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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 63, mai-juin 2009

Dans l’Oise, la grève des Lear contre leur patron… et PSA

Mis en ligne le 30 avril 2009 Convergences Entreprises

À Lagny-le-sec, dans l’Oise, les salariés de Lear se sont mis en grève le 6 avril contre un patron qui prétend fermer leur usine de sièges automobile en ne leur accordant que des miettes, avec la complicité du constructeur PSA. Au moment où nous écrivons la grève dure depuis plus de deux semaines et on n’en connaît pas l’issue. Mais en deux semaines, ceux de Lear ont déjà appris, et montré, bien des choses.

En février ils avaient déjà fait trois semaines de grève ! Le groupe américain Lear Corporation venait d’annoncer sa volonté de fermer l’usine de Lagny (fournissant Citroën Aulnay en sièges) pour concentrer la production sur le site de Cergy (approvisionnant Poissy). Les 320 salariés ont le « choix » entre aller travailler 100 kilomètres plus loin à Cergy ou prendre la porte. Le 13 février les représentants syndicaux CFDT, CGT et FO signent un accord avec le patron… dans le dos des salariés. Est convenue une prime de 15 000 euros (10 000 versés en acompte) en échange de la reprise du travail jusqu’à la fermeture en décembre… et puis c’est tout.

Le 3 avril, le DRH envoie une lettre aux ouvriers sur le passage éventuel à Cergy… et leur apprend l’étendue des dégâts : ils perdraient entre 200 et 380 euros sur leur salaire fixe ! La colère explose, les délégués traîtres prennent la poudre d’escampette, et le lundi 6 avril, 80 % des travailleurs se retrouvent en grève, bloquent l’usine, enflamment palettes et pneus, et déclarent la guerre au patron.

Le premier jour de la grève, des revendications sont fixées : pour ceux qui veulent partir (tant ils en ont assez des conditions de travail chez Lear !) une prime de 40 000 euros nets en plus d’un mois de salaire par année d’ancienneté. Pour ceux qui veulent aller à Cergy, aucune perte de salaire (et deux mois « d’essai » pour tester à Cergy s’ils veulent effectivement y faire de vieux os ou plutôt empocher la prime de départ).

Démocratie directe

Mais comment s’organiser ? Et ne pas se faire trahir à nouveau par de soi-disant représentants ? En 2007, quand 500 travailleurs de Citroën Aulnay avaient fait grève pour exiger 300 euros d’augmentation, les Lear s’étaient également mobilisés pendant une semaine sur les salaires, et ils avaient alors fait un bout de route (et une manif tout autour de l’Arc de triomphe à Paris) avec ceux d’Aulnay, l’usine donneuse d’ordre. Alors il paraît tout naturel de demander l’aide de l’équipe CGT d’Aulnay, qui ne se fait pas prier pour venir donner un bon coup de main (à commencer par des militants de Lutte Ouvrière et en plus petit nombre de la Fraction l’Étincelle de LO, qui l’animent).

L’idée s’impose vite qu’il faut instaurer une véritable démocratie directe dans la bagarre : l’assemblée générale des travailleurs qui se réunit chaque jour (avec jusqu’à 80 travailleurs présents) doit décider de tout contrôler. Un comité de grève est élu le matin du deuxième jour de la grève, comprenant de nouveaux responsables syndicaux, mais aussi d’autres grévistes, y compris des non syndiqués. Le comité de grève, qui va se réunir chaque jour, est placé sous le contrôle quotidien de l’AG. Histoire déjà d’éviter les mésaventures de février. Histoire aussi d’impliquer le plus de monde possible dans la réflexion et dans une grève active.

Les alliés

Les grévistes vont aussi réaliser peu à peu une deuxième chose : pour gagner, il faut ne pas se contenter de transformer son entreprise en une sorte de château fort du Moyen-âge encerclé de piquets de grève permanents (même s’il est vrai que la Grande Jacquerie du Moyen-âge débuta dans ces contrées du sud de la Picardie). Il faut absolument se trouver des alliés. D’autant plus que le mouvement ne s’est pas étendu à l’autre usine de Lear, à Cergy, qui elle n’est pas concernée par les suppressions d’emplois, doit récupérer leur production et où une grande partie des délégués CGT ont été licenciés à la suite d’un blocage plusieurs mois auparavant.

Les grévistes décident donc de s’adresser à d’autres travailleurs en butte aux attaques patronales. Or malheureusement, autour d’eux, cela ne manque pas. L’Oise compte 3 000 chômeurs en plus chaque mois. Les fermetures, licenciements, chômages partiels tombent en cascade. Continental à Clairoix bien sûr, mais aussi les amortisseurs Sachs, l’usine de tapis de sol de voitures Trèves-Sodimatex (premier groupe à recevoir des aides du fonds d’investissement de l’État, 55 millions d’euros, qui n’empêchent pas l’annonce de la fermeture de deux usines !), CIE Automotive, la plate-forme logistique du groupe Kuehne-Nagel, l’usine de transmissions Bosch à Beauvais, l’usine Mittal-Arcelor de Montataire… Les grévistes vont donc prendre contact au fil des jours avec les « Conti » (le dimanche 12 avril des ouvriers de Lear les rejoignent sur le parcours de la course Paris-Roubaix pour faire connaître leur mouvement, et rappeler les pavés de mai 68 au souvenir des pavés du Nord). Puis ils envoient des délégations vers différentes entreprises de la région. Pour gagner il faut fédérer les boîtes et les luttes. C’est comme ça que viendra le rapport de forces, et pourquoi pas la mobilisation de la population autour des ouvriers en lutte !

