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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 102, novembre-décembre 2015 > DOSSIER : COP 21 : avec de tels sauveurs, la planète est mal barrée

La création d’un nouveau marché financier : La finance verte

9 décembre 2015 Convergences Société

Le premier sommet sur « l’environnement humain » fut organisé par l’ONU en 1972 à Stockholm. Derrière le slogan fédérateur « Nous n’avons qu’une seule Terre » , il s’agissait de discuter d’une politique mondiale d’accès aux ressources naturelles. À cette époque, les scientifiques alertaient sur l’épuisement prochain des puits de pétrole, ce qui inquiétait les pillards impérialistes.

L’environnement n’y fut discuté qu’en tant que réservoir de ressources naturelles. Le sommet était présidé par Maurice Strong, un industriel du pétrole.

1992 : le sommet de Rio

L’ONU y organisa la plus grande des grand-messes de son histoire : le Sommet de la Terre, qui réunit 40 000 personnes dont 103 chefs d’États. Le « monde des affaires » y était représenté pour la première fois directement parmi les délégués. Son poids ne fera qu’augmenter au fil des sommets.

Les délégués de Rio ont fixé le cadre idéologique des futures conférences : corriger le « marché » pour qu’il prenne en compte les pollutions, les dommages infligés à la nature lors de la production. Ceux-ci n’ont pas de prix, ils sont a priori hors marché, ils ont été baptisés par un doux euphémisme : « les externalités négatives ». Les délégués se sont donc donné pour feuille de route « d’internaliser ces externalités ». C’est-à-dire de donner un prix aux écosystèmes, à la rivière, la forêt ou à la biodiversité, afin que leur dégradation puisse être prise en compte par le marché sous forme d’un coût additionnel. Depuis, ce procédé comptable qui consiste à donner un prix à la nature et donc à en désigner des propriétaires, est devenu le dogme des différentes COP. Comme « greenwashing du capitalisme », c’est parfait. Voilà comment faire digérer l’écologie par le capitalisme.

Un prix à la nature ?

Donner un prix à l’espèce « chauve-souris », au énième gène d’une bactérie ou à une tonne de CO2 n’a aucun sens selon la loi de la valeur-travail du capitalisme. C’est une entreprise purement financière. Or il se trouve qu’en 1992, au moment du sommet de Rio, les mêmes marchés financiers connaissaient une phase de développement exponentiel. Voilà ce que cette première conférence écolo a laissé à l’histoire : l’ambition de régler les problèmes environnementaux de l’humanité par la création d’un nouveau marché financier, la finance verte.

Le sommet de Rio s’est d’abord concentré sur la biodiversité. Il l’a définie comme une « ressource » qu’il s’agissait de sécuriser et dont il fallait partager les « avantages découlant de son exploitation ». Par partager, comprenez bien sûr découper en parcelles de propriétés et mettre sur le marché. Ainsi la « biodiversité » était-elle considérée à Rio exactement comme le pétrole et le charbon à Stockholm 20 ans plus tôt. Concrètement, le sommet de Rio a donné une impulsion au brevetage du vivant. Il a ouvert la voie à la reconnaissance de droits de propriété sur des séquences ADN ou des processus naturels. C’est grâce à cela que Monsanto ou Bayer peuvent aujourd’hui breveter des semences, OGM ou pas, et se faire payer une rente sur le dos des paysans qui réensemencent. Quant à l’effet sur la biodiversité, il suffit de rappeler que 23 ans plus tard, nous vivons la sixième grande vague d’extinction d’espèce que notre planète ait connue dans sa longue histoire.

1997, le protocole de Kyoto : invention du marché des droits à polluer

Le sommet de Rio de 1992, a également acté le début de négociations internationales sur le changement climatique. Celles-ci ont été marquées par l’adoption d’un accord cinq ans plus tard en 1997 : le protocole de Kyoto. Les pays industriels signataires de Kyoto (rappelons que les USA n’ont pas ratifié, que le Japon et le Canada s’en sont retirés) se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % entre 1990 et 2012. Seulement un tiers de cet objectif a été réalisé à l’heure actuelle.

