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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 148, novembre 2022 > Brésil : la victoire de Lula a-t-elle évité le pire ?

Brésil : la victoire de Lula a-t-elle évité le pire ?

Retour sur les années Lula

Mis en ligne le 8 novembre 2022 Convergences Monde

(Photo : en 2006, Lula, Clinton et Chirac. Crédit photo : Marcello Casal Jr/ABr. Source wikipedia)

Pour comprendre la popularité dont bénéficie Lula dans les milieux populaires, mais aussi ce qui avait permis l’ascension du démagogue d’extrême droite, Bolsonaro, président sortant battu de justesse, il est bon de faire un petit rappel des années de la première présidence de Luiz Inácio Lula da Silva, que tout le monde appelle familièrement Lula.

Un leader des grèves devenu président

Lula, ouvrier dans l’industrie automobile de la région de São Paulo, fut le leader charismatique des luttes ouvrières qui ont ébranlé la dictature à la fin des années 1970. L’inflation galopante de cette période et la dette du pays au nom de laquelle le FMI avait imposé une politique d’austérité, avaient abouti à des vagues de grèves monstres en 1978 puis en 1984. Au cœur industriel du Brésil – la région ABC, la zone industrielle de São Paulo – des centaines de milliers de travailleurs avaient balayé les syndicats imposés par la dictature.

Photo : Lula en 1979. Source : Wikipedia

C’est dans ce contexte qu’est né le PT (Parti des travailleurs), dirigé par des syndicalistes combatifs, dont Lula, des intellectuels de gauche, des catholiques progressistes, et qui a entraîné toute une base militante nouvelle mais aussi beaucoup d’organisations de gauche, dont le Parti communiste brésilien (très faible, réprimé pendant la dictature), le mouvement catholique progressiste, les organisations trotskistes et les associations de paysans sans terre.

Face aux plans d’austérité, privatisations et scandales de corruption qui ont marqué le Brésil des années 1980 et 1990, le PT va gagner des élections locales, des mairies de grandes villes comme Porto Alegre ou São Paulo, faire élire des députés, etc. Il s’y est modifié : du parti de 1982 qui présentait des ouvriers aux élections, il va devenir un parti de notables, avec une politique réformiste assumée, brimant ou expulsant des militants révolutionnaires ou simplement trop « lutte de classe ». Quand, à la tête du PT, Lula finit par gagner l’élection présidentielle en 2002, c’est avec une image rassurante pour la bourgeoisie, affichant l’objectif de gouverner pour tous, riches et pauvres, avec un slogan qu’il reprend aujourd’hui « Lulinha Paz e Amor » (Petit Lula paix et amour). Mais Lula, homme issu des masses pauvres du Nordeste, syndicaliste, ayant fait de la prison sous la dictature, a soulevé un immense espoir et garde encore aujourd’hui un peu de cette aura.

Le PT au pouvoir et les déceptions

Jamais le Brésil, ou plutôt sa bourgeoisie, en ces années 2000, n’a été aussi prospère ! À tel point qu’à la fin de ses deux mandats, Lula était la coqueluche de la Banque mondiale, du FMI et de tous les dirigeants du monde, élu homme de l’année à Davos en 2010. Le Brésil avait un taux de croissance de 7 %. Les années Lula ont été marquées par un contexte économique favorable au niveau mondial, des fortunes ont été bâties dans l’agrobusiness, le BTP, des centaines de milliards ont été investis dans les forages pétroliers. La bourgeoisie brésilienne, qui voulait faire ses valises en 2002 et traitait Lula de « crapaud barbu », a été très vite rassurée et même enchantée !

Il faut dire que, dès le départ, Lula s’était entouré de ministres sociaux-démocrates ou de partis bourgeois comme le PMDB (Partido do Movimento Democrático Brasileiro, devenu MDB en 2017, dont la candidate Simone Tebet, arrivée troisième au premier tour de 2022 l’a soutenu au second et pourrait avoir un poste de ministre).

Son tour de force a été à la fois de ne mettre aucun frein au capital financier, de rembourser la dette au FMI et même de se payer le luxe de lui prêter six milliards de dollars ! Il n’a jamais remis en cause les privatisations des années précédentes, a arrosé de milliards le patronat de l’agrobusiness, n’a mis quasiment aucun frein à la déforestation (si frein il y a eu, ce fut surtout grâce à l’acharnement d’associations militantes). Quant à la réforme agraire que réclamaient des centaines de milliers de paysans sans terre combattant à mort pour occuper des lopins et survivre, elle n’a jamais eu lieu : la promesse d’établir 500 000 paysans pauvres a accouché d’une souris, Lula a placé moins de familles que son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso, pas même un tiers de ce qu’il avait promis.

