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DOSSIER : Russie, après 1998 et 2008, jusqu’où la nouvelle crise ?

La Russie, un BRICS pas comme les autres

Mis en ligne le 14 mai 2015 Convergences Monde

Alors que l’URSS était considérée comme la deuxième puissance mondiale, la Russie a été reléguée au rang de « pays émergent ». Elle fait partie du club des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qui semble constituer la nouvelle sphère de développement capitaliste, tant les taux de croissance affichés au cours des vingt dernières années ont tranché avec la léthargie des pays plus avancés. Pourtant, la Russie présente un profil bien particulier dans cet ensemble du fait de son héritage soviétique. Le pays est plus urbanisé et depuis plus longtemps. L’extrême pauvreté y est réduite : en 2009, 2 % de la population vivait avec moins de 2 dollars par jour, à comparer aux 37 % de la Chine, aux 76 % de l’Inde et aux 10 % du Brésil. Il existe une classe moyenne importante, même si elle n’est pas très riche en comparaison avec celle des pays occidentaux. Là où la Russie ne tranche pas, c’est dans l’existence d’une classe accaparant une part croissante des richesses : les 20 % les plus riches empochent la moitié des revenus du pays et les inégalités n’y ont jamais été aussi criantes.

Le pays a perdu son statut de grande puissance économique avec la « thérapie de choc ». Celui-ci avait déjà été entamé par la Perestroïka de Gorbatchev, qui avait accepté un recul de la sphère d’influence soviétique, notamment en Europe de l’Est. Mais avec le retour au capitalisme, les cliques issues de la bureaucratie sont livrées à un véritable pillage, siphonnant les caisses de l’État et des entreprises publiques, fermant les usines pour revendre ou s’approprier au plus vite tout ce qui pouvait l’être. Cette « thérapie » a abouti à un effondrement de la production, le PIB chutant de 39 % entre 1991 et 1998 [1]. Le tout aggravé en 1998 par une profonde crise économique et monétaire. Les travailleurs ont durement payé cette restauration capitaliste, par la hausse brutale des prix, les dégraissages d’entreprises, le chômage et la suppression de services sociaux. Si quelques grèves s’y sont opposées, la classe ouvrière n’a pas su trouver la force de s’organiser.

La reconstruction capitaliste sous le règne de Poutine

L’arrivée au pouvoir de Poutine en 1999 a marqué un tournant. Il est apparu comme celui qui remet en ordre l’économie. Il a restauré l’autorité de l’État en renationalisant partiellement les secteurs stratégiques, notamment celui de l’énergie, en reprenant le contrôle des changes et de la politique monétaire ou encore en lançant une réforme fiscale qui allègeait l’impôt des plus riches mais permettait que l’argent rentre dans les caisses plutôt que d’être détourné par la corruption. Poutine a ainsi redressé le budget de l’État, qui est devenu bénéficiaire, et n’a pas hésité non plus à s’en prendre aux intérêts des oligarques (du moins ceux des clans adverses). C’est sans doute ce qui lui vaut jusqu’à aujourd’hui une apparente popularité.

Dès 2000, le taux de croissance de 10 % battait des records, et le rythme s’est poursuivi à une moyenne de 5 % par an jusqu’en 2008.La croissance s’est appuyée sur la hausse des prix du pétrole, mais pas seulement. Dans un premier temps, c’est l’industrie manufacturière, en particulier l’automobile, et la sidérurgie qui ont entraîné l’économie. Avec la chute du rouble et la dévaluation de 1998, les salaires étaient comparativement faibles pour une main-d’œuvre plutôt qualifiée, ce qui donnait un avantage à l’industrie russe. Entre 2000 et 2007, la production de véhicules est passée de 1,2 à 1,7 million d’unités, celle d’acier de 59 à 72 millions de tonnes, tandis que la production manufacturière augmentait de 60 %. Les capacités productives laissées par l’URSS, jusque-là inutilisées, tournaient à plein. L’armement bénéficia de nouvelles commandes de l’État et se développa à l’export (la Russie est le deuxième exportateur d’armes). Une partie du complexe militaro-industriel a cependant dû se reconvertir, notamment dans l’électronique. L’héritage scientifique et technologique soviétique permettait de disposer d’une industrie et de services de haute technologie, tels que l’aéronautique et l’informatique. En 2004, la Russie était en troisième position pour l’exportation de services informatiques, derrière l’Inde et l’Europe centrale [2].

