Face à leur Europe, l’Europe des travailleurs
Mis en ligne le 23 janvier 2022 Convergences Politique
À l’occasion de l’arrivée du président français à la tête de la présidence européenne (une présidence tournante entre les chefs d’États), des ONG bruxelloises se sont inquiétées des « partenaires douteux » d’une « présidence sous influence » : Renault et PSA-Stellantis sont les sponsors officiels de la présidence française à qui ils se sont engagés à fournir des véhicules verts (mais surtout bleu-blanc-rouge). Il faut bien se faire pardonner le dieselgate ! Et saisir l’occasion de faire la promotion de leurs nouvelles voitures électriques, au nez et à la barbe de Volkswagen et Mercedes. Autre motif d’inquiétude des ONG, la France aurait consacré trente-et-une réunions de préparation de sa présidence de l’UE à des « représentants d’entreprises ou de lobbies industriels (le PDG de Dassault, le directeur général du Medef, le PDG d’Airbus, etc.), contre deux seulement pour la société civile (dont Oxfam). » Un vrai scandale ? Peut-être. Mais que l’UE soit l’Europe des patrons, quelle découverte ?
Les couplets patriotards
Héritant, par les hasards du calendrier tournant, de la présidence européenne, Emmanuel Macron y a vue une aubaine pour donner, sur ce thème, son premier meeting de campagne électorale devant les parlementaires de l’Union Européenne (qui n’en n’avaient rien à faire) et les caméras de télévision [1]. À ses concurrents d’y aller aussi de leurs couplets.
Marine Le Pen, pour devenir plus crédible aux yeux du patronat, a abandonné ses diatribes contre l’euro et autres âneries sur la petite France devant se suffire à elle-même. Elle a trouvé un angle d’attaque contre Macron : selon elle, dans le plan de relance européen décidé pour la période Covid, la France financerait ce plan à hauteur de 70 milliards et n’en toucherait en retour que 40… Exagération bien sûr quand ce « plan de relance » de l’Europe (2 000 milliards d’euros ), n’est que l’addition des plans de relance nationaux, dans lesquels quelques cartes financières sont simplement un peu rebattues au niveau de l’UE entre États lors de négociations de marchands de tapis
La millionnaire d’extrême droite fait mine de ne pas savoir que la destination véritable de ce « pognon de dingue » n’est pas un pays, ni même un continent, mais les coffres-forts des actionnaires. Que l’argent public français (ou allemand) du plan de relance soit fléché pour la construction d’une centrale nucléaire (ou à gaz) en Pologne ou en Hongrie, il enrichira Areva-Orano et EDF (ou E.ON et RWE ), dans les deux cas il renchérira le chiffre d’affaires d’une multinationale qui, par définition, n’opère pas dans le cadre étroit des frontières nationales. Mais à écouter le RN, le travailleur français devrait croire que son argent va dans la poche de plus pauvre que lui, de Pologne ou de Roumanie, dont il devrait se protéger en votant Le Pen ou Zemmour.
Le nationalisme : un poison pour la classe ouvrière
Mais, côté gauche, le discours patriotique d’un Jean-Luc Mélenchon est également une plaie pour le mouvement ouvrier, d’autant qu’on le retrouve dans bien des discours syndicaux. Lui aussi a mis de l’eau dans son vin : plus question de sortir de l’Europe ni de l’euro ; il se contente désormais d’un « opt-out » (pardonnons l’anglicisme !), c’est-à-dire de la promesse de prendre ce qui l’arrange et pas le reste (ou ce qui arrange le capitalisme français, ce n’est pas très clair).
Mais sa germanophobie n’est pas passée et il clame encore : « je ne vois pas pourquoi on donnerait les clés du camion à l’Allemagne. » Et en guise de programme, Mélenchon promet de « bloquer tous les accords relatifs à de nouvelles adhésions ». Une manière de présenter l’Union européenne, non pas comme une création du grand capital essentiellement français et allemand, mais comme une force qui s’imposerait à la France (toutes classes confondues, donc) sur laquelle la pression se renforcerait à chaque nouvelle adhésion !
À en croire Mélenchon, il faudrait soutirer la France des griffes de l’Allemagne, être jaloux de sa « souveraineté » et craindre toute extension de l’UE à d’autres pays. Comme si la bourgeoisie française n’était pas de celles qui font la pluie et le beau temps en Europe. Comme si l’exploitation par les patrons bien de chez nous n’était pas des plus rapace. Comme si les travailleurs devaient craindre la concurrence de ceux des pays plus pauvres auxquels pourraient s’étendre l’UE. Ce sont bien les Renault et les Bosch qui exploitent les travailleurs des usines qu’ils ont installées en Turquie, ce pays d’Europe vis-à-vis duquel non seulement l’UE maintient des frontières, mais les renforce, et finance le régime dictatorial d’Erdoğan pour qu’il brise les grèves là-bas et garde dans des camps les réfugiés qui fuient les guerres du Moyen-Orient.
L’Europe des travailleurs
Les institutions européennes tout autant que celles de la République française sont au seul service des patrons. Et nombre de ses ministres sont issus des rangs de l’élite politique française : une Christine Lagarde dirige la Banque centrale européenne après avoir été ministre de l’Économie à Paris, puis directrice du FMI à Washington ; un grand patron français comme Thierry Breton est commissaire européen au Marché intérieur après avoir dirigé Thomson, puis la CGI, et avoir été ministre de l’Économie en France, par exemple.
Les grands patrons savent bien que, dans l’économie mondialisée d’aujourd’hui, il leur faut internationaliser leurs affaires, s’allier ne serait-ce que pour créer un fabriquant d’avion, Airbus, qui ait la taille de rivaliser sur le marché.
Et il faudrait que les travailleurs en soient encore à croire se protéger derrières des frontières, et pourquoi pas se retrancher dans des provinces ? « Vivre et produire au pays », « relocaliser » ? En croyant se sauver du chômage en le reportant sur les travailleurs d’à côté ? Alors que de l’autre côté des frontières, il y a les centaines de millions, voire les milliards de travailleurs du monde avec lesquels s’unir pour en finir avec le règne de cette infime minorité qui se gave de leur exploitation ?
Les trusts qui nous exploitent sont devenus des multinationales, et tant mieux. Ils nous fournissent de nouveaux camarades de travail, de nouveau compagnons de lutte pour exiger ensemble l’alignement des salaires et des conditions de travail sur les meilleures, et exiger leur amélioration pour tous. Les grèves des travailleurs de Renault il y a quelques années à Bursa en Turquie, celle des ouvriers de PSA à Kénitra au Maroc l’an dernier, nous renforcent tous.
Nos patrons s’organisent au niveau de l’Europe, une Europe amputée de plus de la moitié d’un continent bien plus vaste, sans oublier que la classe ouvrière existe à l’échelle mondiale. Mais déjà, à l’échelle du continent européen, par nos luttes communes, visons à abolir les frontières pour créer une Europe des travailleurs, où toutes et tous, ensemble et par nos luttes, enlèverions « les clés du camion »… aux patrons.
Raphaël Preston
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Mots-clés : Europe