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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 121, septembre-octobre 2018 > Élections au Brésil

Elections au Brésil

« Il ne suffira pas de sortir le bouc de la salle »

30 septembre 2018 Convergences Monde

Les 7 et 28 octobre auront lieu au Brésil les élections présidentielles, législatives et des gouverneurs des États. Elles se tiennent dans un climat délétère, dans un contexte de crise économique et d’augmentation du chômage pour les classes populaires ainsi que de scandales judiciaires qui ont révélé depuis quelques années l’ampleur de la corruption dans le monde politique et des affaires.

C’est un candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, qui se tient en tête des sondages, alors qu’il se réclame de la dictature qui a sévi de 1964 à 1985 et se dit ouvertement adepte d’un retour de l’ordre militaire dans le pays. Cet obscur capitaine de réserve se présente comme un anti-système – alors qu’il roule en politique depuis 1990 – et claironne des propos outrancièrement racistes, misogynes et anti-pauvres.

Ce candidat, dont l’électorat serait selon des politologues brésiliens plutôt blanc et aisé, parle à l’oreille des patrons petits et grands, notamment ceux de l’agro-business (le Brésil est l’une des plus grandes puissances mondiales de l’agro-alimentaire) et prétend en finir avec les droits les plus élémentaires des travailleurs pour « libérer » le patronat.

Mais plus largement, il surfe à la fois sur le dégoût que suscitent les partis politiques dont la plupart des responsables, notamment ceux du PT, baignent dans des affaires faramineuses de pots de vin et de trafics d’influence, mais aussi sur le sentiment d’insécurité lié à la délinquance dans les grandes villes (plus de 83 000 meurtres l’année dernière, un record). Récemment baptisé, il invoque dieu à chaque détour de phrase pour ratisser large dans un pays où le sentiment religieux est très présent. Et pour couronner le tout, il a été poignardé par un déséquilibré se disant menacé par ses idées lors d’un meeting à Minas Gerais, ce qui lui vaut une certaine notoriété.

Les femmes manifestent

Son succès relatif mais menaçant suscite légitimement la peur dans de larges pans de la population. À l’initiative d’un collectif de femmes qui s’est fait connaître sur Internet par le mot d’ordre #PasLui (#EleNao), des manifestations ont été organisées le samedi 29 septembre dans 62 villes du Brésil. 500 000 manifestants selon les organisateurs, femmes et hommes, se sont joints pour protester contre les propos abjects de ce misogyne notoire dont le colistier, un général de réserve, prétend que les jeunes élevés seulement par leur mère deviendraient des délinquants.

Désarroi des classes populaires

Les tensions dans le pays sont patentes, les treize candidats en lice pour la présidentielle sont presque tous issus de partis baignant dans les affaires – Bolsonaro lui-même est habilement sorti très récemment du Parti progressiste dont la plupart des responsables sont mis en examen. Geraldo Alckmin, le candidat de l’establishment et du principal opposant au PT, le PSDB, a constitué une large coalition de droite pour bénéficier du financement public de campagne et du temps de parole à la télévision. Mais Lula en prison et Bolsonaro de son lit d’hôpital font plus recette dans les sondages que ce candidat qui représente les élites arrogantes et une bourgeoisie qui s’est enrichie comme jamais ces quinze dernières années.

L’actuel remplaçant de Dilma Rousseff (l’ex-présidente pour le Parti des travailleurs destituée en 2016 pour son implication dans les affaires), Michel Temer, est largement honni. Issu d’un parti de droite allié du PT, le PMDB, traînant lui-même encore plus de casseroles pour corruption que l’ex-présidente, il avait orchestré avec l’aide d’une justice partiale et anti-PT et d’un soutien du staff politique toutes obédiences confondues un procès caricatural contre Dilma Rousseff. Depuis, sa politique de privatisations et de nouvelles coupes budgétaires dans les services publics, contre les retraités et de remise en cause de droits des travailleurs l’a totalement discrédité aux yeux des classes populaires.

Quant à la candidate verte, Marina Silva, militante noire issue d’un milieu pauvre et un temps proche du mouvement des paysans sans terre, elle n’est créditée que de 7 % des voix. Certes, il y a la pression du vote utile et du Tout sauf Bolsonaro dans les milieux de gauche. Mais cette ex-ministre de l’Environnement de Lula s’est aussi aliénée la sympathie des milieux qui la soutenaient en votant des mesures défavorables aux travailleurs, en se revendiquant de plus en plus des évangélistes de l’Assemblée de Dieu, en se montrant timorée sur des sujets comme la légalisation de l’avortement ou en criant avec les loups lors de la destitution de Dilma Rousseff.

