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Dossier : Élections aux États-Unis

Un barrage contre le « socialisme »

21 mars 2020 Article Monde

Nous publions ici la traduction d’une analyse de nos camarades américains du groupe Speak Out Now, sur la campagne électorale américaine en vue des présidentielles devant avoir lieu le 3 novembre 2020.


La campagne des primaires du parti démocrate s’achève alors que les premières mesures de confinement commencent à se multiplier dans le pays en réponse au début de l’épidémie de coronavirus. S’il est encore trop tôt pour savoir quels seront les résultats définitifs, il semble de plus en plus évident que Bernie Sanders, le candidat dit « socialiste » a une nouvelle fois échoué dans son pari d’obtenir l’investiture présidentielle et de « corbyniser » en profondeur le Parti démocrate pour en faire un parti social-démocrate classique à l’européenne. Il est vrai qu’il se heurtait à forte partie.

Le phénomène Sanders, ses origines et ses perspectives

Depuis qu’il a refait acte de candidature, Bernie Sanders a fortement influencé la teneur de la campagne présidentielle du Parti démocrate en mettant en avant les vrais problèmes auxquels se confrontent quotidiennement la majorité de la population : assurance santé, inégalités de salaire, dette étudiante, bouleversement climatique, etc. Plus dérangeant encore pour les dirigeants démocrates, Sanders, qui se décrit lui-même comme un « socialiste », a remis au goût du jour l’idée de « socialisme » notamment au sein de la jeunesse. Dans un sondage de 2019, 42 % des personnes interrogées affirmaient soutenir les idées socialistes, contre 31 % en 2010. La moitié des moins de 30 ans interrogés, affirmaient même qu’ils avaient une opinion « positive ou très positive » du socialisme. Ce qui n’est pas rien quand on se rappelle que Eugène Debbs, le dernier candidat socialiste aux élections présidentielles en 1920 avait dû terminer sa campagne en prison ! Certes, Bernie Sanders, loin d’être un leader ouvrier révolutionnaire, n’est qu’un candidat bourgeois d’un parti lié aux classes dominantes, mais il n’en demeure pas moins qu’il tranche fortement avec ce que l’on a l’habitude d’observer sur la scène politique américaine.

Qui est Bernie Sanders ?

Sanders a commencé sa vie militante dans les années 1960, comme membre de la Young People’s Socialist League (Ligue socialiste de la jeunesse) affiliée au Socialist Party of America (Parti socialiste d’Amérique). La Ligue socialiste était alors dirigée par Max Shachtman, un ancien dirigeant trotskiste du Socialist Workers Party (Parti des travailleurs socialistes). Shachtman a fourni une formation marxiste, vaguement trotskysante, à ses jeunes militants. Par la suite Sanders a participé au Mouvement pour les droits civiques en tant qu’étudiant au sein du Congress of Racial Equality à Chicago (Rassemblement pour l’égalité raciale), et après s’être installé dans le Vermont, il a rejoint le Liberty Union Party, une émanation électorale du mouvement anti-guerre du Vietnam.

Photo : Bernie Sanders, arrêté en 1963 dans le cadre du mouvement de lutte pour les droits civiques.

En 1981 Sanders s’est fait élire maire de Burlington dans le Vermont en évinçant le titulaire démocrate en poste. Durant son mandat, il a favorisé la construction de parcs, logements sociaux, maisons des jeunes et s’est opposé à la construction de grands centres commerciaux. Malgré le climat de guerre froide il s’est aussi régulièrement élevé contre l’interventionnisme US en Amérique latine et le déchaînement antisoviétique. Élu sans étiquette à la Chambre des représentants puis au Sénat depuis 1989, son activité parlementaire lui a valu le surnom de « the amendment king » (« le roi de l’amendement ») du fait de sa pratique de marchander son vote auprès de l’un ou l’autre des deux partis en échange de quelques mesurettes à la marge.

