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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 124, janvier-février 2019 > Gilets jaunes, la lutte continue

Gilets jaunes, la lutte continue

Les revendications

Des taxes aux salaires

Mis en ligne le 5 février 2019 Convergences Politique

Début novembre 2018, Priscillia Ludosky, une habitante de Seine-et-Marne, lançait une pétition sur Internet pour revendiquer « la baisse des prix des carburants à la pompe », suite aux projets annoncés par le gouvernement d’augmenter les taxes sur les carburants. On recensait 850 000 signataires le 14 novembre et on en compte plus d’un million aujourd’hui. Il n’en fallut pas plus pour que les médias présentent le mouvement des Gilets jaunes comme un mouvement « d’automobilistes en colère » en y ajoutant le mécontentement né de la limitation de vitesse à 80 km/h sur certaines routes. Beaucoup de commentateurs dénoncèrent aussi un mouvement poujadiste, dans la mesure où le rejet des taxes et impôts fut le moteur de cette révolte de commerçants de 1953. Sans même se préoccuper de la composition sociale d’un mouvement qui, s’il mobilise une petite fraction d’artisans, ne compte quasiment pas de commerçants.

« On en a marre d’être à découvert le 20 du mois »

Pourtant, si ces hausses ont bien été l’étincelle qui mit le feu aux poudres, il est très vite apparu que les 300 000 femmes et hommes qui avaient enfilé un gilet jaune le 17 novembre avaient bien d’autres motivations. Le slogan « Macron, démission ! » a fait immédiatement l’unanimité. L’arrogance du président, la multiplication de ses petites phrases méprisantes pour les travailleurs, les chômeurs, les humbles ont suscité la colère, voire la haine. On sortait donc très clairement du corporatisme anti-fiscal de la petite bourgeoisie. Tous ceux qui ont fait l’effort d’aller sur les ronds-points ont constaté que la motivation essentielle des Gilets jaunes concernait leurs conditions et leur niveau de vie. La plupart des reportages de la presse écrite comme des chaînes TV l’ont aussi attesté. « On n’en peut plus. On en a marre d’être à découvert le 20 du mois » étaient des propos qui revenaient systématiquement, même si tous les Gilets jaunes ne les formulaient pas toujours clairement en termes de salaires et de pensions.

Le pouvoir en a pris conscience assez vite : Macron s’est senti obligé, non seulement de reculer sur les taxes, mais de faire un geste en direction des retraités et des smicards – même si les 100 euros promis ne représentaient pas une véritable augmentation du Smic mais une prime ne concernant que la moitié de ceux qui le perçoivent.

Des listes de revendications d’origines douteuses

Depuis, un certain nombre de listes de revendications ont bénéficié d’une certaine publicité médiatique les présentant comme « les revendications des Gilets jaunes », sans qu’on connaissent leurs origines exactes. Une liste de 42 revendications est ainsi apparue le 30 novembre. Elle ressemblait tellement au programme de la France insoumise que Mélenchon n’hésita pas à déclarer que les Gilets jaunes reprenaient son programme. On y trouve aussi bien le Smic à 1 300 euros net (la CGT réclame 1 385 euros net) que la « protection de l’industrie française » et l’expulsion des déboutés du droit d’asile. La manipulation est donc assez grossière.

Ce n’est que plus tard, à partir de la fin novembre, qu’on a commencé à parler du RIC (référendum d’initiative citoyenne), projet dont l’immense majorité des Gilets jaunes ignoraient jusque-là l’existence. Les principaux promoteurs du RIC semblent être les militants de l’UPR (Union Populaire Républicaine), le parti de l’ancien candidat à la présidence Asselineau. Un parti xénophobe et complotiste, qui manœuvre au sein des Gilets jaunes avec discrétion et habileté. Les militants du Rassemblement national de Le Pen et ceux de la France insoumise lui ont emboîté le pas. Il est difficile d’évaluer l’engouement réel pour le RIC parmi les Gilets jaunes, dans la mesure où peu d’assemblées générales représentatives se sont prononcées. Ceux qui votent pour le RIC ne placent d’ailleurs pas d’espoirs excessifs dans cette réforme institutionnelle, mais ne voient pas la raison de s’opposer à un projet qui leur semble relever d’un souci démocratique.

Les thèmes et rumeurs xénophobes n’ont pas abouti

D’autres manœuvres ont été tentées pour plaquer des revendications réactionnaires sur le mouvement. Un sondage en ligne du CESE (Conseil économique social et environnemental) assez largement médiatisé prétendait que les Gilets jaunes revendiqueraient majoritairement l’abolition du mariage pour tous. Mais il ne portait que sur 5 000 internautes ayant répondu à un questionnaire. C’est dire sa représentativité.

On peut noter aussi que des fake news, telle que celle sur le Pacte de Marrakech qui aurait préparé la venue en France de 45 millions de migrants, ont largement circulé sur les réseaux sociaux et les pages dédiées aux Gilets jaunes. Ces rumeurs xénophobes ont donc animé des discussions sur les barrages et ronds-points, reprises par des éléments d’extrême droite. Pourtant, si les préjugés qui imprègnent les Gilets jaunes comme l’ensemble des classes populaires – pour ne pas dire l’ensemble de la société ! – sont bien présents, nulle part à notre connaissance, dans aucune AG, l’extrême droite n’a osé tenter de faire adopter des mots d’ordres et revendications racistes et xénophobes. Les thèmes sur les migrants et l’islam, que Macron lui-même a essayé d’instrumentaliser dans un but de diversion en lançant son grand débat, ne font pas partie des préoccupations de l’immense majorité des Gilets jaunes qui se sont révoltés contre leurs conditions de vie et l’arrogance de Macron.

Des revendications de classe

Si on examine les quelques cahiers de revendications clairement adoptés par des votes au cours d’assemblée générale, comme par exemple à Lyon et à Toulouse, on constate que, si le RIC est présent, et si on y trouve pêle-mêle le glyphosate, les déchets plastiques et la suppression du sénat, ce sont des revendications sociales qui arrivent en tête : hausse du Smic, des pensions, du minimum vieillesse, gratuité des transports en commun. Nulle part il n’est question des migrants ou de l’islam.

Ce n’est pourtant pas faute d’efforts des porte-parole médiatisés comme Ludosky, Drouet ou Nicolle (celui qui se fait appeler Fly Rider sur les réseaux sociaux) pour tenter de zapper ces revendications et en revenir aux taxes agrémentées du RIC. Un autre aspect de leur politique consiste enfin à essayer de diriger la colère des prolétaires révoltés contre les privilèges des politiciens, en dissimulant le fait que ceux-ci ne sont que les serviteurs des capitalistes dont les profits sont sans commune mesure avec les pourboires qu’ils leur abandonnent. Ces tentatives s’appuient sur les illusions des salariés de microentreprises et des travailleurs indépendants, nombreux dans le mouvement, qui ne considèrent pas les patrons comme des exploiteurs et redoutent même parfois de les mettre en difficulté. Ils sont sensibles à des revendications portant sur les baisses de prix plutôt que sur les hausses de salaires.

C’est donc la tâche de tous ceux qui interviennent dans le mouvement pour y défendre les intérêts des travailleurs, de mettre en avant des revendications de classe. C’est d’ailleurs un moyen de marginaliser les éléments d’extrême droite qui sont hostiles par nature à toute revendication susceptible de déplaire au patronat et qui remettent en cause la sacro-sainte propriété privée.

27 janvier 2019, Gérard Delteil

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