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États-Unis

« Back to school... with Covid ! » : lettre ouverte d’une institutrice d’Oakland [extraits]

14 septembre 2021 Article Monde

(Photo : NBC Bay area)

Située dans la baie de San Francisco, en Californie, Oakland est une ville de plus de 400 000 habitants, avec une forte proportion de minorités et un taux de pauvreté élevé côtoyant les couches moyennes. Durement frappée par la pandémie et par la gestion de la crise par les autorités, Oakland a aussi été le théâtre de réactions et de solidarités collectives bien nécessaires. Une institutrice dans l’est de la ville nous raconte sa rentrée : la situation pendant la pandémie et la gestion catastrophique de la crise par le district, chargé de s’occuper de plus de 110 établissements scolaires.

« …je suis passée d’une journée de travail de huit heures en tant qu’enseignante à une journée de travail de douze heures comme éducatrice et assistante sociale »

East Oakland n’est peut-être qu’à dix minutes du centre-ville, mais y aller est comme voyager dans un tourbillon – des rues propres aux tas d’ordures fumantes, des nouveaux buildings aux campements de sans-abri. Dans mon école, presque tous les élèves ont droit à un repas gratuit ou réduit, et nous sommes à court de fonds. Comment pouvons-nous accepter ces conditions de vie dans un pays qui se prétend la nation la plus riche et la plus puissante du monde ?

L’école dans laquelle je travaille et que j’aime connaissait des difficultés bien avant la pandémie. Nous n’avions jamais de savon ni de serviettes en papier dans les salles de classe ou les toilettes. Les enseignants et le personnel devaient les acheter, ainsi que les fournitures scolaires de base pour les élèves. Lorsque le Covid a frappé, East Oakland en a subi les impacts féroces de plein fouet. En mars 2020, je suis passée d’une journée de travail de huit heures en tant qu’enseignante à une journée de travail de douze heures comme éducatrice et assistante sociale. Avec mes collègues, nous avons aidé des familles à s’inscrire au chômage, nous avons organisé des livraisons de nourriture à domicile et collecté des fonds dans la communauté pour les sanspapiers qui ne recevaient pas d’allocations du gouvernement. La plupart de nos élèves n’avaient pas d’ordinateur ou d’Internet à la maison. Tous les ordinateurs de l’école ont alors été distribués aux élèves. Nous avons passé des heures au téléphone à aider les familles qui ne savent pas encore lire à se connecter à des ordinateurs qu’elles ne savaient pas utiliser. Nous avons installé une connexion internet dans les maisons et fourni des points d’accès WiFi. Nous avons soutenu les familles et les enfants lorsqu’ils ont commencé à tomber malades et lorsque leurs proches ont commencé à mourir. L’enseignement à distance n’a pas causé ces inégalités, il les a simplement révélées. […]

Une rentrée de colère

Au début de l’été, le gouvernement a déclaré que les écoles rouvriraient en présentiel à l’automne. En juillet, l’enseignement à distance [1] a été rendu illégal par la loi SB-130 adoptée par l’État de Californie. Lorsque le variant Delta a frappé, l’État californien a clairement indiqué que les écoles rouvriraient, quelles qu’en soient les conséquences. Selon les patrons et le gouvernement, les enfants doivent retourner à l’école, malgré les conditions dangereuses, afin que leurs parents soient contraints de reprendre leur travail et que l’économie puisse redémarrer.

Avant le jour de la rentrée, le 9 août, les enseignants, le personnel et les familles étaient profondément inquiets sur mon site. Une nouvelle initiative de l’administration Biden devait permettre d’offrir un petit-déjeuner gratuit à tous les élèves, mais les responsables du district ont décidé que le petit-déjeuner serait pris dans les salles de classe. Cela signifiait que 29 de mes élèves non vaccinés devaient enlever leur masque pour manger ensemble dans une petite pièce. De plus, on nous a dit que le déjeuner aurait lieu à la cafétéria, ce qui signifie des centaines d’enfants, sans masque, devraient manger ensemble, dans une pièce sans purificateur d’air ni ventilation. […] Les enseignants et le personnel ont écrit une lettre collective à notre directeur, et certaines de nos demandes, y compris manger à l’extérieur, ainsi que maintenir le port du masque à l’intérieur et à l’extérieur de la classe, ont été satisfaites avant la rentrée scolaire.

