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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 99, mai-juin 2015

À nouveau des atomes crochus entre les USA et l’Iran ?

Mis en ligne le 14 mai 2015 Convergences Monde

Le 2 avril dernier, à Lausanne, sous l’égide des États-Unis, un pré-accord a été finalement signé entre l’Iran et les grandes puissances (USA, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Russie et Chine), après de longues négociations sur un contrôle sous l’égide de l’ONU du programme nucléaire de Téhéran. L’accord final devrait être peaufiné d’ici la fin juin, si Obama ne se trouve pas plus ou moins paralysé par la surenchère de son opposition républicaine au Congrès. Seul le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, qui tout au long des négociations a joué le père fouettard multipliant les conditions posées aux Iraniens, a quitté la table des négociations deux jours plus tôt, à la date butoir initialement prévue pour une signature… Avant d’y revenir la queue basse, son homologue américain John Kerry, seul maître à bord et avide de revenir aux USA avec un accord, ayant décidé de jouer les prolongations.

À vrai dire dans ces négociations, l’objet officiel, à savoir l’atome (nombre de centrifugeuses dont pourrait disposer Téhéran, taux d’enrichissement de l’uranium toléré), n’était qu’un amuse-gueule. Les USA veulent surtout se donner les moyens de contrôler, autant que faire se peut, l’influence et la puissance militaire de l’Iran. L’Iran de son côté veut obtenir la levée des embargos économiques qui depuis de longues années ruinent le pays, quitte à en passer par le contrôle de ses installations nucléaires. Le plat de résistance étant le rôle qui peut être dévolu au régime iranien par les USA dans le maintien de l’ordre dans la région. C’est-à-dire le contrôle sur les peuples.

L’axe du mal revenu en odeur de sainteté

L’Iran, toujours État théocratique sous le contrôle de sa police et ses milices islamistes, n’est donc plus « l’axe du mal » que les USA dénonçaient après le renversement, en 1979, de la dictature féroce de leur ami le Shah, et l’arrivée au pouvoir des ayatollahs. Cette volte-face de Washington vis-à-vis de Téhéran est déjà en chantier depuis bien des mois, voire en gestation depuis quelques années. Car depuis qu’ils se sont engagés et enlisés dans de nouvelles guerres au Moyen-Orient, en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, les USA ont créé une situation de chaos qui les incite à chercher une collaboration même avec le régime iranien.

Pendant les années de leur gouvernement direct de l’Irak par le commandement des troupes d’occupation, les États-Unis se sont appuyés sur tous les potentats locaux et régionaux possibles, ont financé et armé leurs diverses milices. Mais leurs tentatives de mettre sur pieds des gouvernements irakiens de coalition entre les coteries sont allées d’échec en échec. Et lorsque, sous la présidence d’Obama, les USA ont officiellement retiré leurs troupes d’Irak à la fin 2011 (tout en y laissant des conseillers militaires et des milices privées), la coalition gouvernementale qu’ils avaient mise en place, sous l’égide d’un premier ministre représentant les notables chiites du pays (Maliki remplacé depuis 2014 par Al-Abadi), a tout de suite éclaté. Les guerres de clans ont pris plus que jamais la couleur de guerres communautaires entre chiites et sunnites. Le régime de Maliki (premier ministre de 2006 à 2014) a par exemple orchestré une vaste migration vers la capitale de populations venant des régions chiites (sud et est du pays), pour mettre en minorité à Bagdad la population d’origine sunnite.

Mariage de raison

En choisissant de s’appuyer, faute de mieux, sur les notables chiites, proches de leurs homologues d’Iran, les USA savaient fort bien qu’ils donnaient des atouts au gouvernement iranien. Et qu’ils allaient avoir à collaborer avec lui.

Quant aux vastes opérations de répression dans les régions nord du pays, menées par le gouvernement de Maliki, elles sont en grande partie à l’origine de l’apparition de ces bandes armées de l’État islamique (EI) qui terrorisent les populations, mais qu’il faut surtout combattre depuis qu’en envahissant l’an dernier le nord de l’Irak, elles ont contribué à déstabiliser ce pays si riche en pétrole. C’est au départ en Irak que ce groupe s’est formé et a recruté dans les populations réprimées par les troupes de Maliki, avant de fuir en Syrie, et d’en revenir plus tard conquérir une partie du nord de l’Irak. Et c’est la volonté de stopper l’avancée de cette bande armée en Irak, sans envoyer eux-mêmes des troupes au sol, qui a motivé la première collaboration militaire réelle, même si non officielle, des USA avec l’Iran.

La situation en Afghanistan, après des années d’occupation militaire occidentale à laquelle la France aussi a pris sa part, laissant un gouvernement « ami » incapable de contrôler le pays, pousse également dans le sens d’un rapprochement avec l’Iran. D’autant que les liens sont grands entre les deux pays, une langue majoritaire en Afghanistan proche de l’iranien, une forte immigration afghane dans les usines et les chantiers d’Iran.

