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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 97 : janvier-février 2015

Catalogne : Le « droit de décider »... de quoi, au juste ?

Mis en ligne le 28 janvier 2015 Convergences Monde

Le 9 novembre dernier, plus de 2,3 millions de Catalans (sur près de 6 millions en âge de voter) ont participé à une consultation non-contraignante organisée par le gouvernement catalan (après un accord entre quatre formations politiques [1], représentant 65 % des députés au Parlement catalan [2]) pour répondre à une double question :« Voulez-vous que la Catalogne soit un État ? », « Si oui, voulez-vous qu’elle soit un État indépendant ? ». Parmi eux, 1,8 million se sont prononcés pour l’indépendance.

Les organisateurs du vote et leurs soutiens ont unanimement célébré le résultat et la participation comme un succès. Pour le parti du Président de la Generalitat, Artur Mas, de la droite au pouvoir depuis 2010 (CiU), pour la gauche nationaliste d’Oriol Junqueras (ERC), comme pour l’ANC [3], organisation populaire indépendantiste proche de l’ERC, un même bilan : « un pas de géant », « historique », « carton plein »... Dans les milieux nationalistes de toute tendance, l’euphorie était telle que même le très ‘gauchiste’ député au parlement catalan de la CUP [4] David Fernàndez, n’a pu s’empêcher de prendre dans ses bras le Président de la Generalitat pour le remercier d’avoir organisé la consultation...

Un « pas de géant » selon Artur Mas... Pour qui ?

Cette consultation, déclarée illégale par le gouvernement de Madrid après une première interdiction concernant la tenue d’un référendum, a surtout consisté en une démonstration de force. Elle s’inscrit dans la lignée des manifestations souverainistes organisées ces dernières années à l’occasion de la fête nationale catalane, le 11 septembre : en 2013, une chaîne humaine s’était étendue sur 400 km d’un bout à l’autre de la Catalogne ; en septembre 2014, 1,8 million de manifestants ont formé un « V de la victoire » long de 11 km dans les rues de Barcelone, aux couleurs de la « senyera », le drapeau catalan.

La mobilisation a été massive. Mais le revirement tardif d’Artur Mas en faveur de l’indépendantisme et du « droit de décider » (alors que CiU était jusqu’à présent dans une logique de négociations avec le gouvernement espagnol pour obtenir plus d’autonomie et la gestion de nouvelles compétences), ainsi que l’importante participation à la consultation, ont été avant tout l’occasion pour CiU et l’ERC de se refaire une santé politique. CiU entend gagner une image plus ‘radicale’, en tenant tête au gouvernement madrilène sur la question du référendum, tandis que l’ERC, qui ne participe pas au gouvernement mais constitue son allié de fait au parlement, auquel elle est liée par un accord ‘de gouvernabilité’ depuis deux ans, voudrait apparaître comme le véritable moteur de la consultation et espère rafler la mise aux prochaines élections. Quoi de mieux, donc, que cette propagande euphorique sur fond d’affrontement avec Madrid pour faire oublier leurs politiques de restrictions budgétaires (coupes dans la santé et l’éducation, gel des salaires, suppression du 13e mois pour les fonctionnaires...), pour faire oublier leur responsabilité face à l’augmentation de la misère, face à un chômage certes moins élevé que dans d’autres Communautés Autonomes, mais toujours aussi massif, ou face aux expulsions de logements qui ne cessent d’augmenter, pour faire oublier enfin les cas de corruption qui n’ont pas manqué d’atteindre les dirigeants catalans [5] ?

Le 14 janvier 2015, après des longues tractations pour définir les suites de la consultation, les faux-ennemis d’hier, Artur Mas et Oriol Junqueras, ont affiché leur unité retrouvée pour annoncer la prochaine échéance de ce ‘processus’ entamé en 2012 : la convocation de nouvelles élections autonomiques anticipées le 27 septembre 2015, dont ils veulent faire une nouvelle démonstration de force pour l’indépendance.

Une préoccupation massive

Au-delà du jeu politicien, quelle perspective pour les travailleurs de Catalogne ? Il est indéniable que les idées nationalistes voire indépendantistes trouvent un certain écho auprès d’une partie des classes populaires catalanes. Cela ne date pas d’hier, mais force est de constater que les effets de la crise ont exacerbé les volontés d’indépendance.

En effet, le succès des dernières mobilisations souverainistes ne s’explique pas uniquement par une adhésion croissante aux idées nationalistes ou la défense des droits culturels et linguistiques, mais plutôt par une somme de facteurs complexes. D’abord, il y a un ras-le-bol général, celui-là même qui s’est exprimé à partir de 2011 dans le mouvement des « indignés » ou dans le mouvement de la PAH [6], contre les expulsions. Beaucoup de ceux qui participent aux manifestations indépendantistes expriment d’abord leur colère face à la crise, à la détérioration de leurs conditions de travail et de vie, et leur rejet des solutions apportées par les gouvernements, aussi bien ceux de Madrid que ceux de Barcelone.