Capitulation des responsables syndicaux

[…] Les dirigeants de nos syndicats ont négocié un contrat clairsemé de six pages accordant de nombreuses concessions à un district qui venait de recevoir 300 millions de dollars de l’État. Dans certaines écoles, des centaines d’élèves sans masque doivent s’asseoir ensemble dans des cafétérias non ventilées pour manger ! […] La communication de notre syndicat avec les membres a été minimale, les négociations se sont déroulées en secret et les points de vue des enseignants et des familles ont été ignorés. […] L’accord visait à nous faire reprendre le travail, et non à assurer la sécurité des élèves et du personnel : j’ai voté contre.

Cette situation n’est pas particulière à Oakland ; c’est la réponse des responsables syndicaux dans tout le pays. Au lieu d’exiger des conditions sûres, notamment des classes moins nombreuses, des tests réguliers, des ressources pour l’éducation et la restauration en plein air, ainsi que la sécurité et l’éducation aux vaccins Covid dans toutes les écoles, les responsables syndicaux ont complètement capitulé. […]

Joie et terreur le premier jour de la rentrée scolaire

Les enseignants comparent souvent les premières semaines d’école à une lune de miel, mais ces deux premières semaines ont plutôt ressemblé à une sortie à Disneyland. Mes élèves ont tellement envie d’apprendre, ils sont si ravis de jouer avec les autres mais en même temps, ils ont tellement peur d’être malades ou, pire, de retourner dans le monde isolé de l’enseignement à distance. Cette peur a conduit quelques élèves à cacher leurs symptômes ; ce n’est qu’en parlant avec les élèves individuellement que j’ai appris que des enfants toussaient dans la salle de bain pour être sûrs de ne pas être entendus et renvoyés chez eux. Le premier jour d’école, un enfant malade était assis à une table de six élèves. Après quatre jours, il ne restait plus qu’un seul enfant à cette table. Chaque classe compte entre quatre et dix élèves absents chaque jour. Sans un test Covid négatif, les élèves présentant des symptômes doivent rester à la maison pendant dix jours, tandis que les élèves exposés le sont pendant sept jours.

Dans les écoles privilégiées… et les autres

Les écoles aisées d’Oakland disposent d’associations de parents d’élèves (PTA Parents & Teachers Association) puissantes, capables de collecter des fonds et de faire pression sur le district pour obtenir des ressources supplémentaires. Dans les écoles privilégiées, les familles plaident en faveur de tests chaque semaine. Les membres de ces communautés ont non seulement de l’argent, mais aussi le temps d’amener leurs enfants à un site de test dans un endroit peu pratique chaque semaine. […] Dans mon école, pas un seul cas de Covid n’a été trouvé. Rien d’un grand miracle, mais plutôt la conséquence de l’absence de tests. […] Toutes les écoles d’Oakland méritent d’avoir un site de test PCR gratuit sur chaque campus, de 7 à 17 heures, afin de s’accommoder aux personnes qui travaillent. […] Nous devons aussi développer des ressources d’éducation des adultes sur le Covid et sur la vaccination, afin que lorsque le vaccin sera enfin disponible pour les enfants de moins de douze ans, les élèves soient vaccinés le plus rapidement possible. Nous avons beaucoup de revendications à faire connaître pour pouvoir gérer au mieux cette pandémie. […]

Des réunions sont organisées sur les sites, et les écoles se réunissent sur Zoom dans tout le district. Nous nous sommes réunis pour identifier les préoccupations communes et pour trouver des solutions pour la communauté. Nous avons affiché et partagé des informations. La semaine prochaine, nous tiendrons d’autres réunions, nous rallierons les gens au conseil scolaire et nous descendrons dans la rue pour protester ! Notre sécurité dépend de nous.

Une enseignante d’une école primaire d’Oakland

(Retrouver en anglais la lettre complète sur le site de nos camarades de Speak Out Now)


[1Les écoles de Californie ont pour la plupart fonctionné en distanciel durant l’année scolaire 2020-2021.

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