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DOSSIER : Russie, après 1998 et 2008, jusqu’où la nouvelle crise ?

Tour d’horizon de quelques luttes récentes

Mis en ligne le 14 mai 2015 Convergences Monde

La Russie est confrontée depuis quelques mois à une crise qui affecte la plupart des secteurs économiques. La chute du rouble augmente les coûts des secteurs dépendant des importations. C’est le cas de l’industrie automobile, qui pâtit également des sanctions occidentales ; ainsi que des villes de la « rust belt » russe, ces villes mono-industrielles qui n’avaient que peu bénéficié des années de croissance économique récentes et qui sont aujourd’hui touchées de plein fouet : leurs usines, déjà pas très profitables, résistent mal au renchérissement des importations.

En Russie comme ailleurs les classes populaires paient le prix fort de la crise : outre l’inflation (bien des produits de consommation courante, importés, voient leur prix augmenter avec la chute du rouble), elles doivent faire face à des réductions de budgets dans les services publics, à des licenciements et aux salaires non payés. Il semble pourtant que des secteurs de la classe ouvrière russe ne soient pas disposés à subir sans résister.

Le nouveau cosmodrome, lanceur de luttes à venir ?

Symboles des années qui ont suivi l’effondrement de l’URSS et de la banqueroute de 1998, les salaires non payés font, semble-t-il, leur retour en Russie. L’institut de statistiques russe estime que le montant des salaires non payés était, au 1er avril 2015 de 2,9 milliards de roubles (51,3 millions d’euros) soit une hausse de 15 % en un an. Et encore s’agit-il sans doute d’une estimation basse qui ne prend pas en compte tous les cas de chômage technique non payé. Face à la chute du rouble et ses conséquences, nombre d’entreprises et de services publics préfèrent ne pas payer les salaires plutôt que de licencier, afin de ne pas avoir à payer de primes de licenciement… et de ne pas mécontenter les potentats locaux qui ne souhaitent pas voir le taux de chômage officiel de leur région augmenter.

Des mouvements ont éclaté, la plupart du temps spontanés, sans direction syndicale, pour protester contre les retards de paiement. En avril 2015, par exemple, dans la province de Zabaikal (proche de la frontière chinoise), des enseignants ont fait plusieurs jours de grève pour protester contre le non-paiement de leurs traitements. Le gouverneur de la province, qui n’a sans doute pas de problèmes de fin de mois, a exprimé son mépris des grévistes en déclarant : « Certes, c’est grave quand les salaires ne sont pas versés, mais ce n’est pas assez grave pour ne pas aller travailler. »

Ce qui n’était pas non plus l’avis de jeunes salariés d’un fast-food de Saint-Pétersbourg, « Carl’s Junior », sans salaires depuis décembre dernier parce que leur patron se déclare en faillite, qui ont organisé une protestation et un meeting qui a rassemblé en février quelque 300 personnes.

Ces mobilisations ont été très peu médiatisées, étouffées par la propagande du gouvernement sur les sacrifices nécessaires à la défense des intérêts de la Russie. Du moins jusqu’à la grève des travailleurs du chantier de construction du futur centre spatial russe (Vostochny Cosmodrome) destiné à remplacer celui de Baïkonour (aujourd’hui au Kazakhstan). Plus de 200 salariés d’une des entreprises sous-traitantes du chantier ont décidé au début mars de se mettre en grève pour demander le versement de leurs quatre derniers salaires, soit un total de 14 millions de roubles d’impayés (248 000 euros). À la différence des autres grèves, ils ont réussi à se faire remarquer en écrivant en lettres blanches sur le toit de leurs dortoirs : « Cher V. V. Poutine. Quatre mois sans salaire » et « Sauvez les travailleurs ! ». Il faut dire que le chantier a été lancé par Poutine lui-même, qui en a fait un symbole national… réactivant les bonnes vieilles ficelles de la conquête spatiale comme gloire nationale russe. Le jeudi 16 avril, une délégation a eu l’insigne honneur de pouvoir s’adresser directement à Poutine, lors d’une émission de télévision sur une chaîne nationale. Et, comme par miracle, quelques heures plus tôt, une partie des salaires était payée.

Conséquence de la grève, une enquête a été menée par le Procureur général, qui a mis en évidence des détournements de fonds et des retards de paiement chez d’autres sous-traitants. D’après l’enquête du procureur, les retards concernent jusqu’à 1 300 salariés, pour un montant total de 25 millions de roubles (442 900 euros).

