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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 139, juin 2021 > Israël / Palestine

Israël / Palestine

Israël – Palestine : après la guerre, les contradictions ressurgissent

Mis en ligne le 26 mai 2021 Convergences Monde

Entre Gaza et Israël, les tirs de roquettes et de missiles ont provoqué plusieurs centaines de morts en quelques jours, presque tous Palestiniens. Aux images des immeubles effondrés et des secours en action, s’ajoutent les démonstrations militaires des forces en présence. Chaque camp se présente désormais en vainqueur des affrontements armés qui ont ensanglanté la région. Le Hamas a montré qu’il était un acteur politique et militaire majeur. Israël a fait la démonstration de son « dôme de fer » de protection anti-missiles, et a riposté avec une brutalité sans comparaison avec l’attaque.

Pourtant, la guerre n’a pas commencé à Gaza, mais à Jérusalem. Les enjeux qui ont prévalu à cet affrontement militaire touchent au premier chef à la situation en Israël même.

La force des armes n’a été qu’un moyen comme un autre de faire taire la politique en Israël et dans les territoires occupés. Il est nécessaire de reprendre le fil des événements depuis le début, pour comprendre l’apparition du nouveau rapport de force.

La contestation part de Jérusalem…

Depuis mi-avril, les manifestations de jeunes Palestiniens s’opposent à la police à Jérusalem, et les affrontements provoquent plus d’une centaine de blessés [1]. Ils protestent contre l’expulsion d’une quarantaine de Palestiniens de leurs maisons, dans le quartier de Sheikh Jarrah, au nord de la vieille ville, dans la partie occupée depuis 1967. Face à eux, des groupes israéliens d’extrême droite multiplient les provocations aux cris de : « Mort aux Arabes  » !

Les injustices provoquées par la colonisation israélienne sont quotidiennes : les jeunes et les habitants de Sheikh Jarrah s’opposent depuis des années à de telles expulsions face à la police et la justice. La force de leur mobilisation survient cette fois dans un moment particulier de la vie politique, du côté palestinien comme du côté israélien.

Le 30 avril, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, annonce le report des élections législatives palestiniennes prévues pour le 22 mai, tant que la situation à Jérusalem et l’attitude de la force d’occupation israélienne ne permettront pas de tenir un scrutin, les candidats étant menacés d’arrestation et les électeurs n’étant pas tous reconnus. Une décision qui surprend à plus d’un titre du côté palestinien.

Abbas, dirigeant du Fatah [2], est depuis 2005 à la tête d’une Autorité palestinienne corrompue, et très critiqué pour cela. Mais depuis la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza en 2007, aucune élection n’a eu lieu, ce qui lui vaut de conserver son poste, à 85 ans. Dans le cadre d’un accord de réconciliation entre le Fatah et le Hamas, ces nouvelles élections devaient permettre aux différents mouvements palestiniens d’y participer, dans l’ensemble des territoires occupés : en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem.

Le Hamas se retrouve donc écarté du jeu politique palestinien. Il exige le maintien des élections, en vain : la réconciliation nationale a fait long feu.

… Et s’étend à la Cisjordanie…

Un fait nouveau apparaît. Des manifestations réunissent plusieurs centaines de Palestiniens en Cisjordanie : des jeunes, des militants, qui ne sont pas forcément sous l’influence du Hamas. À Ramallah, les jeunes issus d’une génération qui n’a pas connu d’élections côtoient les opposants à Abbas au sein du Fatah, de plus en plus nombreux, au point d’avoir constitué plusieurs listes dissidentes. Selon les sondages, ces listes progressent fortement, alors que les partisans d’Abbas perdent du terrain et que le Hamas reste stable [3].

L’annulation des élections est vue pour ce qu’elle est : une manœuvre de plus pour se maintenir en place, par un président vieillissant et sans aucune autre perspective que de confisquer une part de pouvoir.

… Avant d’atteindre les Arabes israéliens !

Les habitants de Jérusalem ne roulent ni pour le Fatah, ni pour le Hamas, mais ils ont réussi à ajourner les expulsions. Devant la force de la contestation, la Cour suprême israélienne reporte son jugement d’un mois. Le pouvoir israélien recule.

Une nouvelle manifestation de l’extrême droite juive [4] prévue le 11 mai et qui doit traverser les quartiers arabes de la ville, dans une provocation manifeste, est annulée sur décision des autorités israéliennes. Malgré les coups de matraque, les canons à eau, les balles en caoutchouc et les arrestations, la police est incapable de garantir la sécurité des extrémistes israéliens [5].

Et la mobilisation continue de s’étendre.

