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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 103, janvier-février 2016 > DOSSIER : Hollande et Gattaz à l’assaut

DOSSIER : Hollande et Gattaz à l’assaut

À qui profite la ‘simplification’ du Code du travail ?

Mis en ligne le 11 février 2016 Convergences Politique

Le rouleau compresseur des réformes qui a permis, en seulement quelques mois avec les lois Macron et Rebsamen, de faciliter les licenciements économiques, de généraliser le travail du dimanche et d’affaiblir les représentants du personnel et la justice prud’homale, n’est pas prêt de s’arrêter. En préalable, l’ancien ministre socialiste de la Justice Robert Badinter a été requis pour rédiger un rapport qui inaugure cette entreprise de « refondation » du Code du travail. En mars, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, est chargée de présenter un projet de loi portant réforme des règles en matière de temps de travail. À cette occasion, sera lancée une commission de réécriture du code, dont le mandat, selon toute apparence, se résumera à faire champ libre à la négociation d’entreprise, pour une réforme finalisée en 2018, c’est-à-dire après… 2017.

Emmanuel Macron avait ouvert la voie lors de l’université du Medef en août dernier. Manuel Valls confirmait la tendance lors de celle du PS. Et François Hollande enfonçait le clou début septembre appelant de ses vœux un « choc de la simplification » du Code du travail. « Obèse », « arriéré », « contraignant », les détracteurs du Code du travail ne trouvent plus les mots. Sans jamais rappeler que la source principale de complexification du droit du travail, ce sont les milliers de dérogations concédées au patronat [1].

Dès le lancement de cette entreprise, en septembre 2015, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) avait d’ailleurs applaudi les « progrès » annoncés puisque « le Code du travail verrait sa place considérablement réduite ». Quant à la revendication patronale de « sécurisation juridique » du code, il s’agit en fait de garantir aux employeurs le champ libre en réduisant le risque qu’ils encourent d’être sanctionnés.

Peine capitale pour le droit du travail

Première pierre à l’édifice de cette refondation, le fruit du travail du comité présidé par Robert Badinter a été rendu le 25 janvier au Premier ministre et à la ministre du Travail. 61 « principes essentiels » ont ainsi été dégagés qui figureront au préambule du Code du travail remanié. De quoi se vanter d’avoir compressé le fruit, déjà rongé de milliers de dérogations, de 100 ans de lutte de classe, en 61 principes, c’est-à-dire… une page du Monde.

Une ambiance un poil discordante régnait dans les salons de Matignon, lors de la remise du rapport, selon qu’on écoutait Badinter ou Valls. D’un côté l’ancien garde des Sceaux socialiste, auréolé de son action pour l’abolition de la peine de mort il y a 35 ans, martelait avoir travaillé « à droit constant », les « principes » n’étant, selon lui, qu’une version condensée de l’état actuel du droit. De l’autre, le premier ministre saluait le « choc salutaire », notamment en ce qui concerne la durée du travail. En réalité, sous des airs inoffensifs, les fameux principes n’ont rien d’un rempart préservant les droits des salariés contre les prétentions patronales. Au contraire, des brèches significatives plus ou moins subtiles sont ouvertes.

Prélude à la débauche patronale : dérèglementer le temps de travail

L’ambiguïté est d’abord savamment maintenue en matière de majoration des heures supplémentaires, le « principe essentiel » n°33 évoquant un vague « droit à compensation ». Car tout est dans le montant, voire la nature, de ladite compensation. On se souvient des envolées de Macron, qui avait affirmé devant un parterre d’actionnaires à Davos, que le futur projet de loi marquerait « de facto » la fin des 35 heures : « Si vous pouvez négocier des accords majoritaires au niveau de l’entreprise pour n’avoir presque aucune sur-compensation, cela veut dire que vous pouvez créer plus de flexibilité », avait-il expliqué. Aujourd’hui, la loi prévoit une majoration des heures supplémentaires de 25 % au minimum, mais un accord d’entreprise peut ‘descendre’ jusqu’à 10 %, à condition qu’un seuil supérieur ne soit pas ‘verrouillé’ par une convention de branche. La ministre du Travail a insisté : le seuil – déjà plancher ! – de 10 % de majoration ne sera pas touché, mais les entreprises pourront désormais s’affranchir par accord d’un taux de majoration supérieur fixé par la branche. Et Valls de faire mine de trancher en expliquant qu’une « compensation sera toujours garantie »... mais éventuellement inférieure à 10 % ? En salaires ou en repos ?

