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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 147, septembre 2022 > DOSSIER : L’Éducation nationale à la croisée des chemins ?

L’Éducation nationale à la croisée des chemins ?

29 septembre 2022 Convergences Politique

Jean-Michel Blanquer est sorti du ministère par la petite porte et a été sèchement battu aux législatives. L’« Ibizagate » et la grève massive du 13 janvier avaient révélé au grand jour son impopularité générale. Seulement 7 % des profs et moins de la moitié des cadres le soutenaient selon le syndicat SE-Unsa. Ses proches [1] n’en continuent pas moins d’occuper les premiers postes : le cap n’a pas changé avec la nomination – brouillage de piste ? – de Pap Ndiaye.

Ne plus payer pour les pauvres

Blanquer n’a pas inventé les économies budgétaires – sous Sarkozy, des dizaines de milliers de postes d’enseignants ont été supprimés, bien plus que les 8 000 raclés un par un par Blanquer. Mais il y a mis un zèle particulier, allant jusqu’à « rendre » à son homologue du Budget l’argent attribué à son ministère mais non dépensé. En 2018, c’était par exemple 200 millions d’euros, de quoi payer 4 200 postes d’enseignants. Au final, la France dépense moins dans l’éducation que les autres pays riches, hormis le Japon. Surtout, ses dépenses augmentent très peu et beaucoup plus faiblement que tous les pays développés [2].

Démantèlement de l’« éducation prioritaire » qui visait à donner plus aux établissements des quartiers sinistrés par le chômage et la misère, intensification de la sélection entre établissements et entre élèves avec pour clé de voûte ParcourSup : l’orientation est claire. Les économies touchent d’abord les élèves des milieux populaires. Aux dispositifs d’aide on substitue des « parcours d’excellence », extrayant les meilleurs d’entre eux. Propulsés dans les écoles d’élite, leur présence permet aux rejetons de la bourgeoisie de ne pas se reproduire qu’entre eux – au risque de dégénérer ou se couper de la réalité qu’ils auront à gérer – et plus largement d’entretenir le mythe méritocratique selon lequel chacun a sa chance. Les autres, la bourgeoisie ne veut plus payer pour leur éducation.

Des brèches dans le service public…

L’éducation semble néanmoins préservée des assauts du grand capital. L’essentiel du budget du ministère de l’Éducation nationale est consacré à payer les salaires et retraites du personnel. Ce sont en effet les régions, départements et municipalités qui gèrent les bâtiments et leur équipement. Aussi, si le quart des dépenses d’éducation consacré aux dépenses de « fonctionnement et investissement » représente 40 milliards d’euros par an, il s’agit d’une multitude de petits contrats locaux, pas d’un marché unifié. Le logiciel de gestion des absences, notes et emplois du temps, Pronote, fait exception. Il est utilisé dans 68 % des collèges et lycées. Décrit à juste titre par Lucie Tourette comme un quasi-monopole influençant jusqu’à la pratique des métiers d’enseignant ou de CPE [3], il ne rapporte « que » deux millions d’euros par an. Et lorsque Microsoft fait des affaires avec le ministère, c’est moins l’argent public qui l’intéresse que la diffusion de ses produits à des centaines de milliers d’enseignants et des millions d’élèves… qui les utiliseront aussi hors de l’école.

L’Éducation nationale est donc loin de fournir les mêmes opportunités de profits que des services publics déjà privatisés comme la poste ou le rail. Avec 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires et 10 000 salariés en 2021, les start-ups de l’EdTech ne sont certes plus tout à fait négligeables – même si la plupart emploient moins de dix salariés et ne pèsent pas grand-chose. Mais leur activité concerne surtout la formation professionnelle. Avec l’école, l’enjeu est presque idéologique. La multiplication des expériences de partenariats public-privé dans l’éducation l’atteste [4]. Il s’agit de diffuser à tous les niveaux du système éducatif, depuis la construction ou la rénovation des bâtiments jusqu’au contenu des cours en passant par la « gouvernance » des établissements scolaires, les principes et méthodes de l’entreprise privée. C’est dans cet esprit que Blanquer a remodelé la tête du ministère – les inspecteurs généraux disparaissent en janvier prochain, remplacés par des chargés de mission plus à la main du pouvoir.

