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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 140, septembre 2021

Mondialisation des barbelés

La tête contre les murs : bref aperçu des murs, murailles, fossés, frontières barbelées et autres qui divisent les peuples du monde

Mis en ligne le 1er septembre 2021 Convergences

(Ci-dessous la version raccourcie de cet article parue dans le Convergences révolutionnaires imprimé no 140. On peut retrouver ici la version complète de cet article.)


En liaison avec la crise afghane, la Pologne a annoncé qu’elle allait ériger une « solide clôture » de barbelés à sa frontière avec la Biélorussie et y augmenter ses effectifs militaires. De son côté, la Grèce – qui en octobre dernier avait terminé la construction d’un mur métallique de cinq mètres de haut et de quarante kilomètres sur la frontière de deux cents kilomètres qui la sépare de la Turquie – a décidé de déployer désormais tout un arsenal de nouvelles technologies (allant des drones aux caméras en passant par les capteurs thermiques et les canons sonores) pour empêcher les migrants d’atteindre son territoire. Quant à la Turquie, elle n’est pas en reste. Elle est en voie d’achever, à sa frontière avec l’Iran, un autre mur qui, une fois terminé, s’étendra sur 243 kilomètres, 156 kilomètres ayant d’ores et déjà été achevés.

Aujourd’hui, aucun mur, aucune fortification, aussi sophistiqués soient-ils, ne sont capables d’arrêter une armée moderne. Par contre, ils restent fort utiles pour empêcher les mouvements de population. C’est pourquoi ils n’ont cessé de se multiplier. Ils concerneraient entre 6 % et 18 % des 250 000 kilomètres de frontières terrestres existantes, l’estimation basse ne concernant que les murs en dur, l’estimation haute tous les moyens de séparation. Actuellement, 60 % de la population mondiale vit dans un pays ayant construit un mur le long de ses frontières. On en compte aujourd’hui de soixante-dix à soixante-quinze qui s’étendent sur 40 000 kilomètres.

Les murs, des armes contre la population et les migrants

Assez paradoxalement, il y en avait moins pendant la guerre froide (1945-1989). Après la chute du mur de Berlin en 1989, le seul vestige de la confrontation Est-Ouest qui reste encore debout est celui qui sépare les deux Corées. Il s’agit de deux murs parallèles de deux mètres de haut, érigés en 1953, qui encadrent une zone démilitarisée longue de 238 kilomètres et large de 4 kilomètres, parsemée de postes de guet, de tours et d’obstacles de toutes sortes. Le but est d’interdire à la population de gagner le sud de la péninsule où le niveau de vie était, et est toujours, beaucoup plus élevé.

Mais ce que l’on sait moins est qu’à l’autre bout du pays, à la frontière avec la Chine longue de 1 416 kilomètres, cette dernière a aussi érigé des barrières pour empêcher la population nord-coréenne d’entrer sur son territoire, du fait notamment des famines qui touchent régulièrement son pays.

Avec la fin de la guerre froide, beaucoup de chauds partisans du capitalisme pensaient que la disparition de l’URSS et du « camp socialiste » allait entraîner le monde, par-delà les frontières, vers une ère nouvelle, quasiment idyllique, la démocratie libérale constituant désormais l’horizon indépassable de notre temps. Depuis ils ont dû déchanter. Au cours des cinquante dernières années, ce sont plus de 63 murs qui ont fait leur apparition.

Renforcer une frontière, construire un mur est une des solutions (illusoire) proposée par nombre de gouvernements face au malaise de la population dû aux crises économiques, sociales, sanitaires et autres. On le voit au sein de l’Union européenne (UE) où des pays comme la Lituanie et la Hongrie se lancent dans une campagne de communication de renforcement de leurs frontières, l’Espagne faisant de même avec ses enclaves de Ceuta et de Melilla en terre marocaine. L’impulsion vient d’ailleurs de plus haut. L’UE a lancé en 2004, avec tambour et trompette, Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes pour aider les États membres et les pays associés à l’espace Schengen à protéger les frontières extérieures. Contre qui ? Officiellement contre les terroristes, les djihadistes, les trafiquants de toutes sortes mais aussi, et surtout devrait-on dire, les migrants, clandestins ou non. Et parmi les glorieux faits d’armes de Frontex, on note l’arraisonnement en Méditerranée d’embarcations transportant des migrants cherchant à gagner l’Europe et leur remise aux autorités libyennes, mais aussi les entraves mises aux bateaux affrétés par les ONG pour aider ces mêmes migrants. En fait, plus de 90 % des personnes arrêtées par ces mécanismes divers et variés sont des migrants. Et c’est d’ailleurs leur finalité première.

