Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 99, mai-juin 2015 > DOSSIER : Russie, après 1998 et 2008, jusqu’où la nouvelle crise (...)

DOSSIER : Russie, après 1998 et 2008, jusqu’où la nouvelle crise ?

La dégringolade du prix du pétrole et les sanctions économiques font plonger l’économie russe

Mis en ligne le 14 mai 2015 Convergences Monde Économie

Croissance nulle en 2014 et récession attendue en 2015, effondrement du rouble et inflation galopante, suppression de milliers d’emplois et salaires impayés… La Russie traverse une nouvelle crise qui, dans les milieux populaires, renvoie aux deux précédentes qu’ils avaient, en 1998 et 2008, chèrement payées.

Plus d’une centaine de banques ont fermé leurs portes depuis début 2014. Endettées, empêtrées dans des créances douteuses, fragilisées par la crise monétaire, l’évasion des capitaux et les sanctions occidentales en riposte à la guerre dans l’est de l’Ukraine (dont USA et UE rejettent la responsabilité sur l’ingérence militaire de la Russie), un quart des banques russes seraient au bord de l’asphyxie. Il faut dire que le pays en compte plus de 800, qui ont poussé comme des champignons dans les années 1990 et dont beaucoup servent à couvrir les détournements et trafics en tous genres – comme nombre de banques occidentales, il est vrai. Les magnats de la finance aimeraient profiter de la crise pour diviser ce nombre par trois ou quatre, si bien que, malgré un plan de 18 milliards d’euros pour renflouer l’économie, le gouvernement laisse couler les petits établissements.

Le secteur automobile, symbole de la relance des années 2000, est, lui aussi, à la peine, après une chute des ventes de 7 % au premier semestre 2014. Prétexte aussitôt saisi par le patronat pour licencier : c’est ainsi qu’AvtoVAZ [1], connu pour sa marque Lada, a réduit ses effectifs de 11 000 postes entre janvier et juillet 2014 et a annoncé 25 000 suppressions d’emplois supplémentaires d’ici 2020. Les grands constructeurs occidentaux, à commencer par General Motors et sa marque Opel, ont, tout récemment, annoncé aussi leur retrait partiel mais notable, avec licenciements voire fermetures de sites à la clé. Seuls BMW et Mercedes (qui vendent aux riches !) maintiendraient leurs performances.

D’autres secteurs sont touchés par l’assèchement des finances, causé par l’effondrement du rouble et les sanctions occidentales. Le gouvernement intervient massivement pour éviter de trop grosses faillites. La compagnie gazière Gazprom, détenue majoritairement par l’État, a été renflouée de 50 milliards, après avoir annoncé des pertes pour la première fois depuis 2008, notamment du fait des retards de paiement ukrainiens. VTB et Rosselkhozbank, deux grandes banques publiques, ainsi que Rosneft, trust public du pétrole, ont également bénéficié de largesses du gouvernement se chiffrant en milliards.

Pétrole, rouble, croissance, tout s’effondre… sauf les prix

Malgré l’intervention étatique, la croissance a été nulle en 2014 et l’on s’attend à ce qu’elle soit négative en 2015, entre – 3 et – 4,5 %. C’est que l’économie russe est confrontée à une accumulation de problèmes. Son industrie, qui représente toujours un tiers des emplois, manque d’investissements, alors que sa technologie vieillit. La productivité est trop faible pour concurrencer les pays avancés sur les biens manufacturés. Les effets des sanctions économiques et de la chute du cours du pétrole aggravent la situation.

Le conflit ukrainien a eu un impact négatif en provoquant une fuite de capitaux. La crainte d’une aggravation du conflit incite les capitalistes à investir ailleurs. Au premier semestre 2014, les exportations de capitaux de Russie ont ainsi été multipliées par quatre. La bourse de Moscou a connu ses haut-le-cœur à chaque péripétie du conflit. Le 3 mars 2014, en pleine crise de Crimée, l’indice MICEX, le CAC 40 russe, a dévissé de 14 % en une journée. Et ce fut la même chose lors de l’intensification du conflit au Donbass en juillet. Ensuite, les sanctions imposées par les États occidentaux ont fragilisé les entreprises russes. États-Unis, Canada, Japon, Union européenne et d’autres ont déployé un ensemble de restrictions : interdiction de séjour de responsables politiques, restrictions commerciales pour une liste croissante d’entreprises, notamment de l’armement, de l’énergie et de la finance, limitation de l’accès aux financements pour les banques, etc. Le principal effet des sanctions est de compliquer le financement des entreprises et banques russes, qui ne peuvent plus s’appuyer sur les banques occidentales. D’où des difficultés de trésorerie et des risques de faillites. Enfin, les contre-sanctions adoptées par Poutine se retournent in fine contre lui, mais surtout contre les travailleurs de Russie : les restrictions aux importations de denrées alimentaires, qui couvrent une grande part de la consommation (30 % pour la viande et les légumes, 40 % pour les produits frais), provoquent des pénuries et une hausse des prix, alors que ceux-ci étaient déjà tirés vers le haut par la chute du rouble.

