Du GATT à l’OMC, le commerce mondial en liberté surveillée
Mis en ligne le 1er avril 2002 Convergences Monde
La période allant de la crise de 29 à la deuxième guerre mondiale s’était caractérisée par un très fort protectionnisme : sous l’effet de la crise (et l’aggravant ainsi), les économies des impérialismes s’étaient retranchées derrière leurs frontières nationales (avec leurs colonies). En octobre 1947, constatant que développer le libre-échange implique de le surveiller, 23 Etats signent donc l’Accord Général sur les Tarifs et le Commerce (GATT en anglais). Sa tâche est de mettre un peu d’ordre dans la jungle des accords commerciaux bilatéraux (de pays à pays), pour tendre à les remplacer par des accords généraux.
La fin des barrières douanières ?
L’objectif avancé, libéral, est de lutter contre les barrières douanières et l’existence de blocs économiques. Pour les USA, sans colonies officielles, cela signifie aussi le droit de pénétrer dans celles des pays européens, devenues trop grandes pour eux depuis leur affaiblissement par la guerre. Mais les libéraux se battent toujours pour l’ouverture des frontières… des autres, et dès les premiers accords du GATT, les principales discussions entre Etats portent sur le compromis entre le protectionnisme revendiqué pour soi et celui qui est combattu chez les voisins. Jusqu’aux accords de Tokyo (1974-1980), par exemple, les droits de douanes américains sont fixés selon les prix moyens américains ! Comme le dit un économiste, le GATT est « une réglementation du protectionnisme plus qu’une charte du libéralisme ». Les huit cycles de négociations (rounds) entre 1947 et 1992 enregistrent l’évolution de ces compromis, en fonction des rapports de forces.
C’est un fait cependant que le marché international se développe, inégalement mais rapidement, et que les droits de douane baissent beaucoup dans les pays industrialisés (de 40 % en moyenne après la guerre à 5 % environ en 2000). Le GATT n’empêche pas la création de nouveaux blocs économiques : dès 1957, avec le Traité de Rome (un accord sur le charbon et l’acier typiquement protectionniste) sont jetées les bases de ce qui deviendra la Communauté Economique Européenne. Plus tard naissent l’ASEAN (regroupant des pays d’Asie du sud-est), puis l’ALENA (Canada, Mexique et USA), d’autres encore (y compris parmi les pays pauvres). Les frontières commerciales des pays impérialistes s’estompent pour certains biens – mais pour se reconstituer d’autant plus vigoureuses autour d’ensembles plus vastes. Et aujourd’hui les « pays avancés » dépensent 810 milliards de dollars annuels pour protéger leur agriculture et leur industrie.
L’OMC en ses œuvres
Fin 1986 le GATT se mue en Organisation Mondiale du Commerce. L’OMC renforce alors ses pouvoirs en se dotant d’une instance d’arbitrage. Le « round du millénaire », qui dure jusqu’en 1994, fixe des règles commerciales pour les 25 années suivantes. Au moins là où un arrangement peut être trouvé : la clause spécifiant que « les accords multilatéraux sur l’environnement ne concernent que les signataires » par exemple (qui permet aux USA de ne pas ratifier les accords de Kyoto sur les gaz à effet de serre) en dit long sur l’indépendance que les Etats veulent garder. Et rien ne garantit le respect des signatures : si le cycle de négociations a été si long, en effet, c’est à cause des désaccords entre les Etats-Unis, l’Europe et le Japon, notamment en matière de produits agricoles (la politique agricole commune européenne étant encore un exemple de protectionnisme poussé), désaccords qui sont loin d’être réglés, comme en témoigne le feuilleton de la guerre de la banane.
Depuis le premier round du GATT, les accords portent sur des sujets de plus en plus étendus. Lors des derniers sommets de l’OMC ont été discutés des Accords généraux sur le commerce et les services (AGCS), qui synthétisent les plans d’attaque gouvernementaux contre les services publics, et des Accords sur les droits de propriété intellectuelle et commerciale (ADPIC), homogénéisant la juridiction sur les brevets pharmaceutiques notamment.