L’interminable guerre de Syrie prêche de même. Les grandes puissances occidentales ont laissé pourrir la situation, tout en encourageant leurs alliés régionaux, Arabie Saoudite, Qatar, Turquie à financer et armer chacun la milice anti-Assad de son choix. L’importance prise par l’une d’entre elles, l’État islamique, incitent ces mêmes grandes puissances à prendre langue et collaborer discrètement contre cet EI avec le régime de Assad, lui-même depuis le début soutenu par l’Iran et les milices libanaises pro-iraniennes du Hezbollah. Reste peut-être Hollande, toujours plus va-t-en-guerre que les autres !

Alors qu’importe les vieilles rancunes ou concurrences, sur un échiquier sans cesse changeant ? Les USA mis en difficulté… changent de fous !

Billard américain à trois bandes

Ce retournement ne fait pas le bonheur des alliés actuels des USA dans la région. Pas le bonheur d’Israël évidemment, même s’il donne à Netanyahou l’occasion de brandir la menace du danger nucléaire iranien pour alimenter sa propagande belliciste et flatter son extrême droite la plus anti-palestinienne.

Mais il ne fait pas le bonheur non plus de l’Arabie Saoudite qui voit son rôle de gendarme menacé d’affaiblissement au profit de son principal concurrent régional. Un rôle de gendarme que l’Arabie Saoudite s’empresse de jouer en ce moment même chez son voisin du sud, le Yémen, à coups de bombardements qui font plus de victimes dans la population de la capitale Sanaa, que dans les rangs des milices « houthistes » qui avec le soutien de l’Iran s’efforcent de renverser le président yéménite en place.

Pragmatique, Obama épaule néanmoins l’allié saoudien dans cette opération, les repérages de drones américains pilotant les bombardements saoudiens. Ce qui est aussi une façon pour les USA de choisir les cibles et de contrôler, voire limiter, la guerre entreprise par le gouvernement de Riyad, dont Obama peut craindre qu’elle mette davantage encore le feu aux poudres.

Ce jeu de ricochets, où finalement l’ennemi de votre ami est votre ami, peut paraître incompréhensible. Mais c’est en tentant de s’appuyer sur toutes les dictatures, sur tous les pouvoirs réactionnaires de la région, rivaux entre eux, tout en veillant à ce qu’aucun d’eux ne devienne assez fort pour se passer de son mentor, que les grandes puissances dominent le Moyen-Orient ou l’Afrique. Et surtout en écrasent ainsi les peuples pour mieux piller les richesses. La longue histoire des relations entre les USA et l’Iran (voir notre encadré ci-contre) est là pour le prouver.

Enrichissement de l’uranium ou enrichissement des pétroliers ?

Les raisons de ce marchandage sont plus faciles à voir du côté iranien. D’abord parce que n’est pas l’Iran, même à l’époque de Khomeiny après la chute du shah, qui avait décidé de rompre avec les USA. Ce sont les USA qui, venant de perdre leur allié, le shah d’Iran, avaient tenté d’asphyxier le nouveau régime, en encourageant une guerre Iran-Irak et en imposant au pays un embargo économique que les autres puissances occidentales, en bons toutous, se devaient d’appliquer elles aussi.

35 ans plus tard, cet embargo économique pèse lourdement sur l’économie du pays. Surtout que la chute des prix du pétrole a gravement réduit les ressources de l’Iran qui ne peut exporter qu’une faible partie de ses capacités de production. L’Iran produisait 6 millions de barils par jour avant 1979, essentiellement tournés vers l’exportation. Sa production est réduite aujourd’hui à 2,8 millions de barils par jour, dont 1,1 million exporté. Si bien que l’économie iranienne est en crise.

La presse et la télévision françaises ont fait état de manifestations de liesse dans les rues de Téhéran à l’annonce de la signature de l’accord de Lausanne. Il est bien difficile de savoir ce qu’elles représentaient réellement : soulagement d’une petite bourgeoisie qui depuis longtemps place ses espoirs du côté de l’Occident ? Manifestations en faveur du gouvernement actuel ? Ou réel soulagement de voir peut-être levées bientôt les mesures d’embargo économique dont la population iranienne fait les frais ?

Cette levée de l’embargo était pour le gouvernement iranien l’essentiel à marchander à Lausanne en échange de ses concessions sur le nucléaire. Mais les occidentaux n’ont pas cédé pour l’instant sur ce point. Une levée progressive de l’embargo ne viendrait qu’après la signature de l’accord final en juin, et après avoir pu contrôler que l’Iran ait réduit la voilure de ses équipements nucléaires.

La population iranienne en profitera-t-elle un peu ? L’ouverture à l’Occident se traduira-t-elle aussi par un desserrement de l’étau de la dictature iranienne ? Profitera-t-elle à l’emploi ? Peut-être, en retombées collatérales de l’accord. Et alors tant mieux.

Mais on en est loin, car les impérialistes ne font pas de cadeau. Par contre ils font aussi leurs hypothèses. Et les trusts occidentaux commencent à lorgner sur les investissements qui pourraient s’ouvrir à eux, dans ce pays si riche en ressources pétrolières. Ils se voient déjà en premiers bénéficiaires de la détente.

2 mai 2015, Olivier BELIN

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