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DOSSIER : Les riches : comment, toujours plus riches, ils raflent toute la mise

Nouveau capitalisme, bonne vieille bourgeoisie : d’un capitalisme familial à un capitalisme sans capitalistes ?

Mis en ligne le 23 mars 2007 Convergences Société

Pendant les Trente Glorieuses il était à la mode de parler d’un « capitalisme des cadres », ou « capitalisme managérial », qui se serait substitué à un « capitalisme familial » que l’économiste Laurent Batsch, dans son livre Le Capitalisme financier [1], caractérise de la façon suivante : Un inventeur génial ou un entrepreneur audacieux faisait fortune en lançant un produit ou en développant une technologie innovante. Ainsi les grandes marques issues de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle portent une signature : Schneider, de Wendel, de Dietrich, Renault, Michelin, pour n’évoquer que quelques noms français. »

Dans ce type de capitalisme « ancienne manière », de grandes entreprises sont contrôlées par de grandes familles, dont les liens de parenté s’entrecroisent. Les membres de la famille siègent au conseil d’administration et si le dirigeant n’appartient pas à la famille, il reste un véritable mandataire. Un tel fonctionnement rendait encore très visibles, en France, les fameuses « deux cents familles » qui dominaient le capitalisme français au temps du Front populaire.

Mais dès la fin du XIXe siècle, dans tous les pays industrialisés, sous l’effet d’une vive concentration des capitaux et d’une fusion du capital bancaire et du capital industriel, de grandes firmes se constituent qui ne dépendent plus exclusivement d’une seule famille. Elles regroupent une grande masse de capitaux issus d’une multitude d’actionnaires différents, y compris des centaines de milliers de petits épargnants. Parmi les actionnaires de ces sociétés anonymes aucun n’est assez puissant pour désigner et contrôler véritablement la direction de la firme. Les managers de ces entreprises se trouvent alors dotés d’une certaine indépendance dans leur gestion et leur stratégie.

Un grand nombre de grandes entreprises capitalistes voient ainsi se séparer la gestion et la propriété du capital. Non certes que la gestion de l’entreprise ne se fasse plus au service des propriétaires privés des capitaux ! Mais ceux-ci ne dirigent plus eux-mêmes ces entreprises. Les grands bourgeois sont de plus en plus de simples rentiers, essayant seulement de sélectionner et diversifier leurs placements, pour en tirer le meilleur revenu, sans jouer le moindre rôle actif dans l’économie.

Dans le cas de la France, l’évolution fut particulièrement nette après 1945. La bourgeoisie sortait de la guerre affaiblie, politiquement et économiquement. Incapable d’investir suffisamment pour relancer l’économie, ne serait-ce que pour son propre profit, elle dut s’en remettre à l’État. Il y eut donc, côte à côte, des grandes firmes familiales extrêmement prospères comme Michelin, Peugeot, Dassault ; des grandes entreprises dirigées par des cadres dirigeants ayant quelque liberté d’action à l’égard de leurs actionnaires propriétaires ; et des grandes entreprises publiques.

Le recrutement des dirigeants des grandes entreprises privées se faisait d’ailleurs dans le même vivier que le personnel dirigeant de l’État. Tous liés d’une manière ou d’une autre à la grande bourgeoisie, ils faisaient partie du même monde. L’économie n’a jamais cessé de reposer sur la propriété et le profit, privés.

Le capitalisme financier moderne

Il y eut tout de même de beaux esprits pour prophétiser l’avènement imminent d’un capitalisme sans capitalistes. Prophétie qui à peine formulée devait être aussitôt démentie. Car le dernier quart du XXe siècle, dans tous les pays développés, a vu une sorte de « retour des propriétaires » dans la gestion des grandes entreprises. Mais sous une forme nouvelle. Pour les grandes entreprises, l’actionnariat direct des particuliers (nombreux, dispersés, peu actifs) a été en effet largement remplacé (en pourcentage dans le capital des entreprises) par des représentants collectifs d’un très grand nombre d’actionnaires, des fonds d’investissement qui brassent sur les marchés financiers des sommes gigantesques [2]. Certains, comme les fonds de pension ou les entreprises d’assurances, peuvent gérer les petites économies des retraités et des assurés, dont l’épargne est ainsi centralisée et placée moins pour le profit de ces millions de gens que pour celui des grands financiers qui gèrent ces fonds moyennant de grasses commissions. D’autres fonds ne s’occupent que des gros placements d’un petit nombre de très riches actionnaires. L’exemple le plus célèbre en est le fonds d’investissement Carlyle, dans lequel on n’entre qu’en y misant plusieurs millions de dollars.

