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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 79, janvier-février 2012 > Russie : Poutine de capitalisme !

Russie : Poutine de capitalisme !

Il y a vingt ans, la fin de l’URSS

Mis en ligne le 22 janvier 2012 Convergences Monde

Il y a vingt ans, fin décembre 1991, le drapeau blanc-bleu-rouge de l’ancienne Russie remplaçait le drapeau rouge marqué de la faucille et du marteau. Et l’URSS était scindée en quinze États indépendants.

C’était la « faillite du communisme » se sont réjouis ses ennemis. Voire même « la fin de l’histoire », selon un maître à penser américain. Avec le capitalisme triomphant on allait voir un monde de paix, puisqu’il n’y aurait plus deux blocs pour le menacer, et un développement sans faille. Les guerres d’Afghanistan et d’Irak n’étaient pas encore prévues au programme, ni la crise que nous connaissons aujourd’hui et dont même Sarkozy dit qu’elle rappelle celle de 1929.

Mais ce qui s’effondrait en cette fin d’année 1991, n’était pas le communisme. Tout au plus sa caricature.

Quand des « communistes » rétablissent le capitalisme

Gorbatchev, l’homme qui a initié le retour au capitalisme, et s’est vu pour cela gratifié d’un prix Nobel de la paix, était depuis 1985 Secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique, entouré d’une nouvelle génération de bureaucrates « modernisateurs ». Son challenger, Eltsine, qui l’a poussé hors de la scène politique en cette fin décembre 1991, n’était qu’un autre notable communiste, mais l’homme, entre autres, des directeurs des grands complexes industriels de la région de Sverdlovsk (son fief) qui ne rêvaient que de se mettre dans la poche « leurs » usines. Et l’homme fort de la Russie d’aujourd’hui, Poutine, était un discret fonctionnaire de la police politique du régime.

Ce sont bel et bien les sommets de l’appareil d’État lui-même qui choisissaient la reconversion.

Des « coopératives » aux privatisations

En 1986, avec Gorbatchev, sous le titre pudique de « coopératives », la création d’entreprises privées était autorisée. On a vite vu la floraison des entreprises privées, petites au début, puis d’une autre taille ensuite, sous-traitantes des entreprises d’État, créées par un ingénieur ou directeur de l’usine, ou bâties grâce aux relations dans la bureaucratie et l’appareil du parti. Et le « Centre scientifique et technique de créativité » de Komsomols (les jeunesses communistes) devenait une pépinière de création d’entreprises.

1987. Une loi sur les entreprises d’État accordait à leurs directeurs une autonomie de gestion : finie la planification, avant même son abolition légale, la régulation se ferait par le marché. Et bien avant la privatisation des grandes entreprises du pays (sous Eltsine dans les années 1992-1993, puis 1996-1998) où ils se sont copieusement servis, des dirigeants de ces grandes entreprises créaient, dès 1990, leur propre lobby pour faire pression sur les politiques gouvernementales : l’Union des Industriels et Entrepreneurs de Russie, qui regroupe aujourd’hui les principaux patrons de Russie (6 000 membres représentant 60 % du PIB de Russie en 2006 selon le livre « Qui dirige la Russie ? » de Jean-Robert Raviot [1]).

1988. La réorganisation du système bancaire autorisait la création de nouvelles banques, soit « coopératives », soit créées par les entreprises afin utiliser leurs avoirs à l’abri de tout contrôle… Le KGB n’a pas attendu le règne de Poutine pour parrainer la création de banques et d’entreprises, ainsi que des sociétés à l’étranger.

1990. Certains conseillers de Gorbatchev élaboraient un « plan de 500 jours » pour privatiser la majorité de l’économie. L’objectif était fixé. Boris Eltsine allait le réaliser deux ans plus tard, après la fin de l’URSS.

D’ores et déjà la restauration de la propriété privé et de la libre entreprise, la fin de la planification, l’abolition du commerce extérieur, la proclamation de l’économie de marché, en clair la restauration du capitalisme, libéraient tous les appétits et faisaient brusquement basculer toute la société.

De l’URSS à la Russie : l’éclatement

L’éclatement de l’URSS est officialisé en décembre 1991. La soif de liberté des peuples a été attisée, instrumentalisée par tous ces notables locaux, apparatchiks soviétiques jusque-là pour la plupart, qui voyaient l’occasion de se tailler leurs fiefs, de profiter de l’ouverture du marché mondial en y négociant, à leur propre compte, les richesses naturelles de leurs régions.