Au sujet du temps de travail, plus problématique encore, cet article 33 des « principes » ne mentionne qu’une « durée normale fixée par la loi » – exit la notion de durée « légale » aux accents trop raides – et prévoit que les « conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente ». La 36e heure ne serait donc plus automatiquement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires puisque ce seuil pourrait dorénavant être négociable par accords. Une nouvelle pelletée de terre sur le cercueil des 35 heures, pourtant déjà très ensablé, les lois Aubry ayant permis, dès leur naissance, de les ensevelir sous quelques pelletées d’accords collectifs de modulation du temps de travail : elles permettaient déjà aux employeurs de se soustraire, en partie, à ses contraintes. Reste que le très faible « surcoût » des heures supplémentaires pour le patronat permettra une flexibilité décuplée et jouera à plein contre les embauches…

Une menace d’autant plus grave qu’elle est imminente. Contrairement au reste de la réforme du droit du travail qui devrait être finalisé en 2018, la question de la durée du travail sera tranchée dès mars prochain. Le gouvernement envisage, pêle-mêle, de pouvoir déroger par accord d’entreprise au maximum de 48 heures hebdomadaires, mettre en place des forfaits-jour dans les PME sans même avoir à passer par un accord collectif, ou encore modifier par accord d’entreprise les règles sur les temps de pause ou de repos sans avoir à demander l’autorisation à l’administration du travail, comme c’est le cas aujourd’hui.

L’individu… à la place du collectif ?

Fidèles à une logique en plein essor, les « principes » dégagés par le comité Badinter mettent d’emblée l’accent sur les droits de la « personne », comme en témoigne le premier chapitre intitulé « Libertés et droits de la personne au travail ». Une façon d’atomiser les salariés pour les priver du droit de se défendre, et légitimer toutes les dérogations actuelles et à venir au droit du travail, qui pendant un siècle n’a progressé, mais parfois aussi régressé, qu’en fonction des luttes collectives et du rapport de force entre les classes.

Dans une entreprise, un travailleur n’est pas à égalité face à son patron. Et le changement que patronat et gouvernement veulent aujourd’hui ériger en règle est l’aboutissement d’une logique au long cours. Ainsi 2015 a connu un record de ruptures conventionnelles, ces ruptures négociées par un salarié seul face à son employeur [2], souvent utilisées par les employeurs comme dérivatif bon marché au licenciement. On a vu aussi fleurir le compte personnel d’activité (CPA), compte fourre-tout regroupant divers droits acquis au cours de la carrière (formation, pénibilité, chômage). Étant donné les parcours professionnels de plus en plus discontinus, on vous promet d’attacher quelques droits, non plus au poste de travail, mais à la personne, de manière à les rendre « portables » tout au long de la vie… et de pouvoir vous mettre plus aisément à la porte avec votre sac de « droits acquis » sur le dos. Car si d’un côté on peut faire miroiter que cela faciliterait les transitions professionnelles, la logique d’individualisation des droits que le CPA met en place s’effectuera au détriment des garanties collectives existantes, comme l’assurance-maladie ou le chômage [3].

Dégager des principes… ayant vocation à être contournés

Plus dommageable encore, à travers le rapport du comité Badinter se confirme la priorité donnée à la négociation, en particulier d’entreprise, dans la droite ligne du rapport Combrexelle, rendu en septembre dernier, véritable chantre de la déréglementation par accords d’entreprise.

Les « principes » dégagés, tout principiels soient-ils, n’autorisent pas moins la loi à systématiquement « en disposer autrement ». Une porte ouverte, en réalité, à ce que celle-ci autorise des accords collectifs à déroger au Code du travail. Exemple, l’obligation de reclassement du salarié menacé de licenciement. L’article 28 des « principes » maintient que l’employeur doit s’efforcer de reclasser le salarié, mais ajoute : « sauf dérogation prévue par la loi ». Comprenez : la loi pourra prévoir qu’un accord collectif déroge sur cette question. Jusqu’ici, seuls les accords de maintien de l’emploi permettaient de contourner les règles relatives au reclassement… Une possibilité élargie à l’avenir ? Sur la sellette également, le principe de faveur, qui veut qu’en cas de contradiction entre loi, convention collective et contrat de travail, la règle la plus favorable s’applique au salarié. Les « principes » le réaffirment, mais seulement « si la loi n’en dispose pas autrement » (art. 56). Malmené de longue date au nom de l’emploi, Hollande avait à nouveau menacé le principe de faveur dans son discours du 18 janvier : « lorsqu’un accord est conclu dans l’intérêt de l’emploi, ses stipulations pourront s’imposer à celles du contrat de travail ». Entre ici, chantage à l’emploi !

Des référendums pour « casser les verrous » !

