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DOSSIER : Capitalisme du XXIe siècle : déjà la faim… bientôt la crise ?

La crise jusqu’où ?

Mis en ligne le 1er juillet 2008 Convergences Société

La crise financière déclenchée l’été dernier n’en finit pas de se développer. Aux États-Unis l’économie est bel et bien entrée en récession. La crise peut-elle être encore plus profonde ?

Ce qui inquiète le plus les milieux dirigeants de la bourgeoisie, ce n’est ni la détresse de millions de travailleurs américains ni la famine mondiale liée à la spéculation, ni même la forte baisse du marché des actions, même si le petit krach de janvier dernier leur a donné quelques suées. Après tout, un krach financier n’est pas automatiquement synonyme de dépression économique ou de long marasme des affaires, comme l’a montré celui d’octobre 1987 qui, à l’inverse de celui de 1929, ne fut pas suivi de drames pour les profits des entreprises et de leurs propriétaires.

Certains se complaisent même aujourd’hui à souligner que les « fondamentaux » sont bons, c’est-à-dire que globalement les entreprises font des profits considérables. Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle donc des sueurs froides ? C’est que cette crise financière révèle que certains ressorts de la croissance mondiale, et en premier lieu américaine, des quinze dernières années sont certainement épuisés aujourd’hui.

Une croissance bien réelle

Car croissance il y a bien eu. Même si elle était nettement moins vigoureuse que celle des Trente glorieuses, surtout en Europe et au Japon. Pendant toute cette période le premier moteur de la croissance mondiale fut les États-Unis. Entre 1992 et 2007, sur 15 ans, ils ont connu 10 années de croissance supérieure à 3 % (contre une seule dans l’UE et aucune au Japon). De 1994 à 2007 la production de l’économie américaine a cru de près de 60 %.

Cette croissance a été alimentée par des progrès de productivité, liées aux nouvelles technologies de l’information qui ont permis de mieux gérer les entreprises, de gaspiller moins de capital, de mieux coordonner le travail humain… et de mieux l’exploiter. D’autant plus que les entreprises américaines ont massivement investi dans ces équipements, qui sont devenus rapidement plus efficaces et moins chers, vu les énormes progrès de la productivité dans les secteurs qui les fabriquent. À ce facteur technologique s’est ajoutée une exploitation croissante du monde du travail, soumis à davantage de précarité et à un temps de travail grandissant.

Mais une croissance à crédit

La croissance américaine reposait aussi largement sur une forte consommation, sans laquelle ces investissements des entreprises n’auraient pas eu de sens. Un paradoxe, puisque les salaires de la plupart des Américains ont stagné depuis le début des années 1990. Le salaire médian américain (le niveau au-dessus duquel se situent la moitié des salariés) n’a progressé par exemple que de 11 % entre 1996 et 2001. Le salaire horaire ouvrier moyen a même baissé depuis le début des années 1980 alors que le PIB américain faisait plus que doubler ! L’essentiel des nouvelles richesses créées ont été accaparées par les couches les plus riches de la population, dont l’appétit certes vorace de biens et services en tous genres ne saurait à lui seul expliquer le dynamisme de la consommation américaine, car les revenus des plus riches cherchent pour l’essentiel à se placer dans les actifs financiers et du patrimoine.

Comment expliquer alors une telle « consommation des ménages », comme on dit, dont la part dans le PIB américain est passée d’une moyenne de 67 % entre 1975 et 2000 à 72 % ces dernières années ? Comment le capitalisme américain a-t-il pu avoir le beurre et l’argent du beurre, les bas salaires à verser et les bonnes ventes quand même ?

Le système a reposé sur un endettement galopant, adossé à un boom de l’immobilier. Les Américains ont acheté massivement dans l’immobilier, y compris en s’endettant lourdement. Les prix des maisons augmentant de façon spectaculaire et continue d’année en année (la valeur moyenne d’un logement a augmenté de 100 % entre 1997 et 2006), il y a eu un « effet enrichissement », les ménages se permettant de contracter des emprunts pour consommer au vu de l’élévation considérable du prix de leurs biens, qui semblait leur assurer une plus-value potentielle considérable. Les prêts à la consommation étant souvent hypothéqués sur la valeur sans cesse croissante des maisons, l’endettement entraînait le boom de l’immobilier qui entraînait l’endettement.

Le secret pour que cela continue de marcher, c’était bien sûr… que cela continue de marcher. La bulle fut donc alimentée consciencieusement ces dernières années par les prêteurs en tout genre et par les autorités américaines elles-mêmes, qui ont maintenu des taux d’intérêt bas pour rendre les emprunts plus attractifs. Avec ses ultimes conséquences : laisser s’endetter sans retour les couches les plus pauvres de la population, par la magie des prêts subprimes , histoire de faire durer encore un peu plus la bulle. Et la croissance.