Du coup la plupart des dirigeants des grandes firmes se retrouvent confrontés à des actionnaires, ou à des représentants d’actionnaires, beaucoup plus puissants, et qui imposent plus directement qu’avant, et dans des délais plus courts, les intérêts immédiats du propriétaire : copieux dividendes, rachat d’actions par l’entreprise qui revalorise ainsi les titres et favorise les fortes plus-values. Ce que les PDG appellent « créer de la valeur » et « rendre son argent à l’actionnaire ».

Cette mutation a des conséquences importantes sur les stratégies des entreprises. Car l’actionnaire a deux exigences fondamentales.

D’abord maximiser le profit, y compris à court terme et de façon constante, quitte à sacrifier parfois des investissements de plus long terme. Alors que les entreprises, et particulièrement les plus grandes, prospèrent (en France, par exemple, la part du capital a augmenté de 10 % dans la valeur ajoutée au détriment de celle du travail depuis 1983), elles versent une part de plus en plus croissante de leurs profits directement aux actionnaires.

Ensuite, l’investisseur de capitaux veut minimiser ses risques en plaçant son argent dans des entreprises, des secteurs, des pays différents. Il ne demande donc pas aux dirigeants d’entreprises dans lesquelles il investit momentanément de diversifier les risques de leur entreprise elle-même, puisque son risque, c’est lui qui s’en occupe, en diversifiant ses placements. Il demandera plutôt aux PDG de recentrer leur entreprise sur leur « cœur de métier », les activités les plus rentables, et tâcher de devenir leader dans leur propre secteur, y compris en se développant dans le monde entier. D’où des restructurations permanentes, externalisations d’un côté et fusions-acquisitions de l’autre.

Ces changements rendent le capitalisme encore plus impitoyable pour les salariés. Quant au super manager, sans cesse sous la pression de ses puissants actionnaires et des gestionnaires des fonds d’investissement, il n’est peut-être plus le tout puissant PDG d’antan. Mais il se console en devenant lui-même un riche actionnaire de l’entreprise qu’il dirige, grâce aux stock-options.

Quelle que soit la façon dont elles sont gérées, les grandes entreprises continuent en tout cas d’être gérées au profit exclusif de ceux à qui elles appartiennent, la grande bourgeoisie.

Bernard RUDELLI


L’actionnaire avant tout

En France, depuis une dizaine d’années, les sommes versées aux actionnaires (dividendes, stock-options, jetons de présence) sont passées de 35 % de l’excédent brut d’exploitation (une des façons de mesurer les bénéfices) en 1995 à près de 60 % en 2005, pour les sociétés non financières. Désormais en France les sommes allouées aux actionnaires représentent l’équivalent de 51 % du total des salaires nets, contre 27 % en 1995. Les inégalités entre les salariés et leurs exploiteurs ne peuvent que se creuser à vive allure !

Mais ces choix se font aussi au détriment de l’investissement : en 2006, les profits des entreprises du CAC 40 se sont envolés vers de nouveaux sommets, 97 milliards d’euros. Dont 40 milliards ont été aussitôt reversés aux actionnaires sous forme de dividendes et rachats d’actions, au lieu d’être investis. Une proportion inégalée jusque-là. « Jamais les actionnaires des grandes entreprises cotées au CAC 40 ne se seront autant enrichis…Les dividendes versés au titre de 2006, en hausse de 20 %, auront donc augmenté beaucoup plus vite que les profits (+10,58 %) ! », commente Le Monde daté du 14 mars. Quant à l’investissement, il a… régressé de 120 milliards en 1999 à 77 milliards en 2005 selon Le Figaro du 13-03, malgré cette belle croissance des profits.


[1Édition La découverte, collection Repères.

[2Ainsi, aux États-Unis, les actions cotées en bourse détenues par les ménages sont passées de 91 % du total des actions en 1950 à 44 % en 1998, au profit des actions détenues par les grands fonds d’investissement.

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