Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 92, mars 2014

Copé & Co. se donnent un genre : la manip pour tous !

Mis en ligne le 8 mars 2014 Convergences Politique

Après le mariage gay, sus à la théorie du genre ! C’est le nouveau cheval de bataille des milieux intégristes religieux, catholiques et musulmans, ensemble dans la rue le temps d’une manif ! Appel au boycott des écoles où sont expérimentés les « ABCD de l’égalité », programmes d’éducation à l’égalité sexuelle accusés d’introduire sournoisement la « théorie du genre » dans les programmes scolaires. Retour de « La Manif pour tous » dans les rues pour dénoncer également cette « idéologie du genre » qui prônerait l’« indifférenciation sexuelle » et viserait à « arracher les enfants à tous les déterminismes ». Traque des livres de jeunesse abordant l’égalité filles-garçons, l’homoparentalité et le changement de sexe : au bûcher, Jean à deux mamans, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi, Papa porte une robe ! Jusqu’à la dernière sortie de Jean-François Copé contre l’un de ces écrits sacrilèges… Tous à poil ! : « À poil bébé, à poil la baby-sitter, à poil la mamie, à poil la maîtresse, etc. Quand j’ai vu ça, mon sang n’a fait qu’un tour », s’étrangle-t-il au micro de RTL le 9 février. Et de conclure : « Face à un gouvernement pétri d’idéologie (…) le rôle des responsables de l’UMP est de dire ‘ça suffit !’ ».

La droite en pleine crise… d’identité

Diable, le président de l’UMP entrerait-il à son tour en croisade ? Sa conversion est pourtant récente comme le montre un document révélant qu’en 2011 l’UMP réfléchissait… au « genre », à la « place des femmes dans la société » ainsi qu’à « éduquer les enfants à l’école sur l’égalité des sexes entre filles et garçons ». Horreur, l’UMP serait-elle à l’initiative des ABCD de l’égalité ? En réalité Copé, à un mois des élections municipales, voudrait surtout faire genre face au PS, et vendrait bien son âme pour « séduire » l’électorat immigré déçu par le PS....

… se met à l’école de l’extrême droite

Composée de mouvements et de courants divers plus ou moins liés (ou se haïssant !) – du FN aux associations catholiques en passant par le Parti chrétien démocrate de Christine Boutin ou La droite populaire au sein de l’UMP –, cette droite s’est électrisée à l’annonce du projet de loi du gouvernement de gauche sur « le mariage pour tous ». Gros cortèges dans les rues de mars à mai 2013. Le vote de la loi Taubira ne les a pas démobilisés. Le dimanche 26 janvier, sur fond d’« affaire Dieudonné », ils étaient 17 000 à défiler derrière les slogans antisémites et homophobes du « Jour de colère » ; puis 100 000 le 2 février, cette fois à l’appel de La Manif pour tous, émanation des anti-mariage pour tous, recyclés dans l’anti-genre. Entre deux manifs, ces cercles s’agitent essentiellement sur les réseaux sociaux (chaînes de mails, pétitions, vidéos virales) d’où ils propagent les rumeurs les plus folles. Florilège : avec « l’enseignement obligatoire de la théorie du genre », homosexualité, bisexualité, transsexualité seront conseillés, la masturbation encouragée dès 4 ans, des sextoys utilisés en primaire… C’est d’ailleurs sur la base de l’une de ces rumeurs que, le 27 janvier, des parents ont retiré leurs enfants de l’école.

Derrière l’intox ?

Il n’y a pourtant pas de quoi fantasmer : il n’existe pas une « théorie » du genre à proprement parler. Encore moins une « idéologie » qui aurait pour objectif de « convertir » au transsexualisme ou à l’homosexualité…. Dans ce sens, le terme de « genre » a été utilisé pour la première fois dans les années 1950 par des médecins américains travaillant sur les intersexuels (hermaphrodites) et les transsexuels, qui affirmaient que leur identité de genre ne correspondait pas à leur sexe biologique. Dans les années 1960-1970, l’expression est reprise par le mouvement féministe pour contester les rôles et les tâches traditionnellement assignés aux femmes. Aujourd’hui, les études sur le genre – en fait un ensemble d’études réalisées par un courant universitaire traversé par de vives oppositions – ont pour objectif de mettre en évidence tout ce qui, dans le masculin et le féminin, est construit historiquement, culturellement et socialement.

Et non, les filles n’ont pas dans leurs gênes de devoir rester aux fourneaux ! Et non, les garçons n’ont pas dans les leurs de ne pas recoudre des boutons de chemise ! Mais pour tous les partisans nationalistes et catholiques du « Travail, famille, patrie » qui ressortent aujourd’hui du bois (ou des beaux quartiers), auxquels se joignent quelques intégristes musulmans qui, de leur côté, draguent « les quartiers », on voit bien que l’enjeu est que femmes et hommes restent à la place que l’ordre social leur assigne !

Ce qui défrise ces réacs de tout poil, c’est la mise à nu d’un ordre prétendument naturel où les inégalités sociales – dans la famille comme dans la société – ne seraient que le décalque d’une différence biologique, et seraient donc immuables.

La voilà, l’indécente « mise à poil » !

15 février 2014, Agathe MALET


Avec les ABCD de l’égalité, le genre s’immisce à l’école ?