Les oligarques réticents à investir dans cette économie « émergente »

Derrière ce bilan, l’économie russe souffrait de retards que le gouvernement ne parvint pas à combler. Selon l’Organisation internationale du travail, la productivité par travailleur augmenta rapidement dans les années 2000 (+ 5 % par an), mais cela est dû au déclin de l’agriculture, peu productive, plutôt qu’aux progrès de l’industrie. La productivité ne dépasse pas 40 % du niveau de celle des États-Unis et stagne depuis 2008. Les capacités de production ont atteint leur niveau d’utilisation maximum et vieillissent. Alors que l’industrie aurait besoin de renouveler son appareil productif et de maintenir à niveau ses technologies de pointe, l’investissement reste faible.

Si Poutine est parvenu à relancer le commerce et l’industrie sur la base des acquis de l’époque soviétique, les capitalistes russes ne semblent pas prêts à investir suffisamment dans cette économie qu’on peut dire « émergente » parce qu’elle se relève mais, cette fois, avec de vrais propriétaires, des banques et des magasins de luxe. Une bourgeoisie qui préfère exporter ses capitaux vers des pays où les profits sont plus assurés. D’autant que 2008, année marquée par les répercussions en Russie de la crise des subprimes et la baisse brutale du prix du pétrole de 140 à 40 dollars le baril, a durement affecté la Russie, mais surtout sa classe ouvrière : chute de 8 % du PIB, licenciements massifs, chômage partiel, retards dans le paiement des salaires. Des capitaux ont fui le pays, qui est apparu peu fiable. Et si, depuis 2010, l’économie s’est redressée, les taux de croissance précédents n’ont jamais été retrouvés.

Une économie de rente

Les capitalistes n’ont donc pas investi pour renouveler l’appareil productif et diversifier l’industrie, malgré les objectifs affichés par Poutine [3]. En fait, les magnats de Russie se sont laissé porter par la montée des cours du pétrole et des matières premières dans les années 2000. Les hydrocarbures sont vite devenus le principal moteur de la croissance, transformant l’économie de la Russie en économie de rente, largement dépendante des fluctuations des cours mondiaux. Le pays se place aux premiers rangs de la production de matières premières et de première transformation : premier rang pour le gaz, deuxième pour le pétrole, quatrième pour le bois et l’acier, premier pour plusieurs métaux non ferreux. Mais, si 8 % des exportations mondiales de produits primaires viennent de Russie, ce n’est le cas que de 1 % des produits manufacturés [4]. Son premier partenaire commercial, l’Union européenne, dépend de la Russie pour son approvisionnement énergétique, mais lui fournit ses équipements et biens de consommation.

Lorsque le cours du pétrole est élevé, l’économie russe semble bien se porter. La rente pétrolière soutient la consommation et l’ensemble de l’économie. D’autant que les hydrocarbures, qui couvrent 41 % des recettes de l’État, fournissent une marge de manœuvre financière au gouvernement [5]. Mais le moindre dérapage du prix du baril se traduit par des crises profondes, chèrement payées par les travailleurs. C’est ce qui semble se produire encore aujourd’hui… à moins que les travailleurs ne se battent pour que les richesses accumulées par leur exploitation servent à maintenir leurs emplois plutôt que les profits.

M.S.


[1Les chiffres sur la croissance viennent de l’OCDE : http://stats.oecd.org/.

[2Benaroya François, L’économie de la Russie, Paris, La Découverte « Repères », 2006, 128 pages.

[3Julien Vercueil, L’économie russe en 2013 : sortir de l’enlisement, Document de travail.

[4Goldstein Andrea, Lemoine Françoise, L’économie des BRIC, Paris, La Découverte « Repères », 2013, 128 pages.

[5Catherine Locatelli, « Gazprom, le Kremlin et le marché », Le Monde Diplomatique, mai 2015, p. 8.

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