Malgré son statut d’élu « sans étiquette », il a toujours été lié au Parti démocrate, participant aux caucus (réunions parlementaires) de celui-ci, dans l’objectif de l’orienter sur une politique plus à gauche. Ses deux campagnes présidentielles ne sont en fin de compte que l’aboutissement de cette démarche ancienne.

En réalité, durant ses deux campagnes présidentielles, Bernie Sanders n’a cessé de se montrer rassurant sur son « socialisme ». Dans sa bouche, il s’agit en fait d’un simple retour au « New Deal » (nouvelle donne), cet ensemble de mesures prises par le Parti démocrate au temps de Franklin D. Roosevelt pour lutter contre les conséquences désastreuses de la Grande Dépression de 1929. À cette époque, la crise économique avait abouti à un taux de chômage officiel de 25 % aux États-Unis, dont un tiers de travailleurs industriels. Les programmes du New Deal consistaient essentiellement en la mise en place de systèmes de salaire minimum, de retraite, de lutte contre le chômage et le travail des enfants, de prêts permettant aux habitants appauvris de conserver leurs logements et leurs fermes. En somme, les bases d’un État-providence à l’américaine, qui fut aussi, comme le rappelait déjà Léon Trotsky en 1939, l’occasion pour les trusts de faire des bénéfices considérables : « Pendant la crise de 1929-1933, les trusts n’eurent pas besoin de faire appel à la charité publique ; au contraire, ils s’élevèrent toujours plus haut au-dessus du déclin général de l’économie nationale. Pendant le précaire renouveau industriel qui suivit, suscité par le New Deal, les hommes des trusts réalisèrent de nouveaux profits. Le nombre des chômeurs tomba, dans le meilleur des cas, de 20 à 10 millions ; pendant le même laps de temps, le gratin de la société capitaliste, 6000 personnes au maximum, faisait des bénéfices fantastiques. » [1]

Un certain nombre de partisans de Sanders, au sein de DSA (Democratic Socialist of America) notamment, insistent également sur le fait que ces réformes du New Deal étaient aussi, surtout, la conséquence de près d’une décennie de luttes sociales durant laquelle les travailleurs, à travers les grèves et occupations d’usines, se dotèrent de puissants syndicats industriels. Mais d’une part ce n’est pas sur ce terrain que Bernie Sanders entend se placer, même s’il appelle très abstraitement à des mobilisations de masse. D’autre part ceux qui insistent sur l’importance de ces luttes font mine d’ignorer que l’objectif politique du New Deal était précisément d’empêcher l’émergence d’un mouvement ouvrier révolutionnaire en canalisant la lutte des travailleurs dans une compétition électorale au profit et sous la direction du parti démocrate… déjà !

À propos de DSA

Democratic Socialist of America est devenu ces dernières années la principale tendance de gauche du Parti démocrate. Après avoir longtemps végété, elle a bénéficié d’un afflux d’adhésion dans les années qui ont suivi la crise économique de 2008 et le mouvement Occupy Wall Street, puis les deux campagnes présidentielles de Bernie Sanders. La plupart des membres de DSA sont issus des classes moyennes urbaines blanches, touchées de plein fouet par la montée des inégalités et le sentiment de déclassement. En revanche, les liens avec le mouvement ouvrier traditionnel sont rares, les syndicats proches du parti démocrate ayant préféré créer leur propre tendance, le Working Families Party. Officiellement tendance du Parti démocrate, DSA mène en réalité une existence largement indépendante, centrée sur ses activités locales très variées (participation électorale, soutien à d’innombrables initiatives, manifestations, propagande) et son fonctionnement interne, qui fait souvent l’objet d’interminables tractations. L’organisation est constituée de Chapitres qui forment des comités de base et de Caucus qui sont des tendances internes qui reflètent les différentes orientations, du « kautskysme » à l’anarchisme, et des résidus de trotskysme. En réalité, la direction informelle est toujours entre les mains de la direction du journal Jacobin, menée par Bhaskar Sunkara et la brochette de jeunes élus démocrate/DSA, dont la plus célèbre est Alexandria Ocasio-Cortez, du fait de leur importante médiatisation.