Les Arabes israéliens descendent eux aussi dans la rue, mais en Israël même cette fois [6], où ils sont près de deux millions, citoyens de seconde zone depuis 1948. Pourtant, ils ne se mobilisent pas souvent avec une telle ampleur. Des manifestations ont lieu à Jisr A-Zarqa, Wadi Ara et Saint-Jean-d’Acre, à Jaffa, à Tel Aviv et à Beersheva…

Car depuis 2018, depuis la loi sur « l’État-nation du peuple juif » [7], leur situation devient de plus en plus précaire. Bien sûr, leurs droits civiques ont été réduits depuis les origines de l’État d’Israël et leurs conditions de vie ne sont pas celles de l’ensemble des Israéliens. Mais désormais, la droite israélienne veut graver dans le marbre leur infériorité. Le temps leur est compté : ce qui arrive aux Palestiniens à Jérusalem, ou dans les territoires occupés, peut leur arriver demain. La solidarité avec les autres Palestiniens n’en devient que plus évidente.

L’extrême droite israélienne provoque et se lance dans de véritables pogroms anti-palestiniens. À Lod, un homme meurt dans les affrontements tandis qu’un autre, éjecté de sa voiture par les militants d’extrême droite car soupçonné d’être Arabe, est roué de coups et grièvement blessé sous les coups d’une foule hystérique [8]. Un magasin juif est incendié, et les violences inter-communautaires prennent de l’ampleur à Jaffa, Lod, Ramle et Acre, visant des Arabes puis des juifs en retour. L’extrême droite les alimente sciemment, tandis que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou déclare hypocritement : « ce qui se passe depuis ces derniers jours dans les villes d’Israël est insupportable… rien ne justifie le lynchage d’Arabes par des Juifs et rien ne justifie le lynchage de Juifs par des Arabes. »

Mais ce n’est pas ce qui fait faiblir la mobilisation.

La guerre du Hamas pour sortir de l’isolement

Depuis 2005, le Hamas a renoncé aux attentats suicides, mais pas à la lutte armée. En 2017, il a reconnu la ligne de partage de 1967 avec « l’occupant sioniste » et il a donc adopté la solution à deux États comme perspective de règlement du conflit [9]. Enfermé dans Gaza, il a tenté de renouer le dialogue avec les autres composantes du mouvement national palestinien à travers un processus de réconciliation.

Mais, critiqué pour son pouvoir dictatorial à Gaza, écarté des institutions par l’annulation des élections, peu présent à Jérusalem et en Israël, le Hamas est marginalisé par les événements. Il tente alors d’en reprendre la direction. Pour cela, la guerre est un dérivatif. Dès le 10 mai, il lance des centaines de roquettes et de missiles sur le territoire d’Israël, une démonstration de force mais surtout un coup de force.

En diffusant les images de son arsenal, le Hamas fait étalage de ses missiles portant jusqu’à 120 kilomètres (jusqu’à Tel Aviv) ou même 250 kilomètres (soit l’ensemble du territoire israélien). En tirant jusqu’à 470 roquettes en une journée, il cherche à saturer le système de défense anti-missiles israélien [10].

Une menace importante, peut-être, mais surtout un moyen de déplacer la lutte sur le terrain qui lui convient, et de mettre au pas la société palestinienne qui était à l’origine de la contestation. Les tirs de l’armée israélienne répondent à ceux du Hamas, avec une violence aussi aveugle mais bien plus meurtrière. Plus de 200 morts, dont 64 enfants. On peinerait à trouver des objectifs militaires parmi les bâtiments détruits, que ce soit un hôpital ou une tour de télévision… Le Hamas, pour des raisons politiques, veut renvoyer le peuple palestinien à un rôle de martyr. C’est ainsi qu’on étouffe la politique venue d’en bas. Mais rien ne dit que cela sera suffisant.

Netanyahou et le Hamas se proclament vainqueurs

Le 20 mai, le cessez-le-feu met fin à dix jours de combats. Le gouvernement israélien de Netanyahou a montré sa force. Il a donné une correction aux Palestiniens de Gaza et pense qu’ils n’oublieront pas la leçon. Pourtant, Netanyahou est intervenu dans une position plus que fragile. De nouvelles élections législatives israéliennes ont eu lieu en avril 2021, faute de parvenir à un accord majoritaire entre les partis de la Knesset (le parlement d’Israël), après celles d’avril 2019, de septembre 2019 et de mars 2020. Netanyahou et son parti du Likoud conservent encore la première place, mais avec seulement 24 % des voix. Accusé de corruption, Netanyahou retarde autant que possible la procédure judiciaire. Pour gouverner, il doit former une coalition avec tous les mouvements d’extrême droite, laïcs et religieux, qui s’affirment élection après élection. Netanyahou leur donne une visibilité nouvelle, qui les pousse toujours plus loin dans la provocation contre les Palestiniens. Au risque d’être critiqué aussi, jusqu’aux États-Unis [11], où des mouvements juifs américains de plus en plus nombreux remettent en cause sa politique en Israël, ses alliances avec l’extrême droite hongroise ou polonaise, et l’occupation militaire des territoires palestiniens. La fin du mandat de Trump n’arrange pas les affaires du gouvernement israélien, d’autant que les Israéliens eux-mêmes sont sensibles au regard des Juifs américains et de l’administration Biden.

