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DOSSIER : La Russie de Poutine : le prix de la restauration capitaliste

Comment la Russie a rattrapé l’Amérique... latine

Mis en ligne le 26 septembre 2006 Convergences Monde

Le gouvernement russe se félicite d’avoir retrouvé le chemin de la croissance, en affichant 7 % d’augmentation du Produit intérieur brut en 2004, 6 % en 2005. Même en prenant ces chiffres pour argent comptant, il ne s’agirait que d’un faible rattrapage après l’effondrement de la production au cours des années 1990-1998 ! Au terme de 15 années de « transition » au capitalisme, une bonne partie de l’économie russe ressemble encore à une immense friche industrielle.

L’effondrement des années 1990

En 1998, le PIB russe représentait 60 % de celui de 1991 et la production industrielle à peine 50 %. Sans oublier que le PIB de l’ensemble de l’URSS, avant son explosion, avait déjà chuté de plus de 20 % au cours des années 1990 et 1991.

Le recul concerne à peu près tous les secteurs. Le complexe militaro-industriel (qui produisait aussi des machines outils et même des téléviseurs et des casseroles !) a connu la plus forte chute. Malgré la conversion d’une partie de ses usines à des activités purement civiles, ses effectifs sont passés de huit millions de travailleurs (le tiers de l’industrie !) à un peu plus de deux millions. Seul succès notable, des machines qui produisaient les balles de Kalachnikov fabriquent désormais les cigarettes Bielomor Kanal, de même calibre et ne tuant qu’à petit feu.

Autres secteurs particulièrement sinistrés : le textile et la confection où la production en 1999 est à 15 % de son niveau de 1991, le bois et le papier à 42 %, les matériaux de construction à 35 %.

Si la production de voitures ne chute que de 15 %, celle de camions passe de 580 000 camions en 1992 à 140 000 en 1998 (à peine le quart). Quant à la production d’acier, elle passe de 90 millions de tonnes en 1990 à 43,7 en 1998. Elle est remontée depuis, mais n’atteint que 66 millions de tonnes en 2005. Les camions, eux, n’ont pas remonté la pente.

Même l’agriculture, déjà le parent pauvre de l’économie du temps de l’URSS, a régressé. Le passage à la propriété privée devait soi-disant « libérer l’énergie » des paysans. Faute de capitaux et de moyens de cultiver la terre de façon rentable, les fermiers privés sont restés rares (et souvent misérables). Et dans les sovkhozes (fermes d’État) et les kolkhozes (coopératives agricoles), un bon nombre de salariés ou de membres sont plutôt allés tenter leur chance... à la ville. L’agriculture a connu un déclin continu du début des années 90 jusqu’à aujourd’hui. En 2004, il y avait deux fois moins de bovins et de porcs en Russie qu’en 1992, trois fois moins de chèvres et deux fois moins de tracteurs ! Même les rendements ont parfois régressé : les vaches, au régime sec, donneraient moins de lait (2 781 litres par vache en 1990, 2 007 en 1995) et les poules feraient la grève des mères (236 eufs par poule en 1990, 212 en 1995).

En revanche, aujourd’hui, le pays produit autant de vodka, trois fois plus de bière (grâce à Carlsberg) et deux fois plus de cigarettes (grâce à Philipp Morris) qu’en 1992.

« Transition » et pillage

À cette régression, point de mystère. Dans le milieu des années 1970, l’économie soviétique, soumise à la corruption, aux gaspillages, à la gestion souvent irrationnelle de la bureaucratie, était déjà en stagnation. Aux dires de Gorbatchev, la Perestroïka devait transformer la pénurie en abondance. En réalité, l’autonomie financière des entreprises, censée les rendre rentables, le droit pour celles-ci de licencier, la création de « coopératives » puis d’entreprises privées, renforçaient la possibilité pour les bureaucrates et apprentis bourgeois de parasiter les richesses du pays et préparaient le retour au capitalisme. La restauration de la propriété privée, la fin du monopole étatique du commerce extérieur ont fait le reste.

L’ouverture au marché mondial et les perspectives que celle-ci offrait aux appétits de ceux qui contrôlaient des secteurs économiques ou des régions, ont conduit à l’explosion de l’URSS, fin 1991. L’économie de la Fédération de Russie (comme celle des républiques périphériques), déjà privée de planification, se trouvait encore plus désorganisée par la rupture des multiples liens entre les entreprises des différentes républiques.