Loin de là. Ce dispositif, expérimenté depuis la rentrée 2013 dans 275 écoles de 10 académies, se décompose en séquences pédagogiques adaptables de la grande section de maternelle au CM2 et intégrables dans les disciplines de manière transversale. Sous forme de conseils pour prendre conscience et lutter contre les stéréotypes dans le sport ou la littérature, ou encore d’un mode d’emploi pour construire des règles de jeux qui favorisent la mixité.

En fait, rien de nouveau depuis l’article L. 121-1 du Code de l’éducation de… 1989, qui préconisait déjà que « les écoles, les collèges, les lycées (…) contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’orientation (…), assurent une mission d’information sur les violences et une éducation à la sexualité ».

Un programme bien modeste donc. Surtout en regard de la tâche : aujourd’hui, l’insulte la plus répandue en primaire est « pédé ». Pas mieux sur les bancs… de l’Assemblée nationale, où fusent régulièrement formules homophobes et remarques sexistes. Pire, dans ce climat d’hystérie, au lieu de revendiquer et d’expliquer cette notion précieuse de genre, le ministre de l’Éducation, Peillon, bat en retraite : « Je suis contre la théorie du genre (…) mais pour l’égalité filles/garçons » se défend-il en mai 2013 sur France 2. Toujours sur la défensive, il déclare plus récemment sur France Inter que « la théorie du genre n’est pas enseignée à l’école ». Le terme est même aussitôt religieusement mis à l’index dans tous les textes, circulaires, rapports ou manuels scolaires [1].

Après le retrait précipité de la loi sur la famille, bientôt l’abandon des inoffensifs ABCD ?


Le « genre » pour les nuls

Non, les études sur le genre ne nient pas la différence entre les sexes… Elles distinguent seulement le « sexe », qui renvoie à la distinction biologique entre mâles et femelles, et le « genre » qui désigne tout ce qui, dans la construction de l’identité sexuelle et dans la formation de la division entre les sexes, relève des mécanismes d’ordre social et culturel.

Une distinction qui ne date pas d’hier... Dans les années 1930, dans Mœurs et sexualité en Océanie, l’anthropologue Margaret Mead montrait déjà que ce qu’on appelait alors le « tempérament » (un ensemble de traits de caractère comme la douceur, la sensibilité, la violence, etc.) ne découle pas directement du sexe biologique, mais est diversement construit selon les sociétés. On ne parlait pas encore de « genre », mais de « sexe social ».


Réalités biologiques et stéréotypes sociaux

Nous sommes en effet déterminés par des stéréotypes sexués dès le plus jeune âge. Dès la crèche, les qualités attribuées aux filles ou attendues d’elles (jolies, douces…) ne sont pas les mêmes que celles des garçons (forts, courageux…). Les premières sont encouragées à pratiquer des loisirs sages, qui reproduisent des comportements dits « féminins » (poupée, dînette), tandis qu’il est admis que les garçons courent, crient, occupent plus d’espace ou jouent aux petites voitures. On habitue plus les filles à parler de leurs émotions, alors que les garçons ont plus d’interactions verbales et sont moins interrompus.

Avec un impact significatif sur scolarité et carrière : en dépit de résultats meilleurs (jusque dans l’enseignement supérieur), les filles s’orientent majoritairement dans les études littéraires, moins valorisées, et peu vers les filières scientifiques, les plus sélectives : à la rentrée 2009, les filles représentaient 79 % des inscrits en 1re L… et 45 % en S. Dans le supérieur, les filles s’investissent davantage dans les filières dites « relationnelles » (éducation, social, santé), délaissant les études d’ingénieurs, ultra-majoritairement masculines. Et c’est encore plus marqué dans l’enseignement professionnel : en 2002, 30 % des filles s’orientaient vers le secrétariat-bureautique contre 1 % des garçons…

Résultat, sur le marché du travail, près de la moitié des femmes se concentrent dans une dizaine de métiers peu rémunérés (infirmières, aides à domiciles, agents d’entretien, secrétaires…), qui plus est souvent condamnées au temps partiel. Et si certains métiers majoritairement masculins se sont féminisés, cette mixité s’accompagne d’inégalités hiérarchiques : alors qu’en 2007, dans la fonction publique, les femmes représentent 63 % des agents de catégorie A, elle ne sont plus que 22 % à l’encadrement et la direction. C’est le phénomène du « plafond de verre ».

Une division des rôles qui se retrouve dans la sphère domestique où, en dépit de la progression des discours égalitaires, les tâches sont effectuées essentiellement par les femmes (4 heures par jour en moyenne, contre 2h13 pour les hommes) [2].

Pas étonnant que 78 % des livres pour enfants présentent un héros masculin, une famille (mixte bien sûr) où maman ne travaille pas alors que papa, lui, parvient à concilier vie de père et travail, où le petit garçon est décrit par ses qualités intellectuelles et la petite fille par son physique et ses émotions. La boucle est bouclée…


Copé en oublie son latin !

Dans sa hâte à traquer les livres qui pourraient conduire les enfants à ne plus savoir à quel sexe se vouer, Copé a oublié tous ces ouvrages de droit et d’histoire… où l’on voit des juges en robe, des curés en soutane, des imams en tunique… Et oui, on a eu notre bonne vieille « noblesse de robe » et nos « sans culottes ». Ces derniers étant les plus éducatifs pour les gosses !


[1Lire l’article de Mediapart du 7 février 2014, Circulaires, manuels, livres : les ministères censurent le mot « genre ».

[2Cf. Introduction aux études sur le genre, de Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunat et Anne Revillard.

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !

Numéro 92, mars 2014