Tiraillé entre le soutien aux franges extrémistes dont il a besoin, et une situation qui peut devenir explosive autour des expulsions à Jérusalem, Netanyahou a vu à ce moment son salut dans la militarisation de la lutte, voulue par le Hamas, et les extrêmes droites nationalistes se renforcent mutuellement dans un affrontement presque codifié : tirs contre tirs, une escalade que chacun espère maîtriser jusqu’à une trêve qui permette le retour au calme.

Du coup, le Fatah ne peut rester à l’écart. À son tour, il doit montrer sa force, et il choisit le terrain de la mobilisation populaire, appelant à une « journée de colère » et à une grève générale. Il y a grève générale et grève générale. Pour Abbas et le Fatah, l’objectif est de mettre le mouvement social au service du mouvement national. Il n’empêche, les travailleurs et les classes populaires sont appelés à l’action, car le Fatah voit bien qu’ils ne résignent pas à jouer les martyrs.

Un mouvement qui n’a pas dit son dernier mot

Le 18 mai, ce sont non seulement les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem mais aussi les Arabes israéliens, à Acre et à Nazareth sur le territoire même d’Israël, qui se mobilisent à nouveau [12]. Des affrontements ont lieu avec l’armée et la police. Plus de vingt morts en Cisjordanie depuis le 10 mai qui s’ajoutent aux victimes de Gaza.

Cette journée et les suivantes confirment l’entrée en scène des Arabes israéliens, du moins d’une frange d’entre eux, à l’intérieur d’Israël, et qui désormais ne seront plus les spectateurs de la lutte des Palestiniens à l’extérieur d’Israël. Et surtout, ils sont en contact avec des travailleurs et des intellectuels israéliens, qui ne sont pas tous des fous de Dieu, ni gangrenés par les idées racistes de l’extrême droite juive, loin s’en faut.

C’est bien là ce qui fait peur à tous les mouvements nationalistes, du Hamas en passant par le Likoud et le Fatah, de chaque côté des frontières de 1967. Le nationalisme voudrait subordonner toute question sociale à son propre agenda. Les armes de guerre sont rangées, provisoirement.

Malgré les prêches de Joe Biden, « la solution à deux États » est bien morte. Les lambeaux de territoires, divisés entre Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza, grignotés par les expulsions, sont plus que jamais des bantoustans [13].

Les travailleurs palestiniens qui sont entrés dans la lutte, plus largement les classes populaires qui s’y sont reconnues et qui tentent de trouver les chemins de la solidarité, de Jérusalem à Ramallah, à Gaza et Nazareth, ont les cartes en main pour mettre fin à l’apartheid en Israël, la ghettoïsation à Gaza et la colonisation en Cisjordanie.

24 mai 2021, Pierre Hélelou


[1« Les élections palestiniennes reportées tant que la tenue du scrutin n’est pas « garantie » à Jérusalem », Monde, 30 avril 2021.

[2Un parti nationaliste palestinien fondé par Yasser Arafat en 1959, principal parti de l’OLP (Organisation de la Libération de la Palestine).

[3Voir le Palestinian Center for Policy and Survey Research, dans une enquête du 31 mars : https://pcpsr.org/en/node/839. On peut aussi noter que près de la moitié des électeurs doutent que les élections se tiendront, et que 42 % d’entre eux ne pensent pas qu’elles seront libres et transparentes.

[4Le mouvement Lehava s’opose aux mariages entre juifs et non-juifs, et sa violence s’exerce contre les Palestiniens (et les demandeurs d’asile Africains).

[8« Israël : le lynchage d’un homme, considéré comme arabe par ses agresseurs, diffusé en direct à la télévision » , sur le site francetvinfo.fr , le 13 mai 2021

[9« Israël-Palestine : qu’est-ce que le Hamas, l’organisation islamiste qui contrôle Gaza ? », sur le site francetvinfo.fr , le 22 mai 2021.

[10« Israël-Palestine : ce que les vidéos révèlent de l’arsenal militaire des deux camps » Le Monde, 23 mai 2021.

[11« Jewish Americans are at a turning point with Israel », The Guardian, 22 mai 2021.

[12« Grève générale et journée de « colère » en Cisjordanie », L’Orient – Le Jour, 18 mai 2021.

[13Les bantoustans étaient des régions réservées aux populations noires et qui disposaient d’une autonomie relative à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud. A ce sujet, le député palestinien dissident du Fatah, Hussam Khader, disait déjà après la deuxième intifada : « ils nous promettent Singapour et nous aurons le Mali. ».

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