Ensuite, il y a aussi un rejet des positions réactionnaires du gouvernement Rajoy qui, avec le soutien des socialistes, a tout fait pour interdire aux Catalans de s’exprimer par une consultation sur le type de relations qu’ils veulent entretenir avec le reste de la population de l’Espagne... Or, les arguments du gouvernement pour interdire le référendum, fondés exclusivement sur « la force de la loi » et le « respect de la Constitution », n’ont fait que convaincre plus de monde d’aller voter. Il faut dire que les multiples scandales de corruption qui ont touché l’ensemble de la classe politique et en particulier l’appareil du Parti Populaire ont révélé la manière bien spéciale qu’a ce gouvernement de respecter sa propre légalité...

L’impasse du nationalisme

Face aux inquiétudes légitimes de la population catalane depuis l’apparition de la crise économique, les catalanistes de tout bord ont tout fait pour transformer cette colère en un soutien à l’indépendance. Ils expliquent d’une part que les problèmes viendraient de la fiscalité imposée par Madrid, qui serait défavorable aux Catalans (qui paieraient plus d’impôts à Madrid qu’ils ne reçoivent de financements). D’autre part, certains mettent en avant l’idée qu’un État propre offrirait la possibilité de mener une politique différente, plus « sociale », et de lutter contre les coupes budgétaires, les expulsions, les fermetures d’entreprises ou le chômage... Il est difficile de mesurer exactement le poids de ces différents arguments parmi les travailleurs, mais si beaucoup sont conscients que les dirigeants catalans sont, autant que ceux de l’État central, au service des banquiers et des patrons, l’espoir qu’on pourra décider plus démocratiquement et directement d’une politique « sociale » propre, en se dotant des outils d’un État, semble obtenir un certain écho.

L’aspiration à vouloir « décider » de l’organisation de la société est légitime. La question est cependant de savoir de quoi décide-t-on. Faire de la Catalogne un État ne changera rien au sort de ses classes populaires. Car il est évident que si demain la Catalogne accède à plus d’autonomie ou même à son indépendance – ce dont les capitalistes pourraient bien s’accommoder –, ce sera toujours aux travailleurs que les possédants demanderont de payer la facture. S’ils veulent véritablement ‘décider’ de leur sort, et construire une société juste et égalitaire, les travailleurs catalans ont d’autres perspectives à avoir que celles offertes par les partis nationalistes, de droite ou de gauche : s’organiser, défendre les intérêts propres au monde du travail, et tisser des liens avec les travailleurs des autres régions d’Espagne pour construire un rapport de forces favorable.

16 janvier 2015, Amaya MARTĺN



Petit panorama des organisations nationalistes catalanes

CiU (Convergence et Union) est le parti de la bourgeoisie catalane, de droite. Principal parti politique de la Catalogne depuis la fin du franquisme, il a tenu le gouvernement catalan sans discontinuité de 1980 à 2003, puis, après un intermède de gouvernements d’une coalition de gauche, est revenu au pouvoir en 2010.

Jusqu’à très récemment, CiU ne demandait qu’une plus grande autonomie pour la Catalogne et refusait explicitement la perspective de l’indépendance. Il se présentait comme un bon gestionnaire pour la région.

CiU se veut un parti politique responsable, et ne promet toujours aucune réforme sociale. En perte de vitesse du fait de ses politiques d’austérité au pouvoir, de multiples scandales financiers, la mue indépendantiste est une sorte de fuite en avant pour préserver sa place de principal parti.

Signifie-t-elle pour autant que la bourgeoisie catalane envisage vraiment la perspective de l’indépendance ? On peut en douter. C’est probablement plutôt une façon de mettre une pression pour obtenir une redéfinition des partages des rôles entre autorités centrales et régionales. Et si Rajoy et Mas font mine de ne plus se parler, il y a aussi des tractations en coulisses entre Madrid et Barcelone dont on ignore le contenu précis.

Le parti ERC (Gauche républicaine de Catalogne) se veut, lui, un parti de gauche et républicain. C’est le parti de la petite-bourgeoisie nationaliste. Ce parti avait gouverné la Generalitat dans les années 1930, et son leader de l’époque, Lluís Companys, avait été fusillé par les franquistes en 1940. Il a toujours professé un vague réformisme social et se définit comme social-démocrate. Mais il affiche une certaine intransigeance sur les questions de l’indépendance, de la République, qui peuvent lui donner une certaine allure de radicalité, d’autant plus qu’il a été à plusieurs reprises la cible de la droite espagnole. Entre 1980 et 2010, l’ERC était une formation assez marginale de la vie politique, qui pouvait s’allier tantôt avec CiU, tantôt avec des formations de gauche. Mais ce parti s’est retrouvé aux européennes de 2014 avec la place du premier parti en Catalogne.