L’accord de Kyoto est dans la droite ligne de celui de Rio : pour préserver l’atmosphère, il faut lui donner un prix. Ainsi les États signataires ont-ils été incités à créer des « marchés du carbone » ou «  marchés des droits d’émission » , en clair des marchés de droits à polluer. Tout à fait dans la tradition de l’Église catholique, qui avait donné un prix aux « indulgences » à la fin du Moyen Âge, promettant aux généreux donateurs de limiter la période de purgatoire... C’est en Europe que ces marchés ont été développés depuis 2005. Un des objectifs des négociations de la COP21 est de généraliser ce marché, de le mondialiser. Et même d’étendre ces mécanismes à d’autres cycles et fonctions naturelles de la planète.

Ces mesures reçoivent le soutien unanime du patronat : Hollande en a fait la publicité en Chine le mois dernier, flanqué de 80 grands patrons français qui ne voulaient pas manquer l’opportunité.

Les marchés des droits d’émission, comment ça marche ?

Chaque État de l’Union européenne se voit attribuer un certain nombre de droits d’émission, qui représentent chacun le droit de rejeter une tonne de CO2. Le total des droits distribués est censé diminuer chaque année, suivant les objectifs adoptés à Kyoto.

Ensuite chaque État dresse la liste des entreprises polluantes sur son territoire et attribue à chacune un certain nombre de ces droits d’émissions. 11 500 sites industriels étaient concernés en 2012, d’autres secteurs s’ajoutent peu à peu depuis 2013. Une usine qui émet plus de CO2 qu’elle ne possède de droits d’émissions paye une amende (entre 40 et 100 euros la tonne, un tarif pas vraiment prohibitif, mais notable). Et une usine qui, à l’inverse, émet moins de CO2 qu’elle ne possède de droits d’émissions, se retrouve avec un stock de droits sur les bras.

C’est là qu’intervient le marché des droits d’émissions, appelé ETS (de l’anglais : Emissions Trading Schemes, ou, littéralement, système commercial des émissions). C’est une bourse des droits à polluer. Ceux qui en ont en trop y vendent leurs droits. Et ceux qui n’en ont pas assez et ne veulent pas payer l’amende y achètent des droits.

Prenons un exemple avec deux entreprises, A et B, qui émettent chacune 100 tonnes de CO2 par an. Dans le but de faire baisser les émissions, l’État distribue à A et à B 90 droits d’émission chacun. A n’investit pas et émet toujours 100 tonnes. B investit et n’émet plus que 80 tonnes. A achètera donc à B 10 droits d’émission pour ne pas payer l’amende, ce qui pénalise A et permet à B de financer en partie son investissement. Et le total des émissions de A et de B est passé de 200 à 180 tonnes. Que demande le peuple ?

Le prix d’un droit d’émission est fixé par la loi de l’offre et de la demande. En théorie, s’il y a plus d’acheteurs que de vendeurs, c’est-à-dire si globalement il y a plus d’émissions que de droits, alors les prix monteront. Ce surcoût devrait inciter les entreprises à procéder aux modernisations nécessaires pour émettre moins de CO2. Ainsi, au fur et à mesure que le total des droits mis en circulation par l’État diminue, le prix des droits augmentent et incitent les patrons à investir dans les technologies vertes. L’incitation à la vertu du capital, cette fameuse loi du marché.

Résultat : il y a loin de la théorie à la pratique, comme toujours. Le prix de la tonne de CO2 sur ce marché est passé de 30 euros en 2005 lors de son lancement... à 5 euros en 2010 en pleine récession avant de se stabiliser aujourd’hui autour de 10 euros. Bref, le prix des droits a été divisé par trois, au lieu d’augmenter. Belle incitation. C’est que, la production totale ayant baissé sous l’effet de la crise, il y a eu beaucoup plus de droits à polluer mis en circulation par les États que de demande. D’où l’effondrement des prix. Et depuis, les États rechignent à diminuer le total des droits qu’ils font circuler au nom de la compétitivité de leurs entreprises à l’international. Il est donc beaucoup plus économique d’acheter des droits supplémentaires que de payer les investissements antipollution. CQFD.