Tous ces accords se font évidemment sur le dos des peuples, en particulier des plus pauvres. Ce n’est toutefois pas l’OMC qui en est l’inspiration. Les cinquante ans d’histoire de l’institution montrent qu’il s’agit d’une machine à formaliser les rapports de forces entre impérialismes dominant le marché international et défendant plus ou moins de protectionnisme sur tel ou tel type de biens. La résultante des intérêts défendus ayant abouti au cours du dernier demi-siècle à une libéralisation importante, mais pas systématique, du commerce mondial – ce qui pourrait changer dans un autre contexte.
Benoît MARCHAND
Le Tiers-Monde est-il anti-mondialisation ?
Dans un communiqué du 15 novembre 2001 intitulé « Doha confirme la logique ultralibérale de l’OMC » (à propos de la dernière conférence interministérielle de l’organisation), ATTAC écrivait : « Il ne faut pas se voiler la face : la plupart des représentants des gouvernements du Sud […] ont […] fait alliance avec les Etats-Unis contre l’UE [Union Européenne] pour empêcher toute référence à la prise en compte des dimensions sociale et environnementale […]. Il n’y a là rien de surprenant. Beaucoup d’entre eux sont les simples porte-parole des grands intérêts locaux et non des forces sociales. » Certes. Mais que défendaient les ministres européens eux-mêmes sinon leurs propres « grands intérêts locaux » ?
Si un certain nombre de représentants de pays pauvres se sont retrouvés à Doha aux côtés des USA contre l’UE, c’est d’abord semble-t-il parce que le protectionnisme de celle-ci empêche la pénétration sur le marché européen de certains biens produits dans le Tiers-Monde (textiles notamment). L’équation « intérêt des pays pauvres = anti-mondialisation = politique anti-USA des Etats européens » est peut-être plus compliquée que certains veulent faire croire.
B.M.
Une nouvelle guerre de l’acier
Il faut sauver l’acier américain ! Le marché mondial est saturé (54 millions de tonnes de surproduction en 2001), et les trusts américains sont confrontés à la rude concurrence de pays industrialisés, mais aussi de producteurs du Tiers-Monde. Sous la pression des lobbies patronaux (prétendant évidemment vouloir sauver les emplois des travailleurs américains, après en avoir licencié des centaines de milliers depuis vingt-cinq ans), l’administration Bush vient donc de décréter trois ans de mesures protectionnistes : augmentation brutale des droits de douane, qui atteindront jusqu’à 30 %, assortie de quotas pour les importations – et en prime, des masses de subventions.
Cette décision, qui devrait affecter 10 % du commerce international de l’acier, a suscité un tollé du côté des pays concurrents. Elle viole en effet allègrement les règles laborieusement énoncées par les accords de l’Organisation mondiale du commerce.
L’Union européenne, et d’autres peut-être, vont porter plainte devant l’OMC. Puisqu’elle s’est récemment dotée d’un Organe de Règlement des Différends, c’est le moment de montrer à quoi il sert. Cette affaire n’enchante visiblement pas Mike Moore, le directeur général de l’Organisation, qui a demandé aux parties en présence de s’entendre entre elles. Si rien n’y fait, une usine à gaz juridique sera mise en marche qui aboutira peut-être, après des années de consultations, examens, recours et appels, à la condamnation des Etats-Unis à verser réparation. Des indemnités qui seront versées ou pas mais qui iraient de toute façon aux capitalistes des pays plaignant et non aux travailleurs qu’entre temps ils auront licenciés sous prétexte de baisse de charge.
Et pour « montrer qu’[ils] sont sérieux », selon l’expression d’un responsable de la Commission de Bruxelles, les gouvernements européens préparent une riposte douanière : ils « viseront là où ça fait mal, c’est-à-dire tel type de produits [américains] sensibles aux aléas des exportations… ». Heureusement que tous ces gens-là, américains comme européens, luttent pour débarrasser le monde du protectionnisme !
B.M.
Mots-clés : Capitalisme | OMC