Photo : . Alexandria Ocasio-Cortez, meeting en 2019

C’est à l’aune de ce précédent historique qu’il faut considérer le « Green New Deal » de Bernie Sanders. Ces propositions peuvent certes sembler radicales et prometteuses, mais en pratique ses deux campagnes n’ont fait que renforcer l’illusion auprès de la population que des changements significatifs pourraient être obtenus par les élections et par le Parti démocrate.

Les élections de 2008 et l’illusion Obama

Lors de sa première campagne pour les primaires des présidentielles de 2016, Bernie Sanders avait réussi à galvaniser la gauche et une partie de la jeunesse américaine avec ses mots d’ordre de « socialisme démocratique » et de « révolution politique ». Des slogans qui trouvaient un écho important dans une large partie de la population, éprouvée par les conséquences dramatiques de la crise économique de 2008 (voir l’encadré La crise économique de 2008 et son impact sur les 99 %) et profondément écœurée par le maintien du « statu quo », c’est-à-dire la convergence entre les partis républicain et démocrate pour diriger le pays au nom du « big business ».

La crise économique de 2008 et son impact sur les 99 %

Durant les 45 dernières années, sept millions d’emplois ont été supprimés dans l’industrie aux États-Unis, à la faveur des délocalisations dans des pays à main d’œuvre meilleur marché. Ces postes ont bien souvent été remplacés par des emplois moins bien payés au sein du secteur des services, moins syndiqué que l’industrie. La crise de 2008 a encore aggravé la situation économique avec 1,8 million de petites entreprises qui ont dû mettre la clé sous la porte suite à la récession. L’endettement cumulé des ménages a explosé aux États-Unis : il s’élève actuellement à 13 950 milliards de dollars de prêts immobiliers, de crédits à la consommation, de prêts automobiles ou de dette étudiante.

Les 10 % des foyers les plus riches des États-Unis détiennent 70 % des richesses (une hausse de 10 % en trente ans). Depuis plusieurs décennies, on assiste à des baisses d’impôts successives qui ont transféré une quantité croissante de richesses dans les mains des classes les plus aisées. Si c’est aux Républicains que revient la palme des baisses d’impôts les plus importantes, les Démocrates ne sont cependant pas en reste. Ils ne sont jamais revenus sur les mesures fiscales des Républicains, alors même qu’ils en avaient la possibilité durant les deux premières années de la mandature d’Obama (ils contrôlaient alors le Congrès). Les baisses d’impôts promulguées par Reagan en 1981 ont représenté 111 milliards de cadeaux fiscaux sur quatre ans. Celles de George W. Bush ont atteint les 3000 milliards de dollars sur dix ans. Les dépenses militaires ont par ailleurs quasiment doublé durant les vingt dernières années. Le déficit budgétaire de 1100 milliards de dollars qui en a résulté a été une excuse toute trouvée pour justifier des coupes budgétaires dans les programmes sociaux, l’éducation, etc.

Les Américains dépensent en moyenne deux fois plus d’argent pour les soins de santé que dans les pays industrialisés équivalents. 30 millions de personnes ne disposent d’aucune assurance santé et 62 % des foyers qui ne peuvent pas rembourser leurs dettes le doivent à des dépenses de santé. Une année d’études universitaires peut coûter plusieurs dizaines de milliers de dollars : une somme que bien des étudiants acquittent en s’endettant.