Des têtes pensantes plutôt pesantes

C’est une idée simple, mais si les grévistes de Lear s’en sont bien emparés, ce n’est semble-t-il pas le cas des dirigeants des syndicats du département : CGT, FO, CFDT, CFTC, ils bénissent de loin toutes ces luttes, mais ne prennent pas d’initiative pour les unifier. Bien au contraire : après avoir organisé 3 manifestations différentes dans le département le 19 mars, l’intersyndicale de l’Oise lance la fabuleuse initiative de 4 manifs au même moment, toutes à 10 heures du matin, pour le 1er mai. À Compiègne (où il ne faudrait pas que les Conti en entraînent d’autres autour d’eux), à Beauvais, à Creil, et dans la paisible petite ville de Méru… où il s’agit pour les têtes pensantes syndicales de commémorer dignement le centième anniversaire de la grève des boutonniers (comme l’explique très sérieusement « l’appel de l’intersyndicale interprofessionnelle de l’Oise pour réussir un 1er mai massif » ).

Loin de ces manœuvres mesquines, les boutonniers modernes, les Lear, travaillent quant à eux à populariser leur mouvement et rompre leur isolement, malgré des forces limitées en nombre. Bien entendu, il faut aussi mettre la pression sur le donneur d’ordre, le client, le groupe PSA, qui tire en réalité les ficelles de tout ce petit jeu de fermetures, restructurations, course à la productivité et aux bas coûts. Au point qu’il devient de plus en plus clair que ce sont des responsables de PSA qui gèrent directement le conflit chez Lear et sont à la manœuvre !

La dynastie Peugeot peut payer

Le jeudi 16 avril, les Lear prennent la route nationale 2 et au terme d’une longue opération escargot, viennent manifester devant l’usine d’Aulnay accompagnés de travailleurs de Trèves et de Kuehne-Nagel. Une petite centaine de manifestants en tout, accueillis par une cinquantaine de travailleurs de PSA qui ont débrayé pour les soutenir. Tous ensemble ils adressent un message clair à la direction du constructeur et à ses actionnaires, à commencer par la dynastie Peugeot : ils sont décidés à aller jusqu’au bout, et savent que PSA peut payer (avec ses 10 milliards d’euros de bénéfices encaissés au cours des dix dernières années). Au passage les Lear ont pu admirer les parcs d’Aulnay, déjà presque saturés par des milliers de véhicules sans sièges et invendables. À moins que PSA ne commercialise un nouveau modèle de crise avec sièges en option ?

Le lendemain, le TGI d’Amiens donne sa réponse à la plainte de la direction de Lear contre le blocage de l’usine. Comme pour Caterpillar Grenoble, la « Justice » condamne les grévistes à cesser le blocage et évacuer. Mais sans donner d’astreinte… et le sous-préfet de l’Oise téléphone alors pour promettre qu’il ne fera pas donner les forces de police s’il n’y a pas de violence. Grosse satisfaction pour les grévistes : ils se rendent compte qu’ils font peur aux autorités, inquiètes d’une éventuelle émeute, de la mauvaise pub, d’un effet de contagion !

La lutte continue

À la fin de la deuxième semaine de conflit, la direction fait mine de négocier, mais en essayant d’écarter le comité de grève pour ne discuter qu’avec des délégués syndicaux, de diviser les grévistes en parlant de garanties données à ceux qui iraient à Cergy sans discuter de la revendication des 40 000 euros. Elle propose le vendredi 17 avril (provocation ou incompréhension complète de l’état d’esprit des salariés ?) une prime de 700 euros pour la reprise du travail. Les grévistes ont rejeté tout cela, et loin de baisser les bras, lundi 20 avril ils ont fait une opération « péage gratuit » sur l’autoroute près de Senlis, et récolté 1 600 euros des automobilistes en guise de soutien. Puis, le 22 avril, afin de maintenir la pression sur le donneur d’ordre, ils ont bloqué la départementale qui dessert l’usine d’Aulnay, retardant ainsi d’une demi-heure l’embauche de l’équipe du soir. Malgré la fermeté affichée par PSA et Lear, la grève continue donc. Après tout, suite au précédent accord pourri du 13 février, ils ont reçu chacun sur leur compte en mars 10 000 euros. C’est un trésor de guerre pour continuer leur combat.

23 avril 2009

Gilles BOCARRA et Bernard RUDELLI

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