Mais, soyons justes, admettons que ce marché se détraque en temps de crise, comme tous les marchés. Bon. Quelles sont ses conséquences prévisibles en temps normal ? Aujourd’hui et jusqu’en 2020 au moins, les États distribuent gratuitement les droits d’émission en fonction de la taille de l’entreprise. Mais attention, ce ne sont pas tous ces droits d’émission qui sont mis sur le marché, mais uniquement ceux qui manquent quand les émissions de l’entreprise dépassent l’objectif, ou ceux en surplus quand elle émet moins que l’objectif. Bref, c’est ce marché d’une toute petite partie des droits d’émission, qui fixe les prix pour l’ensemble des droits attribués gratuitement. Et ces prix sont répercutés sur le prix de vente des produits, donc sur le consommateur.

La banque suisse UBS a calculé que ce surcoût se chiffrait entre 10 et 20 euros par mégawatt-heure, facturé au consommateur d’électricité. Et de conclure : « d’ici 2025, le [marché des droits d’émissions] aura coûté 210 milliards d’euros aux consommateurs. Si cette quantité d’argent avait été utilisée pour cibler précisément le remplacement des usines les plus polluantes de l’UE, les émissions auraient baissé de 43 %, au lieu d’un impact presque nul dans le cadre de l’échange de droits d’émissions ».

L’existence de ce marché qui ne correspond qu’à un échange de valeurs virtuelles permet donc le transfert de sommes considérables de la poche des consommateurs vers le patronat. Puisque ces droits sont distribués gratuitement par l’État et rachetés en partie par lui, ce marché fonctionne comme une vaste subvention publique déguisée. À supposer que cette méthode permette un jour une diminution des émissions de gaz à effet de serre, celle-ci n’est en aucun cas financée par la bourgeoisie.

2008 : les « crédits carbone »

Au système des droits d’émissions s’ajoute celui des crédits carbone. Des crédits carbone sont générés par un investissement « propre » dans un pays du tiers-monde. Ils se chiffrent aussi en tonnes de CO2 et correspondent à la quantité de CO2 évitée grâce à l’investissement.

Depuis 2008, un crédit carbone est équivalent à un droit d’émission sur le continent européen. C’est-à-dire qu’une tonne de CO2 non émise, par exemple au Brésil, donne le droit d’émettre une tonne de CO2 en Europe. Vous êtes gentil là-bas, ce qui vous permet d’être méchant ici. Mais qu’est-ce qu’une tonne de CO2 non émise ? Par rapport à quelle référence ?

La plupart des investissements ouvrant droit à des crédits carbone auraient été faits de toute façon, voire n’ont aucune réalité et donc ne coûtent rien (60 % de ces investissements sont bidons d’après des chercheurs de Stanford). Mais comme un crédit carbone a la même fonction qu’un droit d’émission, il s’échange lui aussi sur ce même marché. Et il rapporte un surprofit au capitaliste concerné (dans l’immense majorité des cas une firme occidentale), tout en saturant les marchés européens de droits d’émission, donc en maintenant très bas le coût d’une sur-pollution.

Les petits malins

Prenons un exemple significatif. En Asie la production de gaz réfrigérant a connu un boom dans les années 2000. Un sous-produit de cette production est le gaz HFC-23, dont le potentiel d’effet de serre est 11 700 fois plus important que le CO2. La destruction d’une tonne de HFC-23, pas compliquée, ne coûte qu’un euro. Mais elle rapporte 11 700 crédits carbone, à 11 euros chacun. Du coup, des multinationales achetaient du HFC-23 uniquement pour le détruire afin d’empocher les crédits carbone et de les revendre sur les marchés des droits d’émission européens. Et c’est ainsi que la production de gaz réfrigérant s’est emballée, non pas tirée par la vente de ce gaz lui-même, mais de son sous-produit polluant le HFC-23… Une décision de justice a récemment mis un terme à cette pratique, non sans donner un délai confortable aux fraudeurs afin qu’ils aient le temps de se retourner.

Raphaël PRESTON

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