De son côté, et pour les mêmes raisons, le Parti démocrate se retrouvait profondément en crise. Dès 2008, la candidature d’Hillary Clinton, incarnation vivante de ce statu quo et désignée de fait avant même le vote officiel par l’appareil démocrate, avait provoqué des remous. La campagne Clinton était en effet portée par le “Democratic Leadership Council” (Conseil de la direction démocrate) un think-tank créé en 1985 par le couple Clinton afin d’infléchir plus encore la ligne du Parti démocrate sur la droite. Ce DLC préconisait entre autre le démantèlement de toute ou partie de l’État-providence et de lier davantage le Parti démocrate au soutien financier des entreprises privées plutôt qu’à celui des syndicats. D’un point de vue électoral, la stratégie de ces « nouveaux démocrates » visait à ramener dans le giron du parti les électeurs de la classe moyenne blanche qui avaient rallié de plus en plus massivement les Républicains à partir des années 1960-70. L’élection de Bill Clinton avait marqué une première étape dans la réalisation de ces objectifs, et Hillary Clinton était chargée de prendre la suite. Signe des temps, ce fut cependant Barak Obama qui l’emporta. Premier candidat noir de l’histoire du pays, il suscita une énorme vague d’enthousiasme populaire au prix de quelques slogans inspirés de la lutte pour les droits civiques des années 1960, comme « Hope » (espoir) ou « Change » (changement). En réalité, le désaccord entre Obama et les Clinton n’était qu’apparent et ne survécut pas à la campagne des primaires. En fin de compte, les vagues promesses d’Obama, ne s’avérèrent être rien d’autre… que des vagues promesses !

Hillary Clinton rejoignit donc le gouvernement d’Obama et les anciennes querelles avec le DLC furent d’autant plus vite oubliées que la politique d’Obama s’inscrivit dans la droite ligne de celle menée en son temps par Bill Clinton en faveur des entreprises. L’illustration la plus claire de cette ligne fut l’invitation faite par Obama aux entreprises pharmaceutiques et compagnies d’assurance à participer à la rédaction du projet de loi sur l’« Obamacare ». De même, l’administration Obama s’engagea sans sourciller dans la poursuite de la politique de sauvetage économique des banques et des grandes entreprises, engagée par son prédécesseur républicain G. W. Bush. Ainsi, lors de la banqueroute de General Motors en 2009, l’administration Obama n’hésita pas à engager pas moins de 40 milliards de dollars pour racheter des actions de l’entreprise et la maintenir ainsi à flot… alors même que celle-ci imposait à ses salariés de fortes baisses de salaire et sabrait leurs pensions en raison des restructurations massives. Les électeurs qui avaient cru aux belles promesses de changement d’Obama ne purent que constater, malgré la nouvelle couche de vernis, que c’était bel et bien le même vieil appareil du Parti démocrate qui perdurait.

La campagne des primaires de 2016

Ce bilan très décevant était cependant hautement revendiqué par Hillary Clinton lors de sa campagne de 2016. Non seulement, elle n’hésita pas à mettre en avant son expérience d’ancienne secrétaire d’État d’Obama, en défendant le rôle nécessaire des interventions militaires américaines dans le monde entier, mais elle insista sur le rôle important qui avait été le sien dans l’orientation de la politique de Bill Clinton lors du mandat de celui-ci.

De son côté, à la même époque, Sanders en appelait à une « révolution politique » et à un mouvement de masse pour « faire plier la classe des milliardaires ». Il pointait directement la responsabilité des plus riches dans la situation désespérante des travailleurs américains, tout en critiquant les positions des Clinton concernant l’Alena et l’État-providence. Sa campagne, basée sur le volontariat et la collecte de petits dons individuels – contrairement aux autres candidats dépendants des dons des grands groupes et milliardaires – fut un véritable succès, avec des meetings attirant des milliers et milliers de personnes, dont de très nombreux jeunes qui n’auraient pas participé à l’élection en temps normal. En 2016, Sanders réussit au final à remporter les primaires dans 23 États, ce qui lui offrait une majorité de délégués. Ce fut pourtant Clinton qui l’emporta, grâce à l’arrivée opportune des « super-délégués » (voir encart sur les modalités de nomination du candidat démocrate) qui lui apportèrent 15 % de voix supplémentaires ! En dépit d’une victoire numérique, Sanders et ses partisans s’étaient donc retrouvés floués de leur victoire au prix d’une grossière manœuvre d’appareil de la direction du Parti démocrate. Malgré cette fraude manifeste, Bernie Sanders choisit de s’incliner et de soutenir sa rivale pour l’élection présidentielle contre Donald Trump.