Le mécontentement qui, dans ces républiques périphériques de l’URSS était en réalité tout autant social que national, fut vite tourné sur le seul terrain du nationalisme, voire détourné vers celui de la xénophobie, avec les pogromes organisés fin février 1988 en Azerbaïdjan contre la minorité arménienne. De même les dirigeants nationalistes géorgiens qui se prétendaient partisans de la liberté de leur peuple ne voyaient pas d’un meilleur œil les aspirations des Abkhazes ou Ossètes du Sud, deux provinces incluses dans la Géorgie. D’où les guerres qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui dans le Caucase, avec ou sans intervention de la Russie selon les cas.

Les militaires putschistes d’août 1991 qui ont menacé de renverser Gorbatchev, sous la houlette du premier ministre, du ministre de l’armée, et du chef du KGB, n’étaient pas moins partisans de la restauration capitaliste que Gorbatchev lui-même ou que son rival Eltsine. Ils ne rêvaient que de la reconversion dans l’ordre. Mais dans cette grande braderie qu’était le capitalisme naissant, où chacun (parmi ceux qui avaient déjà les postes et les moyens) roulait pour soi, ils n’eurent pas beaucoup d’émules, ni du côté des responsables régionaux qui lorgnaient sur leurs chasses gardées, ni du côté des maires de Moscou ou de Leningrad (pas encore rebaptisée Saint-Pétersbourg) maîtres des affaires des deux grandes villes, ni même du côté de l’armée. Et c’est le nouveau prétendu champion de la démocratie, Eltsine (celui qui deux ans plus tard, à la tête de la Russie, allait faire tirer au canon sur le parlement), qui allait récupérer la mise.

Devenu depuis quelques mois président de la Fédération de Russie, il s’appuyait notamment sur les dirigeants régionaux et les dirigeants des républiques périphériques, qui les uns après les autres proclamaient leurs indépendances, pour pousser dehors Gorbatchev. Qu’importait l’éclatement, pour lui qui tenait dans ses mains le plus gros morceau.

Le prix de la restauration capitaliste pour la classe ouvrière

Malheureusement, tout au long de ces évènements la classe ouvrière d’URSS n’a pas réussi à intervenir en tant que telle, pour défendre ses intérêts économiques mais aussi politiques sur son terrain de classe, face à ceux qui étaient en train de démanteler l’économie étatisée, bâtir leurs fortunes en pillant les biens publics. Désarmée par des années de stalinisme, sans parti, sans même de syndicats, ou plus exactement encadrée par l’officine gouvernementale qui en portait le nom, elle n’a même pas pu se saisir de la petite ouverture, le petit vent de démocratie qui avait soufflé sur l’URSS dans un court laps de temps au début des réformes de Gorbatchev, pour se doter d’organisations qui lui soient propres et qui lui permettent d’agir.

Les grèves des mineurs de 1989 et 1990 ont marqué l’actualité ; parties d’un bassin, elles se sont étendues aux autres et ont quelque peu écorné avec leurs comités de grève le monopole du syndicat unique gouvernemental. Mais elles n’ont pas dépassé le cadre de leurs revendications économiques immédiates et sont restées quasiment limitées à cette seule branche. Et c’est la classe ouvrière qui, malgré les résistances ponctuelles et mouvements de grèves au cours des années 1992-1998, a payé le prix de la restauration capitaliste : hausse brutale des prix (une inflation de 2 500 %, 850 %), « thérapie de choc » appliquée par Eltsine, selon les plans de ses conseillers économiques occidentaux ; désorganisation économique, fermetures d’entreprises et progression du chômage entraînée par la distribution des fleurons de l’industrie lors des grandes privatisations de ces années-là, suppression des services sociaux…

Le PIB avait chuté de moitié au cours des années 1991 à 1999. La crise de l’endettement de l’État russe de 1998 avait achevé, par une dernière dévaluation brutale du rouble, de réduire encore les revenus. (Les prêteurs à la Russie s’en sont, eux, fort bien tiré, avec l’aide du FMI, après avoir touché pour leurs prêts à court terme des taux faramineux).

La baisse considérable du niveau de vie des couches laborieuses d’un côté, les fortunes que se sont taillé les nouveaux banquiers et magnats de l’industrie de l’autre, achevaient ces dix années terribles d’accumulation du Capital.

Le capitalisme peut crier victoire. Depuis le début des années 2000 les entreprises occidentales viennent parait-il plus nombreuses s’investir en Russie (et vice-versa, les grands trusts russes prennent des participations en Occident). Qu’ils y prennent garde : les travailleurs russes ne sont plus tenus, comme jadis, d’assister aux défilés officiels et on ne peut plus tenter de leur faire croire que leurs directeurs sont des « camarades ».

Olivier BELIN


[1Qui dirige la Russie ? de Jean Robert Raviot, édition Lignes de repère 2007.

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