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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 46, juillet-août 2006

Brésil : à propos du congrès de Conlutas

Mis en ligne le 28 juin 2006 Convergences Monde

À l’invitation des camarades du PSTU, organisation trotskyste du Brésil appartenant à la LIT, un militant de la Fraction a assisté au congrès de Conlutas, nouvelle centrale « ouvrière, étudiante et populaire », qui vient de se donner une direction nationale. Sans prétendre trancher tous les débats tactiques entre les révolutionnaires sur la question syndicale au Brésil, ce compte-rendu n’a pour ambition que de donner une première idée des problèmes que se pose une fraction lutte de classes du mouvement ouvrier de ce pays.

Du 5 au 7 mai, le congrès de Conlutas a regroupé 3 500 militants, dont 2 850 délégués de 300 syndicats déclarant 1 700 000 adhérents, qui ont discuté sérieusement, démocratiquement et passionnément pendant trois jours. 3 542 délégués avaient été élus par les assemblées préparatoires, mais une partie n’a pu venir car chacun devait payer son trajet. Et, pour nombre de militants, venir au congrès a déjà représenté tout un périple dans un pays qui est en fait un continent (ainsi les 52 heures de car du délégué de Belem).

Quelques chiffres pour situer l’importance de Conlutas dans le paysage syndical. Conlutas n’est certainement pas à la taille de la Cut, la centrale liée au PT et au gouvernement de Lula. Selon les chiffres donnés, la plus grande part des organisations syndicales qui ont rejoint Conlutas appartiennent au secteur public, mais 75 appartiennent au privé, dont une vingtaine de la Métallurgie.

La première chose qui frappait, c’était l’ambiance extraordinaire que je ne me souviens pas d’avoir jamais rencontrée dans les congrès syndicaux auxquels j’ai pu assister en France. Je ne veux pas seulement dire par là que l’Amérique latine serait plus chaleureuse ou plus chaude que l’Europe. C’est le cas, mais ce n’est pas là l’essentiel. Il y avait une ambiance de discussion passionnée qui est, sans aucun doute, le reflet de l’acuité des problèmes posés aujourd’hui aux militants ouvriers et révolutionnaires brésiliens.

Les motifs de la rupture avec la CUT

Conlutas signifie Coordination nationale des luttes. Le congrès, lui, s’est appelé le Conat, Congrès national des travailleurs. Voilà pour les sigles. Mais quel en est le contenu ? Il s’agit d’une tentative de créer une nouvelle organisation en dehors de la Cut (et bien sûr de Força sindical, l’autre centrale qui fut autrefois liée à la dictature militaire). Le motif de la rupture avec la Cut est lié à la venue au pouvoir de Lula, à sa politique en faveur de la grande bourgeoisie et aux déceptions qu’elle a suscitées. Il suffit de rappeler que l’actuel ministre du Travail qui organise la casse des droits des salariés et la réforme du droit syndical en faveur de la bureaucratie est en fait le secrétaire général de la Cut ! C’est à la faveur des grèves et des mobilisations que Conlutas est née et, en particulier, de la lutte contre la réforme de la retraite et des grèves des fonctionnaires, des enseignants, des employés municipaux et des employés de banque. Lors de ces mouvements, la Cut s’est révélée une centrale anti-grève et cela a entraîné le retrait de divers syndicats. Au début, ces syndicats sont restés à part puis un effort a été initié pour les structurer et cela a mené à la constitution de Conlutas, d’abord simple organisme se donnant pour but d’assurer une liaison entre eux, avant de se présenter comme une nouvelle centrale ouvrière et populaire ainsi qu’en a décidé ce congrès.

Le rôle du PSTU

C’est le PSTU qui est à l’initiative de cette tentative d’organiser une fraction du mouvement ouvrier du Brésil hors des centrales aujourd’hui sous l’influence du patronat et de l’État, et en particulier de la Cut. Cela signifie que le PSTU propose systématiquement aux assemblées syndicales la rupture avec celle-ci et le rattachement à Conlutas, attitude qui est condamnée par la plupart des autres groupes d’extrême gauche brésiliens bien qu’ils aient pour la plupart participé finalement au congrès de Conlutas, y compris le P-sol, groupe lié au courant international auquel appartient la LCR. La représentante la plus médiatique du P-sol, la sénatrice Heloísa Helena, a fait une entrée en fanfares sous les flashes pour appuyer le congrès. Tous les courants politiques présents ont pu s’exprimer, défendre leurs positions et les proposer au vote, mais il était évident que le groupe dirigeant du congrès était sans conteste le PSTU.

C’est certainement, outre la situation actuelle au Brésil, cette composition politique du Conat qui lui donnait une atmosphère et des sujets que, aujourd’hui en France, on ne peut sans doute retrouver que dans certains congrès d’organisations d’extrême gauche : insistance sur les questions internationales ou la question du racisme, dénonciations des interventions militaires du Brésil en Haïti, des illusions sur la démocratie bourgeoise, de l’impérialisme mais aussi de l’expansionnisme de la bourgeoisie brésilienne, mise en garde contre les dangers des subventions de l’État et des patrons aux organisations syndicales, voire un débat sur le thème réforme ou révolution...

Fallait-il scissionner ou pas ?

C’était pourtant bien un congrès syndical. En témoigne le débat central qui a eu lieu sur la nature de Conlutas. Le reste de l’extrême gauche brésilienne est en général contre la politique scissionniste menée par le PSTU dans la Cut. Elle a pu défendre son point de vue dans le congrès tout en restant très minoritaire. Des délégués voulaient que Conlutas se considère comme une fraction de la Cut, d’autres ou les mêmes qu’on se contente d’un appel à remettre la Cut au service de la lutte des classes. Diverses options s’opposaient aussi sur le type d’organisation à construire : une centrale syndicale du même type que la Cut, une centrale « ouvrière, étudiante et populaire » dans l’optique de l’ancienne Cob bolivienne (motion proposée par le PSTU et adoptée par le congrès), ou même une organisation « soviétique » comme le proposaient des ultra-gauche, qui proposaient aussi... l’armement des travailleurs. Si, même sans bien connaître la situation, on devine que ces dernières propositions n’y correspondent guère (comme en a d’ailleurs jugé le congrès), il est vrai que dans une ambiance où les policiers tirent facilement et où les favelas doivent se défendre parfois avec des armes...

Il ne peut être question ici de choisir parmi les diverses options politiques que proposent les différents courants d’extrême gauche ni de nous prononcer catégoriquement sur la stratégie adoptée par le PSTU en matière syndicale. Cela ne signifie pas que ses conséquences, son succès ou son échec ne concerneraient pas tous les militants révolutionnaires, ceux du continent latino-américain bien sûr, mais aussi d’Europe. Cela reflète seulement les limites imposées à tous aujourd’hui par la dispersion, le manque de contacts et d’échanges politiques au sein du mouvement trotskyste.

Ce sentiment m’a d’ailleurs semblé partagé par bien des camarades brésiliens, comme en témoignent leurs questions à un militant trotskyste français venu assister au congrès sur les derniers événements qui se sont produits ici dans la jeunesse ; ou encore la réflexion d’une militante noire de Bélem : « Ca me fait chaud au cœur de savoir qu’à l’autre bout du monde il y a des militants qui défendent les mêmes idées communistes que moi » ou la recommandation d’une autre : « Il faut raconter en France tout ce vous avez vu ici ».

15 juin 2006

A.L.

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