Photo : Discours de Sanders en 2016 à l’Université Rutgers.

Les modalités de nomination du candidat démocrate

Le processus de sélection du candidat démocrate aux élections présidentielles est bien moins démocratique que ce ne pourrait laisser croire le nom de leur parti. L’organe dirigeant du Parti démocrate est le DNC (Democratic National Commitee), un organe de plus de 200 membres issus des différents États de l’Union. C’est ce comité qui organise les congrès du parti, qui fixe les règles des caucus [2] et des primaires, et qui rassemble les fonds financiers pour ses candidats – fonds en grande partie constitués de dons d’entreprises privées.

Les primaires de cette année se déroulent entre les mois de février et de juin, à travers des élections primaires et des caucus [3] organisés dans tous les États-Unis. 3979 délégués seront finalement désignés afin de participer à la Convention nationale du Parti démocrate. C’est cette convention qui choisira le candidat démocrate aux présidentielles. Le nombre de délégués est fixé par le DNC selon le nombre d’habitants de chaque État. Les délégués élus aux primaires s’engagent auprès de leurs électeurs à voter pour un candidat sauf s’il se désiste entre-temps, en quel cas le vote est libre) lors de la convention. Mais s’il n’y a pas de vainqueur dès le premier tour, les délégués peuvent alors changer de vote si leur candidat a été battu.

Mais tous les délégués ne sont pas ainsi liés à leurs électeurs. La convention compte aussi 771 super-délégués qui votent selon leur propre choix. Ceux-ci appartiennent aux instances dirigeantes du Parti démocrate. En 2020, contrairement aux primaires précédentes, ils ne pourront plus faire pencher la balance de manière décisive pour un candidat dès le premier scrutin de la Convention. En revanche, leurs voix se révèleraient déterminantes afin de départager les candidats si l’un d’entre eux ne l’emportait pas directement.

Trump et la droite républicaine

Très peu de temps après l’élection d’Obama en 2008, un mouvement d’extrême droite et populiste balaya le pays et aboutit à la transformation en profondeur du Parti républicain. Son émanation la plus visible fut le Tea Party, créé en 2009 en réaction à l’intervention massive de l’État pour sauver les grands groupes de la crise économique de 2008, mais aussi en réaction à l’élection du premier président noir des États-Unis.

Les membres du Tea Party, principalement issus des classes moyennes blanches, souvent relativement âgées (plus de 45 ans en moyenne) et n’ayant que rarement milité auparavant, partageaient le sentiment d’avoir été dépossédés de leur pays par les « élites » au pouvoir et les « minorités ». Ils s’opposaient donc farouchement aux programmes sociaux et environnementaux, ainsi qu’aux impôts censés les financer. À ce fond commun s’ajoutaient les revendications traditionnelles de l’extrême droite américaine : nationalisme agressif, propagande anti-avortement, défense farouche du fameux 4e amendement autorisant la possession des armes à feux. Le Tea Party fut largement financé par plusieurs milliardaires aux idées réactionnaires notoires, comme les frères Koch, et incité par ses bienfaiteurs à se présenter aux élections locales ou au Congrès en concurrençant les vieux politiciens républicains. En 2010, les candidats estampillés Tea Party obtinrent des premiers succès électoraux, ce qui acheva la cristallisation d’une base solide pour la campagne de Donald Trump en 2015.

