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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 24, novembre-décembre 2002 > DOSSIER : Pétrole : ces trusts qui saignent la planète

DOSSIER : Pétrole : ces trusts qui saignent la planète

L’OPEP : le faux épouvantail

Mis en ligne le 22 novembre 2002 Convergences Monde

Dans les années 1950 la production pétrolière mondiale reste sous la coupe des compagnies étrangères qui contrôlent l’exploitation et se contentent de verser des impôts aux Etats. Au Venezuela, en Arabie Saoudite, c’est le principe du fifty-fifty : la compagnie verse 50 % de son bénéfice aux gouvernements. Mais ce bénéfice est calculé sur la base des prix « postés », décidés par les compagnies pétrolières de façon arbitraire et largement sous-évalués (la même compagnie exploitant, transportant, raffinant et distribuant, se vendant en fait à… elle-même). Et certains sont encore plus mal lotis : la Libye perçoit alors 30 cents par baril de pétrole, 3 fois moins que l’Arabie Saoudite.

On comprend qu’Etat et bourgeoisie des pays producteurs aient senti une envie grandissante de remettre tout cela en question. Certains l’avaient d’ailleurs déjà tenté. En 1938 au Mexique, les compagnies pétrolières avaient été nationalisées. Même chose en Iran en 1951 sous la direction de Mossadegh, un nationaliste réformateur. Mais il est renversé en 1953 et l’Anglo-Iranian company (future BP) rétablie dans… « ses droits ».

Maintenir des revenus stables

Lorsqu’en 1959, la Shell et BP décident unilatéralement de réduire de 9 % les prix du pétrole au Proche-Orient, certains dirigeants de ces pays tentent de se concerter. C’est le point de départ de la constitution de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) en 1960, à l’initiative de l’Iran, l’Irak, l’Arabie Saoudite, du Koweït et du Venezuela. Ils représentent alors 38 % de la production mondiale et se donnent pour objectif d’agir conjointement pour maintenir des revenus stables face aux compagnies pétrolières.

Celles-ci refusent d’abord de reconnaître l’OPEP, qui pourra néanmoins empêcher de nouvelles réductions unilatérales des prix nominaux au cours des années 1960. Elle se renforce alors avec de nouvelles adhésions : celle du Qatar en 1961, de l’Indonésie et de la Libye en 1967, des Emirats Arabes Unis en 1967, de l’Algérie en 1969 et du Nigeria en 19711.

L’apogée…

En 1970, alors que la valeur du dollar s’effrite, l’OPEP demande la renégociation des prix et des contrats avec les compagnies. Elle obtient en 1971 une première satisfaction à Téhéran : une hausse du prix de 35 cents par baril est décidée et l’impôt sur les bénéfices est porté à 55 % pour tous les pays du Golfe.

Puis entre octobre 1973 et janvier 1974, le prix du baril est multiplié par 4 et passe d’un peu plus de 2 $ à 10 $. Une deuxième montée brusque des prix a lieu en 1979, et le baril atteint 34 $ en 1982, un prix multiplié donc par 11 depuis 1973. L’OPEP semble imposer ses prix aux compagnies pétrolières et aux pays importateurs. Certains disent même que le cartel de l’OPEP a remplacé le cartel des majors sur le marché du pétrole.

D’autant plus qu’au cours des années 1970 et 1980, l’essentiel de la production pétrolière des pays de l’OPEP passe aux mains de compagnies nationales. Le plus souvent, c’est grâce aux nouveaux revenus pétroliers engrangés par l’Etat (ceux des pays de l’OPEP ne sont-ils pas passés de 12 milliards de dollars en 1971 à 128 milliards en 1977 !) que les parts des compagnies étrangères sont rachetées. C’est pourtant dans la plupart des cas des transitions en douceur, ces compagnies ayant été largement remboursées et restant liées par des accords de service à la production pétrolière.

…et la chute

L’aubaine, toute relative, ne va pas durer très longtemps. Le temps où les « majors » fixaient des prix « postés » est révolu. Mais le marché mondial du pétrole est alimenté pour une part de plus en plus grande par une production venant d’autres pays que ceux de l’OPEP. Sa mise en place est aussi accélérée par la fin des mesures protectionnistes aux Etats-Unis, qui représentent un quart de la consommation mondiale au début des années 1980. Désormais il y a un prix mondial unique décidé en dehors de l’OPEP et qui s’impose à elle et non l’inverse. Au milieu des années 1980, celle-ci cesse d’ailleurs d’annoncer ses prix officiels.

