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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 142, décembre 2021

Kanaky-Nouvelle-Calédonie : l’État français affiche sa morgue coloniale

Mis en ligne le 20 novembre 2021 Convergences Monde

(Illustration : dessin paru dans Convergences révolutionnaires no 122, novembre 2018.)

Un État français jusqu’au-boutiste

L’État français vient d’annoncer en début de semaine le maintien du référendum d’auto-détermination au 12 décembre en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Et ce malgré les demandes du camp indépendantiste de repousser ce référendum au deuxième semestre 2022 au vu de la vague de Covid qui touche l’archipel. Depuis septembre, le virus a en effet débarqué en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, jusqu’alors préservée par les précédentes vagues. Le bilan est aujourd’hui de presque 300 décès, principalement parmi les populations océaniennes qui sont les plus précaires et en moins bonne santé. Si la situation sanitaire semble aujourd’hui s’améliorer, beaucoup de familles et de villages kanak sont en deuil et la campagne a été sensiblement entravée par les mesures locales de confinement et de couvre-feu prises pour lutter contre l’épidémie.

Mais l’État français a décidé de maintenir ce référendum coûte que coûte au 12 décembre. Et a également annoncé dès la mi-octobre l’envoi de 2 000 gendarmes, policiers et militaires « pour assurer un déroulé sincère et sécurisé du scrutin ». Le mépris colonial dans toute sa splendeur !

Cette décision est une manière pour l’État d’accéder aux revendications de la droite loyaliste, composée très majoritairement par des Caldoches – les descendants des colons arrivés de métropole dès la seconde moitié du XIXe siècle et qui dirigent toujours aujourd’hui la grande majorité de l’économie locale – et par le contingent d’expatriés. Cette droite soutenait mordicus le maintien du référendum à sa date initiale après avoir senti le vent du boulet passer très près lors du dernier scrutin. Car le référendum du 12 décembre est le dernier d’une série de trois : deux premiers référendums se sont déroulés en 2018 et en 2020, ont tous les deux vu la victoire du « non » à la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante  ? », mais… mais la dynamique est en faveur du oui : passé de 44 à 47 %, il n’a plus que 10 000 voix de retard.

À l’occasion du second référendum, la population kanak, en proie à une pauvreté endémique et subissant le racisme colonial, s’est exprimée dans les urnes pour exprimer sa révolte et son opposition à l’État français. Et depuis, elle s’est mobilisée de longs mois l’année dernière contre la vente d’une usine de nickel, la principale ressource du pays, à une multinationale suisse. Lors du dernier référendum, le « oui » a aussi enregistré le ralliement d’une frange de la population calédonienne non-kanak, notamment parmi les populations originaires des îles du Pacifique. Pour la droite loyaliste, il faut donc en finir au plus vite avec ces référendums où la victoire du « non » – « sa victoire » – apparaît de moins en moins gagnée. Elle peut compter pour cela sur le soutien de l’État français. Celui-ci se targue d’être un arbitre impartial entre loyalistes et indépendantistes… il a pourtant publié il y a quelques mois un long argumentaire pour démontrer pourquoi le « non » était une bien meilleure solution. Un arbitre qui a choisi son camp et qui décide des règles pour le faire gagner, avec une seule boussole : maintenir son influence dans un des derniers vestiges de son empire colonial.

Qu’est-ce qui est si stratégique pour l’État français dans cette petite île située à presque 17 000 kilomètres de Paris ? La présence de grandes réserves de nickel n’est pas anodine, d’autant que ce matériau est amené à être de plus en plus utilisé dans les années à venir (il entre par exemple dans les composants des batteries des voitures électriques, marché en plein essor). L’exploitation des richesses minières de l’archipel compte donc. Mais l’État français souhaite aussi conserver son statut et influence de puissance mondiale – du moins ce qu’il en reste – en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, via sa base militaire et le contrôle des eaux territoriales. Et tout particulièrement dans une région, le Pacifique-Sud, qui attire de plus en plus les convoitises, notamment de la Chine.

Que se joue-t-il vraiment derrière ces référendums ?