Ce dernier, un magnat issu du monde des affaires et de la télévision, s’était construit une image de candidat hors norme, non seulement étranger au sérail politicien, mais même en opposition à celui-ci. Durant les débats télévisés, il n’hésitait pas à rabaisser les autres candidats républicains et à les accuser de tous les maux imaginables. Il se proposait de rompre radicalement avec eux et leur politique passéiste, en transformant le Parti républicain en un véritable « parti des travailleurs », et en ramenant au pays les emplois perdus par les investissements égoïstes des capitalistes à l’étranger. Sa campagne centrée sur l’idée d’un « nationalisme économique » visait directement l’Alena, mais aussi les membres des minorités raciales, les femmes, les immigrants, les juifs, les musulmans, avec des invectives directement empruntées à l’extrême droite. Les diatribes de Trump, relayées sur son compte Twitter et par la chaîne Fox News, trouvèrent un écho important au sein des classes moyennes et parmi la classe ouvrière blanche, qui se sentaient de plus en plus reléguées hors du jeu politique. Malgré tous les efforts des caciques du Parti républicain pour stopper sa course, Trump parvint finalement à s’imposer comme leur candidat, cette victoire entraînant en retour la « trumpisation » du Parti républicain.

Les élections présidentielles de 2016 furent en réalité un référendum sur la situation du pays. Même si Hillary Clinton emporta la bataille en termes de suffrages avec 2,6 millions de voix d’avance, de très nombreux électeurs exprimèrent leur mécontentement en votant pour Donald Trump, et celui-ci réussit à obtenir une majorité au collège électoral avec 304 grands électeurs contre 227 pour sa rivale (voir encart sur le collège électoral). Alors même que Sanders avait fait montre de sa loyauté envers le Parti démocrate en appelant à voter pour Hillary Clinton, ce ne fut pas le cas d’une bonne part de sa base électorale qui refusa assez massivement ce jeu de dupes. Trump comme Sanders posaient à la rupture face aux appareils de leurs partis respectifs. Il n’est donc pas si surprenant qu’une partie des électeurs de Sanders lors des primaires démocrates choisit finalement Trump lors des élections générales. Une autre partie des soutiens de Sanders n’allèrent tout simplement pas voter, ou bien se prononcèrent pour la candidate écologiste Jill Stein.

Collège électoral versus vote populaire

Une autre dimension profondément anti-démocratique des élections présidentielles américaine est que le vote populaire est toujours subordonné à celui du Collège électoral. Cette instance est réunie tous les quatre ans dans le but de désigner les président et vice-président des États-Unis. Elle regroupe 538 membres qui sont désignés selon le nombre de représentants de chaque État au sein du Congrès (Sénat et Chambre des représentants). Les modalités de nomination de ces électeurs varient dans chaque État en fonction de sa législation. Au final, une stricte majorité de 270 votes est nécessaire afin de désigner le nouveau président.

Après le vote populaire aux élections présidentielles, chaque État désigne ses électeurs au Collège électoral. Dans la plupart des cas, le candidat qui est ressorti vainqueur dans un État empoche tous les électeurs de cet État au Collège. Il va sans dire que les redécoupages électoraux sont foison de la part des partis afin de tirer les résultats à leur avantage. Le Parti républicain en a fait sa spécialité sur la dernière période.

Afflux de la jeunesse aux Democratic Socialist of America (DSA)

Les primaires de 2016 avaient éclairé d’une lumière vive les magouilles d’appareil au sein du Parti démocrate. À rebours, la campagne de Sanders fut une source d’inspiration pour de nombreux jeunes et de nombreux travailleurs à la recherche d’autres perspectives politiques. Cela se traduisit notamment par l’augmentation du nombre d’adhérents aux Democratic Socialist of America (DSA) – une scission du Parti socialiste remontant à 1973. La stratégie de ce groupuscule était d’entrer au sein du Parti démocrate afin de le remodeler sur le modèle des social-démocraties européennes. Une stratégie qui n’avait pas eu beaucoup de résultats. Mais à la faveur de la campagne Sanders, DSA passa de quelque 8000 adhérents âgés et démobilisés en 2015 à plus de 60 000 membres aujourd’hui, avec un profil beaucoup plus jeune et militant. Cette croissance s’explique aussi par le fait qu’après les élections de 2016, Sanders poursuivit sa campagne en présentant une proposition de loi au Sénat pour instituer un système de santé universel et public, « Medicare for all », qui tendrait progressivement à remplacer les assurances santé privées. DSA en a fait depuis son principal cheval de bataille.