Le bilan des années Lula

Si la situation en est arrivée là, c’est en grande partie la responsabilité du PT qui, pendant treize ans, a dévoyé les immenses espoirs des travailleurs et des classes populaires qui l’avaient porté au pouvoir. Ce parti, né des grandes grèves de la fin des années 70, notamment celles des ouvriers métallos de la région de São Paulo et dont Lula a été le principal leader, avait non seulement promis de mettre fin à la corruption qui est depuis longtemps un sport national de la classe politique bourgeoise, mais aussi d’en finir avec la misère, le mal-logement, le chômage et l’analphabétisme. Mais dès son arrivée au pouvoir, Lula a montré patte blanche à la bourgeoisie en gouvernant avec des politiciens de droite et même avec des adeptes réactionnaires de l’Église universelle, une des sectes évangéliques du Brésil.

Pendant toutes ces années, des mesures comme la bourse famille (entre 20 et 50 euros par mois) pour les plus pauvres ont permis certes d’endiguer le fléau de la faim, des efforts dans l’éducation ont été réalisés et le salaire minimum a été doublé. Mais ces mesures n’ont constitué qu’une part minime du budget de l’État brésilien et surtout des immenses profits que le patronat et les multinationales du Brésil ont engrangé toutes ces années. Pour ne citer que quelques mesures impopulaires, sous Lula, celles prises pour baisser les retraites avant lui ont été maintenues de force et même renforcées, notamment dans la Fonction publique. L’âge de départ a été repoussé et des millions de travailleurs brésiliens ne touchent toujours rien. Des accords ont été signés par la bureaucratie syndicale inféodée au PT pour brider les salaires dans l’industrie ou les banques. Aujourd’hui, la part des salaires par rapport aux profits a bien baissé.

Alors que des parts du budget de 5 ou 3 % étaient dédiées à la santé et à l’éducation, 36 % allaient au service de la dette en faveur du FMI ou des grandes banques, des centaines de milliards d’aides aux entreprises ont mis la bourgeoisie aux anges. L’agro-alimentaire a été particulièrement gâté puisque 60 millions d’hectares de terres publiques, en Amazonie notamment, ont été cédés au privé. Les paysans sans terre ont vu la police fédérale venir aider les milices privées des patrons à les réprimer, et des centaines ont été tués.

Même sur des sujets de société comme l’avortement, Lula a conclu un accord avec le Vatican en 2009 pour faire une campagne anti-avortement, s’aliénant ainsi des milieux progressistes.

À la tête de la sixième puissance économique mondiale en 2010, Lula était encensé par Time, Obama, Sarkozy et tout le gratin du sommet de Davos. Alors si le Brésil a connu sous la gouvernance du PT une croissance dans un contexte mondial qui était favorable, c’est aujourd’hui un pays aux inégalités encore plus criantes qu’avant, et la violence sociale et politique qui y règne est le retour de bâton.

La force de la contestation au Brésil

Mais tandis que le PT au gouvernement se compromettait jusqu’au cou dans le système corrompu d’achat de députés pour voter sa politique ou de financement du parti et des élus par les géants du BTP local ou par des multinationales minières, des grèves et des mouvements de contestation se sont organisés, parmi les professeurs, les fonctionnaires des organismes sociaux mais aussi dans le privé. En 2013, la goutte d’eau qui a mis un million de manifestants dans les rues à plusieurs reprises, a été l’augmentation des transports, indigents mais très chers. Les manifestants ont réussi à la faire annuler dans plusieurs villes. Puis en 2014, à la veille du Mondial de football et des JO qui allaient suivre, ce sont les milliards mis à fonds perdus dans l’organisation de ces évènements au profit des grands groupes qui ont provoqué des manifestations et la colère d’une grande partie de la population. La même année, les manigances du groupe Odebrecht (puissante multinationale brésilienne) pour obtenir les chantiers à coups de pots de vin ont été mises à jour.

Pourvu que la bourgeoisie tire son épingle du jeu…

Alors si aujourd’hui c’est le thème de la corruption de la classe politique – bien réelle – qui domine la campagne électorale, et que cela permet à des réactionnaires comme Bolsonaro d’essayer de faire peser tout le discrédit sur le PT, cela permet surtout à la bourgeoisie de tirer son épingle du jeu et de masquer sa responsabilité dans la situation : corruption, chômage, mise à sac de ce qui reste des services publics, profits indécents. Cela, aucun des principaux candidats à la présidentielle ne le dénonce.

L’espoir ne peut venir que de la mobilisation consciente des travailleurs et des masses pauvres, de tous ceux qui ne se laisseront pas endormir par des discours qui se contentent, pour tout programme politique, de dire « Tout sauf Bolsonaro ».

Il existe des organisations d’extrême gauche au Brésil, implantées, quoique faiblement, dans la classe ouvrière. Le PSTU, organisation trotskyste autrefois représentée à l’élection présidentielle par un ouvrier de la métallurgie, présente une militante ouvrière, Vera Lúcia, qui explique qu’il faudra une mobilisation des travailleurs pour changer la situation.

Elle utilise une image bien connue au Brésil : il ne suffira pas de sortir le bouc puant (Bolsonaro) de la salle pour éradiquer le mal et inverser le rapport de forces en faveur des travailleurs et des masses pauvres.

30 septembre 2018, Anne Hansen

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