Enfin, l’école privée porte pour sa part mal son nom. Ses enseignants sont payés par l’État comme ceux du public. Il serait plus juste de parler d’« école non laïque », car 97 % d’entre elles sont d’obédience catholique, et les 3 % restants sont principalement juives.

Faut-il pour autant en conclure que l’éducation est vouée à rester d’une manière ou d’une autre dans le giron public ? Rien n’est moins sûr.

… à la « vraie » privatisation ?

Au lycée professionnel, les contenus des formations se sont rabougris. Un exemple : en bac pro mécanique automobile, le temps de cours passé en atelier a baissé de plus de 40 % entre 2010 et 2021. Alors que le diplôme ne joue plus son rôle de sésame pour l’emploi, nombre de jeunes sont tentés de trouver un patron et se former en apprentissage en alternance. L’objectif annoncé par Macron d’un doublement du nombre des apprentis, s’il était atteint, pourrait signifier la mort des lycées professionnels.

L’enseignement supérieur privé a fortement progressé ces dernières années à la faveur d’une saturation des facs et IUT publics, aggravée par l’entrée dans l’âge des études post-bac de la génération du baby-boom de l’an 2000. À l’ouverture de formations publiques, l’État a préféré la réforme Blanquer du bac et ParcourSup : la mise en place à la sortie du lycée d’un centre de tri social au fonctionnement tellement opaque que même les profs – connaisseurs de l’orientation pourtant – s’y perdent, et leurs enfants avec eux. Mais avant déjà, les facs, IUT et autres écoles privées prospéraient. Entre 2000 et 2014, ils ont augmenté leurs effectifs de 58 %, contre 14 % pour l’ensemble de l’enseignement supérieur. Un dynamisme qui attire, paraît-il, les fonds d’investissement [5]

Pour le moment, les collèges et lycées publics font encore trop bien le job pour que leurs homologues privés suscitent un tel engouement. S’il est socialement accepté que les études supérieures coûtent aux étudiants et à leurs parents, le principe de gratuité de l’école jusqu’au lycée fait de la résistance. La concurrence vient plutôt des officines de cours particuliers comme Acadomia, ou du contournement de la carte scolaire à coup d’options rares ou de domiciliation bidon pour éviter un établissement à la mauvaise réputation. Mais si d’aventure une nouvelle « réforme » affaiblissait sensiblement la qualité de l’enseignement public ? Combien de temps avant que des parents, plus seulement ultra riches ou intégristes religieux, estiment qu’il vaut mieux, comme aux États-Unis, payer que s’en remettre au service public gratuit ? Un élément de réponse pourrait être donné par le projet « Collège du futur ». À moins que les salariés de l’Éducation nationale considèrent que c’est la « réforme » de trop et contraignent le gouvernement à l’enterrer dans son carton…

15 septembre 2022, Mathieu Parant


[1Entre autres exemples, le numéro deux du ministère, le directeur de cabinet Jean-Marc Huart, involontairement célèbre pour son rôle dans la création du syndicat lycéen bidon et pro-Blanquer « Avenir lycéen ».

[2 Voir François Jarraud, « La France dépense-t-elle assez pour son éducation ? », www.cafepedagogique.net, 16 septembre 2021.

[3« Dans les lycées et les collèges, la vie scolaire sous Pronote », Le Monde diplomatique, janvier 2022.

[4Voir par exemple le cas de l’association « Le Choix de l’école », analysé par Anne Jourdain dans « Missionnaires de luxe pour l’enseignement », Le Monde diplomatique, septembre 2022.

[5Collectif, « Le marché de l’éducation en France – une opportunité pour les fonds de Private Equity », www.lek.com, 21 juin 2019.

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