De plus, il a engagé des réformes contre les retraites des fonctionnaires fédéraux, considérées trop élevées. Il a réformé le Code du travail en faveur des patrons et bloqué les salaires des travailleurs les mieux payés du Brésil, allant des ouvriers qualifiés des grandes entreprises aux fonctionnaires : si le but affiché était de « réduire les inégalités » salariales (des travailleurs qualifiés pouvaient gagner dix fois le smic qui était misérable) en augmentant le smic dans le même temps (il a été multiplié par trois en sept ans), le fait est que des millions de travailleurs se sont retrouvés avec de plus petits revenus. Les grands groupes ont pratiqué l’austérité salariale avec l’aide de la centrale syndicale liée au PT, la CUT (Central Única dos Trabalhadores – Centrale unique des travailleurs) qui prenait ses ordres au gouvernement et dont le dirigeant, Luiz Marinho, a été ministre du Travail de Lula. Résultat : les inégalités entre le patronat, qui a bénéficié d’aides et exonérations d’impôts, et les revenus du monde du travail n’ont jamais été aussi énormes.

Malgré tout, les classes populaires ont vécu un mieux ces années-là. Il y avait une sorte de plein emploi (mais toujours beaucoup d’emplois informels), le travail des enfants avait un peu reculé alors qu’il augmente à nouveau aujourd’hui.

Lula avait promis d’éradiquer la faim au Brésil (programme Fome Zero – faim zéro) et a instauré en 2007 des allocations aux familles les plus pauvres, la Bolsa Familia (bourse familiale) – une trentaine d’euros –, conditionnées à l’envoi des enfants à l’école. C’était peu mais a permis à des millions de travailleurs pauvres, notamment dans la région du Nordeste, de manger à leur faim. Il a aussi instauré des retraites minimum pour tous, y compris pour les petits paysans qui n’avaient jamais cotisé à rien. La Bolsa familia, par exemple, coûtait de 8 à 12 milliards de dollars à l’État, donc peu au regard des centaines de milliards qui servaient à financer les patrons, l’industrie pétrolière ou à payer l’intérêt de la dette. Son programme de logement populaire, « Minha Casa, Minha Vida », en 2009, est resté lui aussi limité (cinq millions de logements alors qu’aujourd’hui on dénombre onze millions de personnes qui vivent dans les favelas…). Si bien qu’à la fin de son premier mandat, 36 % du budget allait au service de la dette au profit des financiers internationaux, 5 % pour la santé et 3 % pour l’éducation.

Le système Lula, qui a acheté la paix sociale à moindre coût tout en brimant la combativité des classes populaires, n’a pas armé la population contre la rapacité d’une bourgeoisie brésilienne dont l’enrichissement tapageur, le mépris social et le racisme sont une marque de fabrique. Les responsables du PT ont eux aussi baigné dans le système de corruption politique qui sévissait au Brésil depuis bien longtemps. Ce qui a permis à la population de vivre légèrement mieux, c’est surtout la croissance économique dont le « cercle vertueux » a pris fin en 2013-2014.

L’usure du régime

À partir de là, sous le gouvernement de Dilma Rousseff, présidente du PT qui a succédé à Lula, les choses n’ont fait qu’empirer, avec des restrictions dans les budgets des services publics, des suppressions de postes, une privatisation croissante du système de santé. Dans le même temps, les milliards coulaient pour l’organisation du mondial de foot de 2014 (11 milliards) puis pour les Jeux olympiques de 2016. Dilma Rousseff a fait débarquer la police anti-gangs dans les favelas de Rio pour « pacifier » la zone avant les JO (sous Bolsonaro ces gangs ont été remplacés par des milices du régime tout aussi violentes). 250 000 personnes ont été expulsées de certaines favelas pour faire de nouveaux quartiers plus présentables dont n’ont pas bénéficié les plus pauvres. Les mouvements de contestation et de grèves ont été nombreux, notamment un grand mouvement contre l’augmentation du prix du ticket de bus en 2013. Rien d’étonnant à ce que la destitution en 2016 de Dilma Rousseff, victime de la cabale anti-PT menée par la droite à l’occasion d’une opération dite « mains propres » n’ait pas soulevé les foules populaires.

Photo : en 2011, Dilma Rousseff succède à Lula. Crédit : Fabio Rodrigues Pozzebom/ABr - Agência Brasil

Cela a été l’occasion d’une montée en puissance de tous les tenants de la droite qui ont mené une campagne anti-PT, contre le « communisme ». La jeunesse d’extrême droite a défilé et celui qui n’était alors qu’un député inconnu, Jair Bolsonaro, s’est fait remarquer pour la première fois en dédiant son vote pour la destitution de Dilma au militaire qui avait torturé celle-ci sous la dictature. Bolsonaro remporte la présidentielle de 2018 et est investi en janvier 2019.

Aujourd’hui, le balancier électoral vient de pencher à nouveau en faveur de Lula. Mais l’extrême droite brésilienne est toujours là. Les déceptions soulevées par la première présidence de Lula ont favorisé sa renaissance, trente ans après la chute de la dictature.

4 novembre 2022, Anne Hansen

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