La Poste : course à la rentabilité et courriers en retard
Mis en ligne le 2 décembre 2021 Convergences Entreprises
(Photo : Copyright Photothèque Rouge /Martin Noda / Hans Lucas.)
Une habitante de Montlhéry (Essonne) a été privée de courrier pendant un mois, avant de recevoir en une fois tout son courrier. Un retard d’autant plus scandaleux qu’atteinte d’un cancer, elle attendait des résultats et des rendez-vous médicaux. La Poste n’a rien trouvé de mieux que d’évoquer « une nouvelle organisation à la plateforme […] qui dessert la commune de Montlhéry ». Sans blague ! Si les nouvelles organisations posent problème, c’est surtout parce qu’elles traduisent une politique d’augmentation de la productivité au détriment des effectifs et des conditions de travail des facteurs – et, bien évidemment, du service rendu à la population.
Une « stratégie » bien rodée
L’entreprise a supprimé 22 000 postes en trois ans, et 100 000 en vingt ans. À l’échelle des quelque 250 000 employés du groupe La Poste (actuellement moins de 189 000 pour la maison mère), c’est considérable [1]. D’où, sur le terrain, un sous-effectif permanent et des réorganisations – évidemment site par site pour éviter tout mouvement social d’ampleur – qui permettent de réduire le nombre de tournées, donc de postes. Dans le cadre de son « plan stratégique » pour 2030, La Poste compte encore accélérer cette politique d’économies au détriment de la population, en donnant la priorité aux colis sur les courriers.
Des salaires en retard
La Poste réalise pourtant des bénéfices conséquents (525 millions net au premier semestre). Il faut dire aussi que c’est l’amour parfait avec le gouvernement, qui lui a octroyé une aide de 500 millions d’euros, renouvelable l’an prochain, et dont le but officiel est de « ne pas modifier la présence postale ». Mais pas la peine de se faire d’illusions sur une si vague promesse : bureaux et centres continueront d’être restructurés ou fermés. Voilà, donc, de quoi surtout financer les nouveaux investissements nécessaires à la course à la rentabilité – pardon, au « plan stratégique ».
Ce n’est pas aussi beau du côté des salaires des facteurs, qui souvent dépassent à peine le Smic, et que l’entreprise rabote via les primes. Elle a pris prétexte de la crise du Covid pour priver ses salariés (à l’exception des hauts cadres !) de prime d’intéressement. Pour un facteur, la prime d’équipe est au présentéisme (elle diminue à partir de deux fois deux jours d’absence), soit une véritable amende sur salaire, les absences incriminées incluant les jours de grève, les maladies non professionnelles (La Poste, dans sa grande générosité, excepte les arrêts pour accident du travail de cette sanction), et même l’isolement pour cas contact !
Des embauches à la traîne
À la pression sur les salaires s’ajoute celle liée à la précarisation (surtout par le recours aux CDD et à l’intérim, dont les CDI intérim), qui touche plus de 16 % des effectifs selon la CGT, la branche courrier ne recrutant plus en CDI [2]. Dans certains centres, 40 % ou plus des facteurs sont des précaires. Cette précarité ordinaire n’est donc en rien liée à un supplément d’activité : La Poste recrute encore davantage de précaires – 6 000 CDD en cette fin d’année – pour les périodes chargées comme Noël. Ce qui ne doit pas faire oublier les nombreuses entreprises prestataires, filiales ou non du groupe La Poste, qui ne sont pas les dernières en matière de dysfonctionnement ; ni en matière d’exploitation, comme l’ont révélé les récentes grèves de sans-papiers. Citons les sous-traitants de La Poste dans l’Essonne ; ou les travailleurs de Stuart (filiale qui emploie des « auto-entrepreneurs ») qui viennent d’avoir gain de cause quant à leur régularisation – à l’heure où nous écrivons, leur cédéisation est en discussion. La lutte paie mieux que La Poste !
La précarité permet de faire accepter aux salariés des conditions de travail au rabais, ce qui se traduit souvent par la sensation de mal faire le travail. Les facteurs s’exposent, d’ailleurs, à la colère des usagers ; mais les boss, après tout, s’exposent, eux aussi… à la colère des salariés qui, quels que soient les retards de distribution, finira bien par leur arriver à la figure.
25 novembre 2021 – Julien Nitro et Aldo Battaglia
[1] Voir Nicolas Jounin, Le caché de La Poste : enquête sur l’organisation du travail des facteurs, et notre article consacré à cet ouvrage : Le caché de La Poste : enquête sur l’organisation du travail des facteurs, de Nicolas Jounin
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