dernier, sans passer à l’acte. Membres du gouvernement, députés LR et autres, chacun y est allé de son couplet anti-cheminots et anti-lutte. Et d’engager un débat sémantique assez drôle : késako, ce mouvement ? Droit de retrait ? Dépôts de sac ou dépôts de sacoche ? Débrayage inopiné ? Grève sauvage et illégale ? Ou grève tout court ? Jusqu’à ce chœur touchant entonné par Pépy, Djebbari, Pécresse et autres voix de son maître, pour vanter les charmes d’une vraie grève, après un vrai dialogue social, dans les vrais délais voulus par les procédures légales… qui, rappelons-le, n’autorisent que les colères programmées… 15 jours à l’avance !

Mais de la part de ce beau monde, dès le début, motus et bouche cousue sur les causes de la vague de colère : l’accident et la galère du conducteur et des voyageurs, liés à la politique d’économies criminelles de la direction sur les effectifs.

Nous n’épiloguerons pas sur l’étiquetage de ce mouvement, sur la question de savoir si les cheminots ont exercé leur droit de retrait ou leur droit de grève – à moins que ce ne soit les deux ! Ce qu’ils ont fait et ont étendu au pays entier ne figure pas, pour l’heure, dans l’article X ou Y d’un quelconque code légal. La lutte de classe innove ! Ceux qui luttent créent du nouveau et l’Académie suivra !

Cela dit, les cheminots n’ont pas seulement eu droit aux cris d’orfraie de hauts cadres SNCF et ministres de Macron. Sur les chantiers, des petits galonnés de la SNCF ont tenté de faire signer à des cheminots des « mises en demeure » d’avoir à reprendre le boulot ; ont envoyé des huissiers pour voir si lesdits cheminots étaient bien à leur poste et en uniforme – comme le veut la réglementation – même s’ils ne travaillaient pas. Dans pas mal d’endroits, ces petits garde-chiourmes envoyés en mission par la hiérarchie sont revenus la queue basse… Il reste à voir s’ils n’attendent pas leur heure pour des procédures de sanctions dont la direction SNCF n’est pas avare et qu’elle peut leur intimer de déclencher.

Mais pour l’heure direction SNCF et gouvernement ont surtout à gérer leur frousse. Et les directions syndicales les y ont aidées à leur façon, en acceptant de se rendre à des séances de discussion voire de les provoquer.

Subtilités et finasseries syndicales

Dès le jeudi soir, alors qu’un débrayage national semblait se dessiner pour le lendemain mais sans certitude, la CGT se plaignait sur les réseaux que la direction était aux abonnés absents. Elle déposait une DCI nationale (demande de réunion qui démarre une procédure de grève). Le lendemain vendredi 18 octobre, une réunion nationale avait lieu, syndicats/direction à 7 heures 30, suite à cette DCI. Dont il sortait trois pistes de négociation : le report du projet de suppression des « autorisations départs de train » (une procédure de sécurité en vigueur pour assurer le départ des trains), de nouvelles négociations sur l’application de l’EAS (cet « équipement à agent seul » précisément mis en cause dans l’accident de Champagne) et l’ouverture de discussions sur la campagne emploi. Il n’en est sorti que du blabla. D’autres négociations se faisaient à l’échelle régionale – échelle où sont organisés les secteurs CGT – dès la fin d’après-midi du même vendredi. La DCI ne s’est pas transformée en préavis de grève.

Sur le terrain, ces négociations régionales ont happé les délégués syndicaux tout le vendredi après-midi. À notre connaissance, pas de discussions sur l’opportunité d’y aller ou pas : c’était pourtant évident qu’il s’agissait d’une manœuvre dilatoire sans intérêt pour les revendications de la grève. Parfois cela a requis des trajets longs pour les délégués CSE (aller à Lyon pour Paris-Gare de Lyon). Il n’en est évidemment rien sorti puisque les directeurs régionaux ont renvoyé au national. Seule la région Paca (Marseille est un bastion de la CGT) a repris le travail le vendredi soir à la suite de ces négociations… pour se remettre en droit de retrait le surlendemain, en réaction à une nouvelle agression !

