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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 121, septembre-octobre 2018 > Élections au Brésil

Élections au Brésil

Lettre d’un lecteur de Convergences révolutionnaires

L’écrasement des travailleurs brésiliens surexploités par une infime minorité : une longue histoire

Mis en ligne le 30 septembre 2018 Convergences Monde

La situation permet à l’ex-capitaine Bolsonaro, un bateleur minable et dégoûtant, un matador raté de cour de caserne, raciste et méprisant envers les femmes, de se présenter comme une alternative politique pour des millions de gens, au nom du rejet du « système ». Un système dont lui-même reste un pur produit, même s’il s’agit d’un produit avarié.

De manière peut-être un peu plus caricaturale qu’ailleurs, le jeu politicien au Brésil est un théâtre de marionnettes dont les discours ne servent qu’à couvrir (mal) les cris des travailleurs surexploités par une infime minorité parasite d’un des pays les plus riches au monde. Les politiciens brésiliens, corrompus dans leur immense majorité, changent les étiquettes de « gauche » et de « droite » comme de chemise. Ils n’ont aucun principe, ils n’ont que des pratiques d’accaparement et de maintien du statu quo social, c’est-à-dire d’écrasement et de mise à l’écart de la majorité de la population. La grande question, c’est comment cette majorité a été systématiquement exclue de la marche de la société dans un pays aussi violent socialement. Cette exclusion a une longue histoire.

La bourgeoisie brésilienne, depuis 500 ans…

Depuis 500 ans, la bourgeoisie brésilienne a réussi l’exploit de garder toujours intacts et de transmettre à sa descendance ses privilèges, malgré les bouleversements de l’histoire et les transformations de l’économie : d’abord comme colonie de la Couronne portugaise (XVI-XVIIIe siècles), puis sous un empire tropical indépendant et esclavagiste (XIXe siècle), ensuite au travers d’une république oligarchique gouvernée par des grands propriétaires terriens (1890-1930), puis sous un régime autoritaire bonapartiste (1930-1953), celui de Vargas, le « Perón brésilien », aux accents tantôt fascistes tantôt travaillistes, et enfin durant une dictature militaire pro-américaine et d’extrême droite (1964-1985). À chacune de ces étapes, le pouvoir s’est transmis au sein d’un cercle restreint, de manière confiscatoire, sans que jamais les travailleurs pauvres ne puissent intervenir, même par procuration. Autrement dit, jamais la bourgeoisie n’a eu peur dans sa courte vie de classe parasite, jamais elle n’a senti sur sa nuque le souffle chaud de la contestation sociale. Elle a toujours su négocier, naviguer, tergiverser, muter, lâcher du lest pour sauver les meubles, quitte à laisser des démagogues ou des militaires gouverner à sa place, tout en sachant s’en débarrasser quand elle n’en avait plus besoin. C’est ainsi que l’esclavage a été aboli par l’empereur, que la république a été décrétée « par en-haut » ou que bien plus tard les militaires tortionnaires, dont Bolsonaro se réclame aujourd’hui, ont pu quitter la scène sur la pointe des pieds, sans rendre des comptes, en garantissant leur impunité et sans que leur succède, dans un premier temps du moins, un pouvoir élu au suffrage universel.

Lula et son Parti des travailleurs…

C’est à la fin de la dictature militaire, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, qu’un nouvel acteur est apparu au Brésil : Lula et son Parti des travailleurs (PT). Aujourd’hui, quarante ans après, on connaît le fin mot de cette histoire : le projet de Lula et de ses camarades syndicalistes et militants de gauche était dès le départ un projet de réforme du capitalisme brésilien post-esclavagiste, pour essayer de le rendre un peu moins barbare et plus acceptable aux yeux des déshérités sans jamais toucher aux privilèges des possédants. En somme, un projet de collaboration de classes et surtout pas un projet révolutionnaire prolétarien. Pourtant, on ne peut que constater l’immense espoir que Lula et le PT ont su susciter et entretenir depuis quarante ans et encore aujourd’hui auprès des travailleurs. Cet espoir, maintes fois déçu, le PT sait le faire revivre, comme en ce moment lors des élections générales, pour le capitaliser et s’en servir comme monnaie d’échange avec la bourgeoisie. Mais les bourgeois brésiliens n’ont pas de traditions de collaboration de classes : leurs traditions, c’est la rapine et la brutalité sauvage des négriers. Les bourgeois brésiliens détestent le PT, ils mordent cette main qui les nourrit. Ou qui essaye !