Il lui reste seulement de tenter de peser sur les cours. Difficile face aux compagnies qui contrôlent encore une bonne part de la production mondiale et l’essentiel du raffinage et de la distribution. Les Etats de l’OPEP auraient bien une arme : moduler leur part de marché, fixer des quotas de production qui devraient réduire l’offre de pétrole et provoquer la hausse des cours. Mais cela exigerait une forte cohésion entre ses membres. Or chaque Etat demeure tenté de vendre plus pour accroître ses revenus. De plus l’Iran et l’Irak, ces deux pays clés de l’OPEP, s’engagent en 1980 dans un conflit impitoyable. Pas question évidemment de respecter les quotas. Ils vendent leur pétrole à bas prix pour financer la guerre et contribuent à une chute des cours. Puis les dissensions internes de l’OPEP sont encore exacerbées par la guerre du Golfe. Un Etat membre, l’Irak, en a envahi un autre, le Koweït, puis d’autres ont pris le parti des Etats-Unis contre l’Irak.

De toute manière, même si il y avait cohésion entre les membres, pour que les décisions de l’OPEP aient un impact, il faut qu’elle contrôle une partie significative du marché. C’est de moins en moins vrai. La hausse des prix à partir de 1974 a permis le développement de nouvelles exploitations, comme la production offshore en Mer du Nord ou le développement des gisements africains. Et les Etats-Unis et l’URSS représentent à eux deux, à partir de 1982, une production pétrolière comparable à la part de l’OPEP, environ 30 %.

L’Arabie tenta un moment de s’opposer à la baisse des prix en limitant sa production jusqu’en 1985 (le tiers cette année-là de celle de 1980). Mais elle dût vite jeter l’éponge. Au bout du compte, le marché a imposé un prix du pétrole certes supérieur à celui des années 1960 mais bien inférieur aux prix les plus élevés atteints dans les années 1970.

Bilan provisoire

L’OPEP est aujourd’hui un regroupement de 11 pays disparates. Le PNB du Nigeria est de 315 $ par habitant, c’est un Etat parmi les plus pauvres de la planète. A l’autre extrémité, le PNB du Qatar atteint les 28 000 $/habitant.

Les monarchies pétrolières du Golfe (Qatar, Koweit, Emirats Arabes Unis, et dans une moindre mesure Arabie Saoudite), ont bénéficié d’une importante manne pétrolière pour une faible ou très faible population. Leurs classes dirigeantes ont réinvesti… en Occident. Des pays comme l’Irak, l’Iran, le Venezuela, avec une population importante, ont tenté un développement industriel et ont subi d’autant plus durement les baisses de prix ultérieures.

Pour tous toutefois, la période faste des années 1970 est belle et bien finie. Compte tenu de l’inflation, le revenu pétrolier par habitant en Arabie Saoudite est passé depuis 20 ans de 24 000 à 2 600 dollars (alors que la population n’a fait que doubler pendant cette période).

Les « majors » même reprennent peu à peu une place dans les pays de l’OPEP. Les compagnies étaient restées très présentes au Nigeria, trop pauvre pour vraiment nationaliser l’industrie pétrolière. En Algérie, en Libye, aux Emirats Arabes Unis, plusieurs compagnies internationales ont déjà des filiales ou des participations. Même l’Arabie Saoudite est en négociation pour concéder l’exploitation de gisements de gaz naturel à des compagnies étrangères. On imagine la situation de l’Irak demain, mis à genoux par la guerre et l’embargo.

Un retour de l’OPEP ?

La question a été posée en 1999, quand l’OPEP paraissait reprendre de la vigueur. En 1998, les cours avaient atteint un cours particulièrement bas (12 $ le baril). Les compagnies pétrolières annonçaient de mauvais résultats (baisse des profits de 34 % en moyenne). L’OPEP a alors relancé une politique de quotas, se donnant pour objectif de stabiliser les cours entre 22 et 28 $. Ce fut fait en 2000. Mais pour aboutir à ce résultat, l’OPEP a dû compter sur le soutien d’autres pays, Norvège, Mexique ou même Russie. Heureusement pour elle, alors les intérêts de tous les producteurs et des compagnies allaient dans le sens du relèvement des cours.

Mais depuis la Russie a cessé de respecter ses quotas, et annoncé sa volonté de conquérir des parts de marché. Au sein de l’OPEP, l’Algérie, le Nigeria et d’autres dépassent les leurs. A la suite du ralentissement de l’économie qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001, les cours du pétrole ont à nouveau baissé pendant plusieurs mois, sans que l’OPEP n’y puisse quoi que ce soit. Les prix sont revenus dans la fourchette 22-28 dollars, objectif de l’OPEP, mais la principale raison en est l’inquiétude des marchés face à la guerre annoncée en Irak.

Contrairement au mythe intéressé répandu un certain temps, jamais l’OPEP n’a eu les moyens de faire la pluie et le beau temps sur les marchés pétroliers. Et qans doute encore moins aujourd’hui que dans les années 1970.

Michel CHARVET


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Evolution du prix du baril du pétrole exprimé en dollars 1973 (source : OPEP)

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