Une nouvelle négociation nationale s’est engagée cependant qui a duré « jusqu’à 23 heures 50 » (les bureaucrates se sont plaints dans un tract national de cet horaire tardif). Il n’en est rien sorti. Le lendemain matin, samedi 19 octobre, la CGT et Sud sortaient des tracts plus que moroses, pleurant sur le fait que la direction « jouait le pourrissement » (au bout de 24 heures de mouvement) ; qu’elle engendrait un « climat délétère » ou qu’elle était « irresponsable ». Au lieu d’insister auprès des cheminots sur le fait qu’ils pouvaient être fiers de tenir la dragée haute à une direction criminelle ; qu’ils pouvaient être heureux d’avoir pris une initiative inédite et pour tout dire inouïe. Mais non, car les directions syndicales étaient dépassées elles aussi et, selon leur scénario classique quand elles veulent éteindre un mouvement sans le dire, ont toutes appelé à ce que… les cheminots décident eux-mêmes des suites à donner. Des bureaucrates qui encouragent la démocratie ouvrière, c’est louche… et ça n’arrive que lorsqu’ils ont décidé d’éteindre le feu mais d’en faire porter la responsabilité aux grévistes eux-mêmes. Finies les consignes et les perspectives ! Débrouillez-vous ! Ce qui s’appelle aussi tactique de pourrissement d’un mouvement.

Samedi soir tard, la fédération CGT sortait finalement un tract très explicite, prônant la reprise du travail mais appelant désormais à « préparer le 5 décembre ». La ficelle est grosse, et peu de cheminots sont dupes, mais rien n’est joué à cette heure. La reprise n’est pas acquise, heureusement, particulièrement dans les coins où c’est monté le plus fort notamment en Champagne-Ardenne. Bien des cheminots n’ont rien contre un 5 décembre, mais leur souci urgent est celui du jour même et du lendemain ; de la poursuite du bras de fer engagé.

Un bilan d’étape positif

Cette explosion de colère présente bien des aspects positifs, entre autres les liens qui se sont tissés entre conducteurs et contrôleurs, les deux services touchés par le mouvement. Les discussions ont été nombreuses, les actions communes, des barrières sont tombées en quelques heures ! De la même façon, sont tombées des barrières entre les réseaux Transilien, TER et grandes lignes : la direction de la SNCF s’évertue à les saucissonner à l’infini, à en faire des entités séparées avec leurs propres directions, pour mieux les vendre ultérieurement à la découpe – ouverture à la concurrence en 2020 oblige !

Dans certains secteurs – signe que des cheminots n’ont pas envie d’en rester là – l’idée germe aussi de se mettre en grève ; des DII (déclarations individuelles d’intention de faire grève imposées par la loi sur le service minimum) ont été déposées pour lundi, après la parenthèse du week-end. C’est le cas à Paris Saint-Lazare où un mouvement était déjà engagé avant le dépôt de sac d’il y a trois jours. Les bonnes idées circulent vite, il en serait question ailleurs aussi.

Reste que la situation est incertaine. Que tous les espoirs sont permis… et toutes les difficultés présentes. D’où la nécessité pour les cheminots, dans les nombreux chantiers où des équipes militantes existent, de souligner la portée nationale extrêmement positive du bras de fer engagé, de susciter le maximum de débats sur le bilan d’étape du mouvement (car il n’est pas terminé) et sur ses perspectives ; et d’aider celles et ceux qui veulent pousser le bouchon plus loin à s’exprimer publiquement et largement dans ce sens. Il faut que la satisfaction et la fierté des cheminotes et cheminots s’expriment, auprès du plus grand nombre de collègues, qu’ils aient repris le boulot ou pas, temporairement ou pas.

Les cheminots dont la colère a explosé ont spectaculairement bousculé la direction de la SNCF ; renversé des barrières mises entre eux ; secoué aussi les directions syndicales. Le coin enfoncé contre la direction est un sérieux revers pour le gouvernement aussi, lui qui aide les patrons à pousser toujours plus loin leurs attaques anti-ouvrières.

Bref, après la grève spectaculaire du 13 septembre à la RATP, dans le contexte d’attaque contre les retraites de tous les salariés, public ou privé, ce nouveau et sérieux coup de semonce vient s’ajouter aux coups de sang des profs passant outre les corrections du bac, des urgentistes hospitaliers ruant dans les brancards ou des pompiers affrontant les flics ! Comme un nouveau style dans la lutte de classe.

20 octobre 2019

Correspondant(e)s.

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Numéro 129, novembre 2019

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