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DOSSIER : Municipales, le mythe de l’élection et de la gestion démocratiques

Un siècle de municipalités ouvrières : défense des intérêts des travailleurs ou gestion bourgeoise ?

Mis en ligne le 17 janvier 2008 Convergences Politique

Le 6 juin 1882, le premier maire socialiste de l’histoire, Christophe Thivrier, ouvrier depuis l’âge de 10 ans, se présente en blouse de travail à la mairie de Commentry (Allier). À cette époque, l’opposition de classe apparaît clairement dans la composition des listes électorales : à droite, des patrons petits et grands, et des notables. À gauche, des ouvriers et plus rarement des employés. L’affrontement oppose assez souvent le patron de l’usine de la ville au leader syndical. Comme à Carmaux, en 1892, où le syndicaliste mineur Jean-Baptiste Calvignac porte les couleurs du socialisme face à son patron le baron Reille. Son licenciement déclencha une longue grève réprimée par l’armée. La même année, les socialistes Henri Carrette et Siméon Flaissières sont également élus maires, respectivement de Roubaix et Marseille… En 1912, à la veille de la guerre, on compte 297 municipalités socialistes.

Avant 1914 : guesdistes et possibilistes

Le mouvement ouvrier est alors divisé entre deux courants principaux : le Parti ouvrier de Jules Guesde et les « possibilistes » – on dirait aujourd’hui les réformistes – menés par Paul Brousse. Les positions des guesdistes sont radicales, du moins au cours des premières années. Le pouvoir communal ne peut être qu’une base pour partir à l’assaut du pouvoir central. L’influence de la Commune de Paris est encore très forte. Leur programme préconise le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes, l’armement dans la commune de tous les citoyens, le désarmement et le licenciement des forces de police. Sur le plan économique, la commune doit se proclamer héritière de toutes les successions, maîtresse des services publics et s’engager à créer des entreprises pour donner du travail aux chômeurs.

Jules Guesde déclare qu’il ne peut pas exister de « socialisme municipal ». Même si son programme pour élections municipales de 1892, présente des revendications plus modestes et immédiatement réalisables : cantines scolaires, sanatoriums, dispensaires, maternités, bains publics gratuits, bureaux d’aide sociale et juridique, Bourse du travail. Pour leur soutien aux travailleurs, de nombreux maires socialistes sont révoqués ou poursuivis en justice.

Mais sur le terrain, les relations des maires socialistes avec diverses institutions bourgeoises, dont la préfecture, ont transformé même les guesdistes, rapidement acquis à des pratiques réformistes du pouvoir municipal. Tous se consacrent à essayer d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière dans le cadre du système capitaliste.

À la veille de la première guerre mondiale, nombre de maires socialistes sont déjà devenus des notables… entraînés à la déclaration de guerre, comme la direction de leur parti par la vague patriotique.

Quand le jeune PC tente de contrôler ses maires

À l’issue de la guerre de 1914-18, quand la majorité du parti socialiste se rallie à la révolution russe et crée le jeune Parti communiste, les équipes municipales socialistes le rejoignent.

Les maires communistes sont amenés à affronter l’État, en soutenant les mutins de la Mer noire qui ont refusé de combattre contre l’URSS, à propos de la guerre du Rif en 1924 et quand le PC de l’époque prend de courageuses positions anti-colonialistes. Des maires et conseillers municipaux sont arrêtés. Ils mènent aussi des luttes vigoureuses sur le terrain du logement, n’hésitant pas à menacer de représailles les « vautours » – surnom des propriétaires hérité de l’époque de la Commune – et s’opposent physiquement aux tentatives d’expulsion. Enfin le maire communiste est souvent en première ligne pour soutenir les grévistes des entreprises locales à qui sont attribuées des salles de réunions, des cantines, des allocations, la gratuité de différents services.

