Pouvoir d’achat, retraites, droit de grève, des cheminots et des autres : à attaque globale, réponse globale
Mis en ligne le 27 septembre 2007 Convergences Politique
Sarkozy, comme tous les gouvernements qui l’ont précédé, l’a promis : le remake de la nuit du 4 août aura bien lieu. Ah, ça ira, ça ira ! Tremblez aristocrates des temps modernes… Mais bien sûr, ni Bouygues, ni Arnault n’ont émigré… Puisque l’ennemi public numéro 1, ce sont les « régimes spéciaux ».
« Privilégiés », les régimes spéciaux ?
Cheminots, agents de la RATP, électriciens et gaziers en sont les principaux bénéficiaires. En quoi consistent-ils ? Il y a ce qui est connu : l’âge de départ possible à la retraite est souvent inférieur à 60 ans, pour beaucoup 55 ans et il descend même jusque 50 ans pour les conducteurs de trains. Ce qui est moins connu : il faut avoir travaillé pendant 37 ans et demi pour partir avec une retraite à taux plein, c’est-à-dire 75 % du dernier salaire – quasiment le régime dont bénéficiaient tous les travailleurs avant la réforme de Balladur en 1993, qui a porté progressivement à 40 ans la durée de cotisation des salariés du privé. Mais la notion de « retraite pleine » est toute relative. Pour les cheminots, dans les faits, le « taux de remplacement » moyen [1] serait de 63 % du dernier salaire aujourd’hui, contre 73 % pour le régime général, selon La Vie du Rail du 19 septembre 2007. Selon la même revue, « la pension moyenne est de 1 500 euros, les plus basses étant autour de 1 000 euros. En fait, 54 % seraient inférieures à 1 500 euros bruts par mois. La pension des cheminots est estimée de 10 % inférieure à celle du privé pour une carrière comparable ». Belle récompense pour des salariés qui ont souvent travaillé avec des horaires irréguliers et dans des conditions dangereuses !
Mais sarkozistes (et socialistes !) disent en substance aux cheminots qu’ils ont effectivement un métier difficile, pénible même, mais tous les autres ayant fait des sacrifices, pourquoi pas eux ? D’autant que les caisses des régimes spéciaux seraient de plus en plus déficitaires, puisque les retraités sont de plus en plus nombreux par rapport au nombre d’actifs qui cotisent. À la SNCF, on dénombre 320 000 retraités pour 163 000 actifs. La faute à qui, si ce n’est aux suppressions de postes imposées par la direction pour des raisons de « rentabilité » ? Il y avait 450 000 cheminots en 1949. Il y en avait encore 300 000 dans les années 1970. Près de deux fois moins aujourd’hui. La pression sur les effectifs, pour les rogner sur le dos des salariés comme des usagers à qui des services ne sont plus rendus, réduit le nombre de cotisants. De même que le chômage, alimenté par l’hémorragie des licenciements, a siphonné le budget du régime général.
Un tour d’essai avant l’attaque contre tous en 2008
C’est ce même argument du déficit qui a été utilisé en 1993 par Balladur pour réformer les retraites des salariés du privé et entre autres porter le nombre d’annuités nécessaires de 37,5 à 40. Puis en 2003 par Fillon pour les fonctionnaires. Pour éviter une réaction d’ensemble, ils ont tiré la retraite des uns vers le bas, avant de s’occuper des autres au nom de « l’équité ». Pourquoi cet empressement à aligner les régimes spéciaux sur les 40 ans de cotisation avant la fin de l’année ? Pour lancer la prochaine attaque contre tous, dès 2008. À cette date, gouvernement et patronat envisagent de faire passer tous les travailleurs à 41, voire 42 ans de cotisation et de repousser l’âge de la retraite à 62 ans et plus.
Par ailleurs, la réforme de 1993 n’a pas seulement imposé à certains de travailler plus longtemps, elle a aussi abaissé le montant des retraites. D’une part en modifiant le mode de calcul de la pension : sur les 25 dernières années et non plus sur les 10 dernières années. Mais aussi parce que beaucoup doivent partir aujourd’hui avant d’avoir pu engranger le nombre d’annuités pour toucher une retraite complète. Ils sont même poussés à la porte par le patronat qui cherche à se débarrasser des salariés les plus anciens, pour les remplacer par des jeunes, souvent précaires, qu’ils payent moins. Les travailleurs licenciés après 50 ans ne trouvent plus d’emploi. Les jeunes passent des années en emplois précaires et intermittents. Qui aura ses 42 ans d’ancienneté ? La réforme des retraites c’est le montant des pensions amputé pour tous.
Oui à « l’équité » : 37 ans et demi pour tous !