Faire croire que l’on peut protéger un pays de la mondialisation capitaliste par le biais du renforcement des frontières est largement un leurre. Les circuits financiers et commerciaux mondiaux se moquent bien des limites nationales des États. Et si le renforcement des frontières est un frein à la libre circulation des personnes, c’est plus rarement le cas pour celle des marchandises. L’exemple des États-Unis est, de ce point de vue, intéressant. Comme on le sait, Donald Trump avait fait de la prolongation du « grand et beau mur » entre son pays et le Mexique un enjeu politique majeur. Ce mur, commencé en 2006 sous George Bush, atteint aujourd’hui 1 300 kilomètres. Mais si l’ouvrage a pu empêcher des dizaines de milliers de migrants venant de toute l’Amérique latine d’entrer sur le territoire américain (on estime qu’il a fait baisser de 25 % l’immigration clandestine), il n’a guère nui aux échanges commerciaux entre les deux pays, puisque la valeur des marchandises qui traversent cette frontière est estimée à 1,3 milliard d’euros par jour.

Parmi ces murs, le plus long sépare l’Inde du Bangladesh sur 3 200 kilomètres. Fait de briques et de barbelés, il est censé empêcher la venue de migrants clandestins bangladeshis mais aussi birmans. Toujours en Inde, mais cette fois au nord-ouest du pays, existe depuis 1949 une ligne de grillages et de barbelés, haute de quatre mètres, qui coupe en deux, sur 740 kilomètres de long, la région du Cachemire, revendiquée à la fois par le Pakistan et l’Inde. Ce dernier pays y a ajouté, en 2004, une barrière électrifiée.

Les murs, armes de spoliation

Une autre catégorie de murs est constituée par ceux construits dans le but de spolier une population d’une partie de son territoire en empêchant tout retour sur ses terres. Le plus connu est celui bâti par Israël à partir de 2002 en Cisjordanie occupée. Officiellement il s’agit d’empêcher les attentats palestiniens sur le sol israélien. Mais, dans les faits, l’État sioniste veut imposer une autre frontière qui agrandirait son territoire. C’est pourquoi le mur empiète très largement sur la Cisjordanie occupée, englobe des colonies juives mais aussi des terres fertiles et des puits dont l’accès est désormais interdit aux Palestiniens. Une fois terminé il devrait avoir 700 kilomètres de long, la partie la plus impressionnante, de neuf mètres de haut, ne correspond en réalité qu’à 5 % du tracé. Quant à la barrière de Gaza, elle s’étend sur 63 kilomètres et emprisonne, dans ce que l’on considère comme la plus grande prison à ciel ouvert du monde, deux millions de personnes vivant dans des conditions souvent effroyables.

Autre mur spoliateur : celui qui court d’un bout à l’autre de l’île de Chypre, sur 180 kilomètres. Il coupe en deux la capitale, Nicosie, et a été concrétisé en 1974 après l’invasion de la partie nord de l’île par l’armée turque. Là encore il n’a aucun intérêt militaire mais permet d’empêcher les milliers de Chypriotes grecs de regagner leurs foyers dans le territoire annexé et passé sous domination turque.

Enfin, le « mur des sables » traversant, sur 2 720 kilomètres, le Sahara occidental a été construit par le Maroc entre 1980 et 1987. Gardé par 100 000 soldats, il empêche, plus que les incursions armées du Front Polisario, la population sahraouie, parquée dans des camps de réfugiés en Algérie, de regagner ses terres conquises par le Maroc.

Un monde sans murs et sans frontières

Il serait fastidieux d’égrener la liste des autres murs, murailles, fortifications et barrières qui enserrent les peuples, de l’Irlande du Nord à la Norvège, de l’Arabie saoudite à la Birmanie et du Pakistan à la Roumanie, en passant par le Brésil. Mais cette image d’un monde muré reflète un système qui exploite la planète au profit d’un petit nombre tout en laissant croire aux autres que le chacun pour soi serait la seule solution aux problèmes de l’humanité. Les gouvernements appellent à accepter le renforcement des frontières et les restrictions des libertés – les deux étant liés – pour prétendument nous « protéger » contre le terrorisme, le danger islamiste et les invasions migratoires. Et, pendant ce temps, les grands pays impérialistes – et les groupes financiers, bancaires et industriels qu’ils représentent – continuent de mettre le monde en coupe réglée en ignorant les frontières, fortifiées ou non, mais en entretenant, voire en suscitant, les jalousies, les peurs et les haines entre les opprimés. C’est une illustration, parmi d’autres, du « diviser pour régner ».

C’est pourquoi se battre pour un monde plus juste, sans exploitation ni oppression, est indissociable de la lutte pour l’abolition des frontières et de tout ce qui divise les peuples.

Et nous faisons nôtre l’affirmation que certains attribuent à Isaac Newton : « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. »

29 août 2021, Jean Liévin

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Numéro 140, septembre 2021