Les accords de Matignon en 1988, signés après une répression française sanglante (dix-neuf militants indépendantistes abattus par la police à Ouvéa), puis ceux de Nouméa dix ans plus tard, ont été une manière pour l’État français, bousculé par les luttes de la population kanak tout au long des années 1980, de maintenir sa mainmise quasi-totale sur la colonie. Ces accords promettaient en effet l’organisation de ces trois référendums d’auto-détermination, et les fixaient… des dizaines d’années plus tard. Tout en sachant que la démographie de l’île avait rendu les Kanak minoritaires dans leur propre pays, ce qui rendait une victoire du oui à l’indépendance hautement improbable. Une vraie arnaque.

Via ces accords, l’État français s’est aussi et surtout donné les moyens de coopter une infime fraction de la population kanak à la gestion de l’archipel : une petite bourgeoisie kanak s’est ainsi développée, a participé aux institutions politiques locales et est associée à la gestion de l’exploitation du nickel. Depuis l’été 2021, le gouvernement de l’archipel est d’ailleurs dirigé pour la première fois par un indépendantiste, Louis Mapou, qu’on retrouve aussi… au conseil d’administration d’Eramet, la multinationale minière omniprésente sur place. Pour l’État français, c’est l’assurance de pouvoir compter sur des « partenaires » avec qui s’entendre.

Si la plupart des forces indépendantistes demandent le report du troisième référendum et, dans le cas contraire, appellent au boycott des urnes, elles critiquent uniquement les modalités du scrutin. Lors des deux campagnes précédentes, elles ont fait campagne pour le « oui » en expliquant qu’un bon score, même en cas de défaite, permettrait de peser davantage dans les négociations futures avec les forces loyalistes et l’État français pour un futur accord. Sommés de répondre au camp loyaliste qui agitait le spectre de l’effondrement économique de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie en cas de victoire du « oui », les indépendantistes ont répondu sur le même terrain : ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas de rupture brutale avec la situation actuelle mais une longue transition avec l’objectif de négocier des « accords gagnant-gagnant » avec la France. Gagnant pour l’État français et pour la petite bourgeoisie kanak qui aura un peu plus de pouvoir dans la gestion des affaires locales, peut-être, mais peut-on en dire autant pour la majorité des Kanak condamnés à la pauvreté depuis des décennies ?

Pour se défaire des griffes de l’impérialisme, un bout de papier ne suffira pas !

Imaginons même une victoire de « oui » le 12 décembre prochain. Comment un petit pays comme la Kanaky, avec des accords négociés par le haut pourrait-il connaître un autre sort que celui des États africains suite à la vague des décolonisations des années 1950 et 1960 ? En parlant déjà à l’époque de « partenariats » et « d’accords privilégiés », l’État français a concédé alors des indépendances de façade, du moins conçues sur mesure pour préserver ses intérêts sur place [1]. La politique d’intégration d’une petite bourgeoisie kanak à la gestion des affaires est du même tonneau et répond au même objectif : maintenir l’essentiel de la mainmise économique et politique de l’impérialisme français sur l’archipel océanien, quitte à donner les miettes du gâteau à une petite élite locale.

Les révolutionnaires communistes de France sont évidemment solidaires des aspirations des classes populaires kanak à mettre fin à la domination coloniale et à changer réellement leurs conditions de vie – qui ne pourront dépendre ni d’un bulletin de vote ni d’un quelconque accord de « partenariat » entre l’État français et des dirigeants indépendantistes. Dans le contexte actuel, le combat peut sembler celui de David contre Goliath. Mais de la Kanaky à la Guadeloupe, en passant par la Guyane et la Réunion, la colère des classes pauvres contre l’impérialisme français se fait entendre. Sur l’archipel kanak, dans les mines et usines, travaillent de nombreux immigrés d’Asie ou du Pacifique, relégués eux aussi au bas de l’échelle sociale. Les ferments de révolte sont nombreux.

Boris Leto


[1Pour une histoire de la Françafrique, nous renvoyons vers ce livre paru récemment aux éditions du Seuil : L’Empire qui ne veut pas mourir : une histoire de la Françafrique, sous la direction de Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat, Thomas Deltombe. Retrouvez la critique de ce livre sur notre site : https://www.convergencesrevolutionn...

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