Beaucoup de maires, qui n’ont adhéré au PC que pour ne pas se couper de leurs électeurs ouvriers, rechignent à appliquer les nouvelles directives. Certains retournent à la SFIO, les plus nombreux font le dos rond. Mais dans le PC lui-même, la politique dite de « bolchevisation » décidée par Moscou, qui vise officiellement à épurer le parti, et en particulier les municipalités, de leurs éléments opportunistes, tourne surtout à la sélection des cadres fidèles à la direction stalinienne. Les maires communistes commencent à suivre leurs prédécesseurs guesdistes sur le chemin du réformisme, surtout après les élections de 1936 et l’alliance du Front populaire.

Quand le PC est interdit en 1939 à la suite du pacte germano-soviétique, certains de ses maires renient le parti pour conserver leur fauteuil, tel le maire de Bobigny Clamamus qui garda son poste sous Pétain.

De l’isolement du PCF…

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le PC retrouve ses municipalités d’avant-guerre et en gagne de nouvelles. Il dirige ainsi 1 462 communes, dont 46 en banlieue parisienne et 4 villes de plus de 100 000 habitants : Toulon, Nantes, Limoges, Reims, auxquelles s’ajoute Marseille en 1946. On trouve dans les mairies communistes une nouvelle génération de cadres du PC, issus de la résistance. La plupart sont d’origine ouvrière. Mais le PC participe au gouvernement et soutient l’effort de « reconstruction patriotique » et ses équipes municipales peuvent à la fois afficher leur soutien à l’URSS, et appeler les travailleurs à retrousser les manches.

La guerre froide et l’éviction du PC du gouvernement, en 1947, rendent plus délicate la collaboration de ses maires avec l’État. Une nouvelle élection municipale a lieu cette année-là, où le Parti socialiste privilégie les alliances avec la droite pour combattre les communistes. Même dans la petite couronne parisienne, ladite « banlieue rouge », le PC ne conserve que 27 mairies sur les 45 qu’il avait gagnées deux ans plus tôt. Les conflits sont parfois violents, les provocations multiples, comme lorsque les milices du RPF (le parti créé par De Gaulle) effectuent une descente à Ivry en 1948, obligeant les passants à crier «  Vive de Gaulle, à bas Thorez  » et se battent avec les ouvriers. Plusieurs maires PC sont destitués. Néanmoins, dans les bastions qu’il conserve, le PC, qui caresse toujours l’espoir de revenir au gouvernement, tient à continuer à faire preuve des ses qualités de gestionnaire.

… à l’âge d’or du « communisme municipal »

C’est grâce au retournement du PS qui cherche son alliance, qu’à partir de 1965 le PC, qui obtient toujours environ 20 % des voix au niveau national, voit grandir son empire municipal : 25 mairies de plus de 30 000 habitants en 1959, 33 en 1965, 45 en 1971 et 72 en 1977.

De 1950 au début des années 1980, sur la base d’un relatif développement économique, les appareils réformistes ont eu du grain à moudre. Les maires PC peuvent se flatter de réalisations et équipements sociaux : piscines, gymnases, salle de réunions, bibliothèques, centres de vacances. Sans parler des constructions de HLM dont la distribution de logements fait la force des mairies des villes ouvrières. C’est sans doute au cours de cette période que l’emprise du PC sur la population est la plus forte. On retrouve le parti à l’usine et dans son quartier. Clubs sportifs, associations culturelles, de jeunes, de retraités, de locataires, centres aérés ou colonies de vacances complètent les services offerts par la mairie. Des services sociaux certes utiles, mais dont la gestion remplace souvent chez les militants communistes les perspectives de lutte. D’autant que ces municipalités communistes servent de vitrine à cette Union de la gauche et au rôle supposé que pourraient jouer les futurs camarades ministres.

Les maires communistes y confortent leurs positions de notables, y compris au sein de l’appareil du parti, où ils pèsent d’autant plus que les mairies servent de refuges pour des permanents et militants privés d’emploi, fournissent leurs moyens matériels et humains pour la fête de l’Huma et passent leurs commandes auprès des nombreuses entreprises créées par le parti et réunies dans le groupe Gifco.

Georges RIVIÈRE

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