Les ménages américains ont aujourd’hui un taux moyen d’endettement sans précédent, environ 140 % du revenu annuel.

Crise du crédit, crise de la consommation

Quand la bulle a éclaté, en juillet 2007, à sa pointe extrême (les subprimes ), c’est tout le château de cartes de la croissance américaine aux voiles gonflées par le surendettement qui s’est révélé branlant, prêt à s’effondrer.

Que risque-t-il alors de se passer ? D’abord la crise peut se développer par rationnement du crédit. C’est ce qui est arrivé lors de l’éclatement d’une autre bulle spéculative qui faisait suite à une période de vive expansion… en 1929. À l’époque, avec la faillite de nombreuses banques et la ruine d’une multitude d’actionnaires, le système financier a implosé. Quand la bourse a brutalement chuté, lors du fameux jeudi noir d’octobre 1929, les banques se sont retrouvées écrasées de titres sans valeur, endettées, et ont gelé les crédits. De proche en proche la crise a gelé toute l’économie capitaliste, la dictature du profit privé empêchant toute vraie relance de la machine économique.

Ce scénario noir est censé être évité désormais par l’intervention massive et internationalement coordonnée des États, pour sauver la finance. Mais si une paralysie catastrophique du crédit a été évitée, un long marasme ne le sera pas forcément. C’est ce qui s’est passé au Japon, en 1989. Une bulle boursière et immobilière éclata alors (l’indice boursier valait 40 000 yens en décembre 1989, contre 13 000 aujourd’hui !), ce qui laissa une montagne de dettes dans les bras des banques et des entreprises, les amena à geler durablement leurs investissements, et mit à mort le système de « l’emploi à vie » dans les entreprises, qui se rattrapèrent par leurs performances à l’exportation.

Sauf que cette fois, contrairement aux autres crises financières des trois dernières décennies, on se retrouve véritablement au cœur du capitalisme mondial ! Les banques, et d’ailleurs la bourgeoisie du monde entier, ont des « positions » c’est-à-dire des actifs dans le système financier américain. Quant à l’économie américaine, sa croissance n’a pas seulement fait l’affaire des entreprises produisant sur le sol américain : elle a largement entraîné pendant plus d’une décennie toute l’économie mondiale, en important massivement, notamment auprès des pays émergents, Chine en tête, qui sont du coup énormément dépendants de leurs ventes sur le marché américain. C’était là encore une consommation à crédit, avec un gigantesque déficit commercial chronique en défaveur des États-Unis.

Une forte récession américaine, ou un ralentissement très durable, c’est donc une crise économique grave pour le monde entier qui peut s’annoncer.

La crise ne se résume pas à un délire de la finance

Le problème posé par la crise financière actuelle dépasse largement celui de la seule finance, qui serait comme une maladie qui contaminerait l’économie réelle de l’extérieur, une maladie qu’il faudrait juguler en régulant le diable de la spéculation, des marchés financiers irrationnels et des fonds spéculatifs irresponsables.

C’est en fait la croissance mondiale (de l’économie dite réelle) telle qu’elle fonctionnait depuis 15 ans qui craque aujourd’hui sous les contradictions habituelles du capitalisme. Celui-ci exige de développer les marchés tout en accentuant l’exploitation et en maintenant ses soutiers dans la misère, et il cherche à élargir ses limites par le crédit et les bulles financières. Ce sont ces contradictions de l’économie réelle telle qu’elle est soumise aux lois du capitalisme qui expliquent les délires de la finance, non l’inverse.

De là vient que les espoirs de ceux qui veulent se barder d’optimisme au sein de la bourgeoisie, ne portent pas seulement sur une quelconque réforme de la tuyauterie financière mondiale mais sur le fonctionnement général de l’économie mondiale. Et si la croissance économique américaine repartait sur des bases plus « saines », avec plus d’épargne et d’investissement et moins de consommation ? Et si la stagnation américaine était compensée par la croissance chinoise ou indienne ? Et chacun dans le petit monde de la grande bourgeoisie et de ses penseurs d’espérer que la machine mondiale à faire suer les profits trouvera de nouveaux moteurs.

Peut-être leurs vœux seront-ils exaucés. Peut-être allons-nous au contraire connaître un scénario à la japonaise, cette fois bien plus grave car à l’échelle du monde. En tout cas la crise financière actuelle frappe déjà de façon terrifiante des centaines de millions de personnes à travers le monde.

Bernard RUDELLI

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