En Russie, Eltsine a pris la relève. Son gouvernement, épaulé de conseillers occidentaux, lance en 1992 la « thérapie de choc » : libération des prix, possibilité de mettre les entreprises en faillite, privatisations massives. La désorganisation de l’économie s’aggrave encore. L’inflation lamine les revenus de la grande majorité de la population que frappe également la montée du chômage et le non paiement des salaires. La vie chère remplace les files d’attente. Les nouveaux patrons se préoccupent d’accumuler le plus grand butin possible, mais pas d’investir des capitaux pour moderniser et faire fonctionner les entreprises. L’exportation, quitte à n’exporter que des matières premières, est leur activité préférée et ils placent à l’étranger une grande partie des recettes engrangées en dollars. Faute de commandes solvables, faute d’être assez rentables, des pans entiers de l’industrie sont mis en arrêt ou liquidés, pendant que l’endettement de l’État, qui assure à ses frais le bon déroulement de ce dépeçage, s’aggrave.

Les recettes de l’État russe sont réduites à la portion congrue par la chute de l’économie, la fuite des capitaux, le refus des entreprises de payer leurs impôts. Il brade en 1996-1997, à des prix dérisoires les plus gros fleurons de l’industrie russe aux grands patrons, les « oligarques », en retour de prêts financiers que ceux-ci lui ont consentis. Et il émet des bons du trésor, les GKO, à très court terme et à des taux d’intérêts astronomiques qui font l’objet d’une folle spéculation.

Résultat : la crise de 1998, au moment même où le gouvernement russe se félicitait d’un début de « stabilisation », voire d’un « redressement ». Menacé de banqueroute, le gouvernement annonce en août qu’il fait défaut au paiement de sa dette. Mais seulement après que les plus gros prêteurs, notamment les investisseurs occidentaux en GKO russes, aient eu le temps de retirer leurs billes, grâce à un prêt spécial accordé par le FMI à la Russie. La bourse de Moscou et le rouble plongent, le système bancaire est paralysé, les économies des Russes qui avaient réussi à épargner un peu (la fameuse « classe moyenne » censée émerger) s’envolent en fumée. La note est une fois de plus pour la population : nouvelle flambée des prix et versement (lorsqu’ils sont versés) des salaires en retard, en roubles dévalués.

La nouvelle économie russe

La lente remontée du PIB russe ne date pas de Poutine. Elle débute au lendemain de cette crise où la dévaluation du rouble renchérit les produits d’importation et favorise les productions locales. Mais elle est due surtout à l’avantage majeur de la Russie : son extraordinaire richesse en ressources naturelles. La Russie est la deuxième productrice au monde de pétrole, la première de gaz, de nickel, ainsi que de toutes sortes de métaux rares. Entre 1994 et 2003 les exportations de gaz ont oscillé entre 180 et 200 milliards de m3, celles de pétrole sont passées de 130 à 213 millions de tonnes : la flambée du cours de pétrole sur le marché mondial ces dernières années compte à elle seule, indépendamment de la hausse de production, pour quelques points dans l’augmentation du PIB dont se vante Poutine.

Les entreprises qui déjà dans les années 1990 avaient le mieux résisté à la récession et ont aujourd’hui le vent en poupe sont le géant du gaz (Gazprom), ceux du pétrole, du cuivre et du nickel ou encore de la sidérurgie. La baisse de consommation en métaux des industries russes, comme le recul des livraisons aux autres pays de l’ex-URSS, ont permis aux groupes métallurgiques russes de décupler leurs exportations et d’accumuler un bon volant de capitaux en devises étrangères. Plusieurs de ces groupes métallurgiques, ainsi que des compagnies pétrolières russes, ont, du coup, commencé à s’internationaliser en prenant des participations ou acquérant des filiales à l’étranger. Une preuve de l’intégration croissante de quelques grands groupes russes dans le tissu du capitalisme mondial. Et de l’enrichissement de ses possédants, mais pas du pays et de sa population.

En 1999, les investissements dans l’industrie russe ne représentaient que 22 % de ceux de 1990. Aujourd’hui encore 80 % des infrastructures datent de l’époque de l’URSS, plus de la moitié ont plus de 30 ans. Les fuites de capitaux dans les années 1990, fruits du pillage de l’économie russe placée en lieux sûrs, s’élevaient entre 150 et 500 milliards de dollars, alors que les investissements directs étrangers en Russie restaient faibles, évalués à 35 milliards ! Ces derniers commencent à monter, 8 milliards de dollars en 2003, 11,7 en 2004, 14,2 en 2005, dont une partie de capitaux russes, planqués à Chypre ou ailleurs qui rentrent au bercail où les affaires deviennent plus sûres.

Mais à l’exception des ventes d’armes pour lesquelles la Russie est redevenue la deuxième exportatrice mondiale (plus de 5 milliards de dollars en 2003, à comparer aux 22 milliards de ventes de 1987 !), la Russie se spécialise dans une économie d’exportation de matières premières et de quelques produits semi-finis (métaux). Ses exportations d’hydrocarbures fournissent 40 % des recettes. Comme on l’a déjà vu dans bien des pays du tiers-monde, ce n’est pas un gage assuré de développement.

Et que se passera-t-il si les cours mondiaux se retournent ?

Bernard RUDELLI

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