La dégringolade du cours du pétrole, passé de 100 à 45 dollars le baril entre juin et décembre 2014, a elle aussi dégradé la situation à de multiples niveaux. La production et la distribution d’hydrocarbures représentent autour de 20 % du PIB (la proportion varie selon les estimations) et la variation des cours a donc eu un impact direct sur la « croissance ». De plus, les hydrocarbures (pétrole brut, gaz et produits du raffinage) représentant les deux tiers des exportations de la Russie, la baisse des cours a entraîné une dégradation importante de la balance commerciale. D’où un écroulement du rouble, qui a perdu 42 % de sa valeur face au dollar en 2014 et a provoqué à son tour une spirale inflationniste du fait du renchérissement des marchandises importées : les prix ont augmenté de 11,4 % en 2014. Enfin, la baisse des cours du pétrole a grevé le budget de l’État puisque les compagnies gazières et pétrolières fournissent 41 % de ses recettes. Cela pèse d’autant plus que le gouvernement a précisément besoin de fonds pour renflouer les entreprises et soutenir le rouble (13 milliards de dollars ont été puisés dans les réserves de change en soutien au rouble). Mais Poutine a pu utiliser les réserves accumulées durant les années d’envolée des cours pour financer sa politique de soutien aux entreprises.

Il est compliqué de démêler ce qui, parmi les multiples facteurs qui contribuent à la crise, pèse le plus et dans quelle proportion. Le poids exact des sanctions est difficilement mesurable. Mais ce qui est sûr, c’est que les travailleurs en sont les premières victimes. Ce sont eux qui subissent la crise, avec son lot de chômage, de hausses de prix et de salaires réduits ou impayés.

Maurice SPIRZ


Indépendance de l’Ukraine ?

Areva vient d’annoncer avoir emporté le contrat d’approvisionnement en uranium enrichi des centrales ukrainiennes que possède la compagnie Energoatom (entreprise ukrainienne d’État). L’entreprise française met donc un pied supplémentaire dans le nucléaire ukrainien, après avoir obtenu les contrats de traitement et stockage des déchets en 2011. C’est un secteur qui, avec le gaz de schiste et l’armement, intéresse les multinationales occidentales.

En août dernier, le groupe anglo-néerlandais Shell et l’américain Chevron avaient obtenu des droits d’exploitation de gisements de pétrole en Mer noire. Au forum économique de Davos de septembre dernier, Shell avait signé un contrat avec le Premier ministre ukrainien pour l’exploitation de gisements de gaz de schiste dans les régions de Donetsk et de Kharkiv. Le montant de l’accord s’élevait à 10 milliards de dollars. Ayant suspendu la mise en exploitation suite aux affrontements qui ont embrasé ces régions, Shell a néanmoins fait savoir qu’elle gardait tout son intérêt pour l’affaire.

De grandes firmes européennes et américaines proposent ainsi au gouvernement ukrainien des solutions pour son « indépendance » vis-à-vis de la Russie. Entendez par là pour sa dépendance vis-à-vis des intérêts de leurs trusts à elles, puissances occidentales. Ce dont, en février dernier, le président ukrainien Porochenko s’empressait de se féliciter. Selon lui, grâce au gaz de schiste, l’Ukraine serait « indépendante de la Russie pour l’énergie ». Il faut rappeler que l’approvisionnement de l’Ukraine en hydrocarbures russes et le transit de ceux-ci vers l’Europe par ce pays qui en était une plaque tournante, est un des principaux casus belli de la situation de guerre.

Pétrole, gaz de schiste, uranium... Gazprom contre Shell ou Areva... « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels... », écrivait Anatole France à propos de la Première Guerre mondiale. Une histoire dont on n’est pas encore sorti !

Samuel TERRAZ


Navires Mistral : beaucoup de vent pour rien ?

Le 25 novembre, le gouvernement français décidait de suspendre la livraison à la Russie de deux navires de guerre Mistral produits dans les chantiers navals de Saint-Nazaire. Il mettait ainsi à exécution l’ultimatum, lancé par Hollande trois mois plus tôt, destiné à faire pression contre l’intervention de soldats russes dans l’est de l’Ukraine. Coup dur pour la Russie ? Ou bien pour le gouvernement français, qui voit passer sous son nez un contrat de 1,2 milliard d’euros ? En tout cas, ce n’est pas de plein gré que la livraison a été suspendue. Il a fallu d’insistantes pressions américaines et européennes (Royaume-Uni, Allemagne, Pologne, Lituanie, etc.) car, pendant que la Crimée était annexée par la Russie, il y a un peu plus d’un an, des marins russes poursuivaient tranquillement leur formation dans le port de Saint-Nazaire.

Aujourd’hui encore, le gouvernement tourne autour du pot. Hollande affirme que, si les navires n’étaient pas livrés, l’avance versée par la Russie serait remboursée. Quelle audace ! Côté russe, Poutine joue les grands princes. Lors d’une séance de questions-réponses avec la population (qui a duré quatre heures, mais c’est l’habitude !), il rassure : « Les Français sont des gens bien élevés, ils nous rendront l’argent. Nous ne voulons pas exiger d’amendes, de compensations extravagantes ». Il se fait même le défenseur de nos emplois : « Nous avions conclu ce contrat avant tout pour soutenir nos partenaires et assurer une charge de travail pour leurs chantiers navals ».

Question pression, c’est raté ! On voit d’ailleurs mal Poutine lâcher l’Ukraine pour deux bateaux... même s’il s’agit de monstres de technologies ! Il n’est donc pas exclu que ce soit le gouvernement français qui craque, du moins qui attende des jours meilleurs en croisant les doigts. Ni le sort des Ukrainiens, ni les emplois à Saint-Nazaire ne le préoccupent. Seulement la meilleure diplomatie pour sauvegarder les profits des entreprises dont il se fait le garant.

M.S.


[1À noter que Renault-Nissan contrôle 50,01 % du capital de cet ex-vieux fleuron de l’industrie automobile soviétique, par le moyen d’une holding et de combines financières opaques.

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article