En quête de légitimité pour ces accords dérogatoires, le gouvernement avait avancé que seuls les accords signés par des syndicats représentant plus de 50 % des voix seraient valables, usant ainsi de l’habituelle caution syndicale pour faire passer les régressions. Mais l’exemple du travail du dimanche, où la règle majoritaire a permis aux syndicats de résister à sa mise en place, dans les grands magasins parisiens et notamment à la Fnac, a poussé le gouvernement à revoir sa copie. « Ce seuil (de 50 %) ne doit pas être bloquant », a annoncé Manuel Valls. Myriam El Khomri a donc trouvé la parade en introduisant des « référendums contraignants » dans sa prochaine loi [4], pour « casser les verrous des branches » explique-t-elle sur Canal +. Impossible de trouver suffisamment de soutien parmi les organisations syndicales ? La « démocratie sociale » va permettre de les écarter et d’aller chercher des syndicats représentant 30 % des voix, lesquels pourront demander un référendum des salariés. Quitte à faire voter une réorganisation par les cadres quand les sacrifices ne concernent en fait que les ouvriers, comme chez Smart [5] par exemple ?

Il faut « donner cette capacité d’entendre aussi les salariés », a expliqué la ministre. Bref, se passer des syndicats qui résistent… et les museler, au passage, puisqu’ils ne pourront plus non plus exercer leur droit d’opposition à l’accord, prévu jusqu’ici par la loi [6].

Réactions syndicales : pas de heurts supplémentaires, s’il vous plaît !

Medef et CGPME trouvent le futur préambule « insuffisant » – pourtant difficile de mettre davantage la négociation au service du patronat.

Côté centrales syndicales, ce n’est pas l’insurrection. La palme à la compréhension revient à la CFDT. Laurent Berger se range avec armes et bagages derrière le projet, notamment sur la question de la durée du temps de travail. « La durée normale du travail fixée par la loi, j’appelle ça la durée légale. Donc le rapport n’y touche pas, le débat est clos ». Et, selon lui, il faut quand même reconnaître que le rapport aurait pu « remettre en cause le droit de grève, comme c’est le cas dans plusieurs pays du monde, or il ne le fait pas » [7]. Ouf. Mais comme pour le temps de travail, le gouvernement socialiste trouvera bien le moyen de permettre de contourner la loi… La CGT, quant à elle, dénonce ouvertement le projet de réforme, mais Philippe Martinez a vite fait de se rabattre sur des critiques plus conciliantes en déplorant par exemple le « manque de visibilité dans la parole du gouvernement » [8]

Vu le tableau, quand Badinter explique que le comité « ne s’est pas cru autorisé, à regret parfois, à proposer de nouvelles dispositions ou à formuler des suggestions », on est plutôt rassuré. Mieux valait s’en tenir à la vacuité de ses principes. Et il faut reconnaître à Badinter un mérite, celui d’être, encore réquisitionné à la tâche à 88 ans, un témoignage très convaincant en faveur du départ à la retraite à 60.

Ces « principes » ne sont qu’une mise en bouche dans la réécriture du code, mais, déjà, Valls souhaite « un rapport Combrexelle pour la fonction publique », tandis que Macron veut remettre en cause le statut des fonctionnaires… Le Code du travail est l’inscription en droit de rapports de force collectifs, de victoires comme de défaites, mais il garantit quelques garde-fous qu’utilisent les syndicalistes, les militants, les travailleurs qui relèvent la tête, et c’est cela que le gouvernement veut casser. Mais sur des terrains comme celui des 35 heures, l’attaque étant commune, les réactions risquent de l’être aussi… À la SNCF, on parle déjà d’un plan Hirsch sur les rails.

28 janvier 2016, Joan ARNAUD


[1À titre d’exemple, il suffit d’un article pour fixer le jour de repos au dimanche (L. 3132-3), mais des dizaines d’autres s’ajoutent pour déroger à cette règle.

[2En 2015, 358 244 ruptures conventionnelles ont été homologuées, dépassant largement le bilan 2014 (+ 25 000), selon des données du ministère du Travail, publiées le 25 janvier.

[3En effet, le CPA, en capitalisant des unités (en points, en euros) transférables sous certaines conditions d’un droit à un autre, renvoie sur chaque travailleur la responsabilité de son « employabilité », mais aussi de sa santé, de sa retraite, de son logement, de son indemnisation chômage…

[4Revendication de longue date de la CGPME et du Medef.

[5Les salariés de l’usine Smart à Hambach (Moselle), filiale du groupe Daimler, ont voté à 56 % pour un retour aux 39 heures, vendredi 11 septembre 2015. Le oui a été majoritaire à 74 % chez les 385 cadres consultés, mais n’a rassemblé que 39 % des suffrages chez les 367 ouvriers votants.

[6Deuxième effet Kisscool : cela permet également de dédouaner les organisations syndicales. Elles pourront en effet sauvegarder des allures radicales, puisque la possibilité de s’opposer, formellement, à un accord ne sera plus ouverte.

[7Entretien avec L. Berger : Le rapport Badinter « ne remet pas en cause le Code du travail », Lemonde.fr, 25 janvier 2016.

[8Entretien avec Ph. Martinez : « Le Code du travail n’a pas besoin de principes, mais de règles », Europe1.fr, 26 janvier 2016.

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