Des médecins moscovites contre les coupes sombres dans la santé

Des médecins des services de santé moscovites sont en grève du zèle depuis le 24 mars dernier. Ce mouvement est inédit depuis la grève des ambulanciers de 1993 en Russie. Ils protestent contre les coupes dans les budgets de santé, les réductions d’effectifs et les heures sup’ non payées, conséquences directes de la politique de santé du gouvernement russe depuis 2012. Un des responsables du syndicat des médecins explique : « On alloue moins de 10 minutes à l’examen de chaque patient, ce qui accroît les risques d’erreurs médicales et détériore les conditions de travail. » Une gynécologue gréviste mentionne par exemple le cas de femmes enceintes qui doivent attendre deux ou trois semaines pour une échographie.

Des salariés de l’automobile refusent de payer la crise

Les suppressions d’emplois touchent tous les secteurs, de l’université (30 % des postes doivent être supprimés dans une université de Saint-Pétersbourg) à l’industrie automobile. À Kaluga, les usines Volkswagen et Opel ont supprimé les équipes de nuit. Chez Volkswagen, 150 licenciements ont été annoncés et, chez Peugeot, les contrats à durée déterminée, très utilisés par la direction de l’usine, ne sont bien souvent pas renouvelés. Pour ne pas avoir à licencier, des patrons russes proposent aussi des « départs volontaires » moyennant une prime de cinq à sept mois de salaire selon les cas. À Kaluga, certains salariés prennent le chèque et tentent leur chance avec des petits boulots ou en faisant le taxi – ce que déplorent et essaient de combattre dans leur presse des responsables d’un syndicat indépendant qui jouit d’une certaine implantation dans l’automobile [1].

Mais à l’usine Ford de Saint-Pétersbourg, la proposition de « départs volontaires » contre quatre mois de salaires, ainsi que la menace de 120 suppressions de postes, ont créé une vague de mécontentement et ont été à l’origine de « grèves bouchon », dans certaines équipes jugées stratégiques par les syndicats, pendant deux semaines [2]. Le mouvement est certes demeuré minoritaire (300 salariés sur 2 000), mais a sérieusement perturbé la production. Parmi les revendications : 18 mois de salaires en cas de « départ » et garantie de réembauche prioritaire si l’usine recrée des postes ; indexation des salaires sur les prix ; paiement à 100 % du temps partiel contraint (contre paiement aux deux tiers aujourd’hui). Ces mêmes revendications ont été reprises lors d’une grève dans l’usine Ford de Vsevolojsk, voisine de Saint-Pétersbourg (où 700 salariés avaient été licenciés en 2014).

Il faut dire que toutes les usines automobiles ont suivi la même politique : reporter sur leurs salariés, par des licenciements et des fermetures temporaires ou partielles de lignes de production, les effets des baisses récentes de ventes de véhicules en Russie (après des années de hausse et de profits record !). Une centaine de salariés de General Motors, Nissan et Ford, réunis fin mars à Saint-Pétersbourg, ont dénoncé ensemble cette politique lors d’un rassemblement organisé par les syndicats indépendants.

Dans une autre usine Ford proche de la frontière estonienne, une grève a été lancée pour protester contre les mesures d’économies imposées aux travailleurs sous prétexte de dégringolade du marché automobile russe. En mars dernier, à Kashkanarsk, dans l’Oural, ce sont les travailleurs de l’usine métallurgique de la ville qui se sont mobilisés contre des licenciements.

La défense de la patrie a bon dos !

On le voit, la classe ouvrière russe ne reste pas inerte face à des attaques violentes sur les salaires, les emplois et, in fine, les conditions de vie de l’ensemble de la population. Ces mouvements demeurent parcellaires, minoritaires à l’échelle de l’immense Russie. Ils ne semblent pas non plus en mesure de briser la propagande nationaliste et la démagogie anti-occidentale menée tambour battant par Poutine et la clique au pouvoir depuis l’annexion de la Crimée. Propagande qui n’a d’autre objectif que de tenter de faire accepter à la population des privations encore plus grandes. Cette politique marche en apparence, même si la belle machinerie poutinienne laisse entendre des couacs. La grève des enseignants de la province de Zabaikal s’est ainsi renforcée après que le gouverneur de la province, toujours lui, les avait implorés de continuer à travailler gratuitement pour des raisons patriotiques.

Sacha CREPINI


[1Syndicat interrégional « association ouvrière » (MPRA), www.mpra.su

[2Les deux syndicats MPRA et le PPO (Organisation Syndicale Principale) regroupent 50 % des 1 500 salariés de l’usine Ford de Saint-Pétersbourg.

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