La CUP (Candidature d’Unité Populaire) est une petite formation qui se définit anticapitaliste et indépendantiste. Et qui se veut radicale sur ces deux terrains.

ICV-EUiA (Initiative pour la Catalogne Les Verts – Gauche Unie et Alternative) est une coalition électorale qui affiche une politique « écosocialiste » teintée d’un certain catalanisme, mais pas explicitement indépendantiste. Son histoire la rattache au PCE qui avait eu dans les années 1970 une importante présence en Catalogne.

Outre ces quatre formations politiques représentées au Parlement catalan, la consultation du 9 novembre était soutenue par des associations diverses (organisations étudiantes, associations culturelles, supporters de foot...), les principaux syndicats, la majorité des municipalités, etc.

M.C.



Résultats électoraux en Catalogne

Élections au parlement catalan (2012) Européennes (2014)
CiU (droite catalane) 30,70 % 21,86 %
ERC (gauche indépendantiste) 13,70 % 23,67 %
PSC (Parti des Socialistes de Catalogne, branche locale du PSOE) 14,43 % 14,28 %
ICV (écosocialistes) 9,89 % 10,30 %
PP (droite espagnole) 12,97 % 9,80 %
Ciutadans (anti-catalanistes) 7,56 % 6,28 %
CUP (extrême gauche indépendantiste) 3,47 % Ne se présentait pas.
Podemos N’existait pas. 4,66 %


L’extrême gauche et la question catalane

Au sein de l’extrême gauche espagnole, il est fréquent de se référer au droit à l’autodétermination des peuples. C’est vrai qu’en Espagne la question nationale a été exacerbée par 35 ans de franquisme, qui refusait tout droit aux peuples de l’Espagne, qui ne pouvait être qu’« Une » aux yeux du dictateur. Au Pays Basque et en Catalogne notamment, la question de l’indépendance est mise en avant par des forces politiques qui ont une réelle présence et qui influencent des fractions significatives de la population de ces régions. Et il est vrai que si les Basques ou les Catalans souhaitaient constituer leur État, ce ne serait pas aux révolutionnaires de s’y opposer. Car si nous sommes internationalistes et que nous pensons que l’avenir est à l’union entre les peuples, c’est pour une union volontaire et non une union sous la contrainte que nous militons. En ce sens, on ne peut qu’être favorable au droit à l’autodétermination des peuples d’Espagne.

Mais tout autre chose est d’épouser la perspective de l’indépendance, d’accréditer l’idée que l’indépendance pourrait être une solution pour les classes populaires aujourd’hui et de se mobiliser d’abord sur ce terrain. Pourtant, la plupart des organisations d’extrême gauche en Catalogne (dont Revolta Global, liée au NPA) ont appelé à voter « Oui » à l’indépendance de la Catalogne lors de la consultation du 9 novembre. Pour provoquer une rupture, une crise politique qui rendrait tout possible, comme on peut l’entendre ? Ou plutôt pour éviter de se confronter avec des milieux influencés par les nationalistes et de dénoncer les impasses de l’indépendance ?

M.C.


[1CiU (Convergence et Union, droite), ERC (Gauche Républicaine de Catalogne), ICV-EUiA (Initiative pour la Catalogne Les Verts – Gauche Unie et Alternative), la CUP (Candidature d’Unité Populaire, gauche radicale indépendantiste).

[2Le PP (Parti Populaire, droite) et le PSC (Parti des socialistes de Catalogne), ainsi que les populistes ultra-espagnolistes de C’s (Ciutadans, Citoyens) étaient opposés à la consultation.

[3ANC : Assemblée Nationale Catalane. C’est l’organisation à l’origine des dernières grandes manifestations pour l’indépendance.

[4CUP : Candidature d’Unité Populaire, « gauche de la gauche » indépendantiste.

[5Ce sont surtout les dirigeants de CiU qui sont touchés par de multiples affaires. Et au centre de la tourmente, on trouve Jordi Pujol, la figure tutélaire de ce parti, aujourd’hui retiré, qui avait gouverné la Catalogne sans interruption de 1980 à 2003, mais aussi son fils Oriol, un des dirigeants de CiU.

[6Plateforme des personnes Affectées par les Hypothèques, fondée par la barcelonaise Ada Colau.

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