La lutte du patronat et du gouvernement pour rogner les retraites des salariés n’a pas été un long fleuve tranquille. Balladur a réussi son coup contre le privé en 1993. Mais Juppé s’est cassé les dents quand il s’est attaqué aux régimes spéciaux en 1995, déclenchant une grève des services publics comme on en avait rarement vue. Fillon, alors ministre du Travail, a remis ça en 2003, contre les seuls fonctionnaires cette fois, en laissant prudemment de côté les régimes spéciaux. Il y a eu néanmoins une réaction, plusieurs semaines de grève chez les enseignants en particulier. C’est l’intérêt de tous les travailleurs de se battre contre le dernier avatar d’une réforme qui n’en finit pas. Oui à « l’équité » : 37 ans et demi pour tous !
Le 18 septembre, lors d’un discours sur le « nouveau contrat social » (sic), Sarkozy a rappelé ses multiples engagements vis-à-vis du patronat : il compte s’attaquer aux chômeurs, aux retraités (à tous les retraités), aux salariés, aux malades… Sur les régimes spéciaux, il a annoncé des négociations entreprise par entreprise durant trois mois. Il cherche à faire d’une pierre deux coups : diviser les travailleurs et endormir des directions syndicales consentantes autour du tapis vert. Il faut dire que lesdites directions ont multiplié les appels du pied : Chérèque, pour la CFDT, réclame un « agenda social » car tant de négociations si vite, « ce n’est pas possible »… tout en se défendant de vouloir « retarder l’action » du président, qu’il se dit prêt à accompagner. Du côté de la CGT, si on déplore le « déséquilibre » entre les sacrifices demandés aux salariés et les cadeaux accordés au patronat, le problème du « timing » est également mis en avant.
Tous ensemble, les faire reculer
Cependant, face à l’attente des travailleurs, cinq fédérations du rail (CGT, SUD, CFTC, FO et CGC) viennent d’appeler à la grève le 18 octobre – les autres réservant leur réponse. La réussite d’une journée de grève serait un premier avertissement à Sarkozy et les patrons de la SNCF, pas aussi sûr d’eux. Que ce soit sur les salaires, sur les retraites, sur l’assurance maladie ou sur l’emploi, gouvernement et patronat n’échapperont pas à un coup de colère d’une partie du monde du travail. À ce premier secteur qui n’acceptera pas une nouvelle dégradation de ses conditions de vie, il faudra répondre « tous ensemble ».
22 septembre 2007
Raphaël PRESTON
Service minimum : un coup bas qui n’empêchera pas les coups de colère
Comme pour les retraites, c’est au nom de l’intérêt général que le gouvernement a fait passer sa loi sur le service minimum en juillet dernier. Sarkozy se soucierait d’assurer des transports tous les jours aux usagers, même les plus modestes. Pure démagogie, puisqu’à la SNCF par exemple, seulement 2 % des retards ou annulations de trains sont imputables à des mouvements sociaux. Ce sont le patronat et le gouvernement qui, en supprimant des postes et en n’investissant pas dans le matériel, imposent tous les jours un service « mini », des plus médiocres dans les transports publics – et tout particulièrement aux travailleurs qui vivent la galère dans les trains de banlieue.
L’objectif de la nouvelle loi, c’est d’intimider par quelques restrictions au droit de grève. Certes, pas de réquisition pure et simple des salariés, qui aurait été trop lourde de réaction boomerang ! Mais un arsenal de bâtons dans les roues pour les luttes. D’abord, le système des préavis, déjà en vigueur à la RATP et à la SNCF, est étendu aux entreprises de transport privé. Les débrayages spontanés deviennent donc illégaux. Ensuite, chaque travailleur qui compte se mettre en grève devra le déclarer 48 heures à l’avance sous peine de « sanctions disciplinaires ». Enfin, au bout de 8 jours de grève, la direction devra organiser un « référendum », auquel participeront cadres et ouvriers, grévistes et non grévistes. La poursuite de la lutte, décidée par ceux qui ne l’ont pas entamée, qui n’en sont pas voire qui la combattent farouchement ! Autant de pressions qui s’exerceront pour décourager la grève de se renforcer, se structurer et s’enhardir au fur et à mesure qu’elle s’installe.
Cette loi ne vise pas les seuls travailleurs du transport. Le gouvernement a clairement laissé entendre qu’il ne voulait pas s’en arrêter-là. Sans encore s’avancer sur les échéances, il a annoncé la mise en œuvre de mesures identiques dans l’enseignement, la poste, l’EDF, et en général tous les services publics. S’il y parvenait, qui peut croire que ce ne serait pas ensuite au tour des autres travailleurs, en particulier du privé, de voir amputé leur droit de grève, ce dont les patrons du secteur rêvent aussi ?
R.P.
[1] On appelle ainsi le rapport entre le dernier salaire perçu et la première pension.