Mais d’où vient cette haine ? De la peur des pauvres. D’où vient cette peur, alors ? De l’espoir et de l’enthousiasme des travailleurs qui s’identifient à l’un des leurs, fût-il un martyr de la bourgeoisie, prêt à croupir en prison plutôt que de mener une révolte qui pourrait le libérer mais risquerait rapidement de dépasser le cadre bourgeois. Comment en est-on arrivé à cette impasse ?

D’une certaine manière et à son corps défendant, Lula, par sa simple existence de prolo qui a une tête de prolo, un corps meurtri de prolo (il a eu un doigt sectionné par une machine-outil), Lula qui sait parler au cœur des prolos comme un authentique leader prolétarien (mais qui sait aussi parler très poliment aux banquiers), Lula rallume la peur ancestrale des esclavagistes, celle d’être submergés et égorgés par leurs esclaves vengeurs. Dit d’une manière plus politique, Lula et le PT ont brisé le monopole bourgeois sur le pouvoir politique central : les partis bourgeois traditionnels, malgré leurs innombrables relais dans la presse, les Églises et les entreprises, sont incapables de présenter un candidat crédible contre Lula, même après les scandales géants de corruption du PT. En 2010, après deux mandats comme président de la République, et malgré l’hostilité massive de la bourgeoisie, Lula, fort d’une popularité stratosphérique de 80 % d’opinions favorables (pour un sortant !) a su faire élire (de justesse) sa dauphine politique, Dilma Rousseff, une bureaucrate insipide.

Au Brésil, le vote est obligatoire sous peine d’amende. Dans un pays aussi pauvre, ce système a d’abord favorisé les partis bourgeois, capables de « mobiliser » des voix en les achetant. Mais le PT et Lula ont détourné ce système à leur avantage : leur popularité a semblé rendre la présidence de la République hors de portée des bourgeois, une situation inédite et très anxiogène pour eux. Voilà comment l’espoir des pauvres a engendré la peur des riches. Une peur assez irrationnelle, car ils ont continué à bien s’enrichir durant les treize années de pouvoir du PT, un parti qui a montré son respect de l’ordre, de l’impérialisme, un parti qui a su envoyer les flics casser des grèves, et même l’armée si nécessaire. Mais pourtant, en 2013-2014, après leur troisième défaite d’affilée à la présidentielle, les bourgeois ont décidé de lâcher les chiens : la presse, les juges, les députés. Les chiens ont fait leur job : ils ont semé la rage, ils ont monté les bataillons de la petite-bourgeoisie contre le PT. Car plutôt que de réformer un système politique vermoulu par la vénalité et l’enrichissement des députés, le PT a préféré faire comme les autres : payer les députés pour qu’ils votent avec leur gouvernement. Les députés corrompus par le PT ont encaissé leur fric, puis attendu le moment opportun pour vendre la mèche dans la presse et raconter que le méchant PT les achetait... Résultat, un sentiment anti-PT s’est cristallisé à la droite et à l’extrême droite de l’échiquier, dans un mélange baroque de tout ce que la société compte d’arriérés, de pourris et de réactionnaires mécontents d’un système politique que le PT incarnait depuis trop longtemps : flics et militaires à la retraite, pasteurs évangéliques conservateurs et illuminés, footballeurs nouveaux riches, routiers et chauffeurs de taxis mécontents, patriotes enragés, défenseurs homophobes des valeurs familiales. Mais aussi avocats, médecins, patrons, mus uniquement par la haine de classe, hystériques à la seule évocation des noms de Lula et de Dilma, incarnations de leur impuissance. C’est sur cette vague de fond anti-PT qu’une nullité comme Bolsonaro a su surfer. Tout cela devant une gauche sociale-démocrate complètement atone, jusqu’à la campagne présidentielle.

Bien sûr, le Brésil, ne vit pas à l’abri des grands courants économiques et politiques qui traversent le reste du monde. Bien sûr, la montée politique des idées réactionnaires et d’extrême droite se fait sentir sur tous les continents. Bien sûr, Bolsonaro fait irrésistiblement penser à un Trump brésilien par sa violence et la bêtise crasse de ses préjugés. Mais finalement, rien de tout cela n’excuse les trahisons et la lâcheté du PT vis-à-vis de son électorat, les travailleurs pauvres du Brésil.

Edgar Ulysse

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