La réponse du Parti démocrate à la présidence de Trump

Au terme de son premier mandat, Trump semble avoir réussi à installer plus fermement que jamais sa domination sur le Parti républicain. En dépit de ses outrances et du climat de haine et d’hystérie qu’il provoque délibérément, sa popularité apparaît comme réelle au sein d’une part importante de la population, non seulement dans les classes moyennes blanches qui forment son principal socle électoral, mais aussi dans une partie des milieux populaires et ouvriers, qui voient en lui le pourfendeur du statu quo honni.

À l’opposé, la détestation qu’il suscite parmi ses opposants pousse nombre d’entre eux à souhaiter un retour à la période précédente, avec l’illusion que cela soit encore possible et sans se rendre compte que c’est cette situation qui a permis le surgissement de Trump. C’est là-dessus que mise le Parti démocrate pour retourner au pouvoir. Réduit à l’impuissance depuis 2017, l’establishment démocrate fait miroiter un retour à la normale après ce qui ne serait en fin de compte qu’une « parenthèse » Trump. Pensant avoir un boulevard devant lui pour rallier les électeurs « centristes », c’est-à-dire l’électorat aisé et modéré, qui vote indifféremment pour les Républicains ou les Démocrates du moment qu’ils défendent le statu quo, la direction démocrate s’est donc surtout limitée dans cette période à dénoncer les initiatives du camp républicain, ou à proposer des contre-mesures symboliques (voir encart sur l’enquête Mueller). Même les mouvements anti-Trump qui ont explosé spontanément dans tout le pays au lendemain de son élection – comme la « Women March », la marche pour la science, les mobilisations de soutien aux musulmans ou aux migrants, ou celles contre les fusillades de masse, etc. – ont été récupérés en sous-main par des organisations satellites du Parti démocrate en vue de les canaliser vers l’alternance électorale, ce qu’a bien illustré le passage des slogans de la marche des femmes entre 2017 et 2018, de « Hear my Voice » (écoute ma voix) à « Hear my vote » (écoute mon vote).

L’enquête sur l’ingérence russe dans la campagne électorale

L’affluence aux manifestations ayant progressivement baissé, les démocrates ont alors changé de braquet en chargeant bruyamment mais sans effets concrets les mensonges et autres fake news de Trump. Leur principale tentative pour décrédibiliser la politique étrangère de Trump a été l’enquête sur l’ingérence russe dans sa campagne électorale, dite « enquête Mueller ». Robert Mueller, ancien patron du FBI de 2001 à 2013 a été nommé à la direction des enquêtes sur les ingérences russes à la demande du procureur général adjoint des États-Unis. Sa commission d’enquête a travaillé de mai 2017 à mars 2019, et s’est conclue par une mise en accusation de Trump pour avoir usé de ses relations en Russie afin de gagner sa campagne en 2016. Il était aussi reproché à Trump d’avoir cherché à entraver cette enquête et de ne pas avoir respecté la législation américaine sur le financement des campagnes électorales. Après plusieurs semaines de spectacle et de déballage médiatique, l’enquête n’a finalement pas abouti à l’éviction de Trump. Elle a cependant mis au jour ses nombreux écarts et ses liens avec des personnages peu reluisants. Mais pour la plupart des gens, l’enquête Mueller est restée une polémique incompréhensible à suivre ou à comprendre et n’a eu guère d’influence sur l’état d’esprit de la population. Les Démocrates avaient beau être convaincus avoir prouvé l’ingérence russe dans les élections, les Républicains continuaient de soutenir massivement Trump.

Et la procédure d’impeachment

Après l’échec retentissant de l’enquête Mueller, l’establishment du Parti démocrate a tout de même relancé une manœuvre du même type, mais d’une toute autre envergure : la procédure d’impeachment de Trump, laquelle a duré tout le mois de décembre dernier. Les objectifs réels restaient toutefois identiques. Il s’agissait de déstabiliser Trump et souder ses opposants derrière le Parti démocrate.

Un lanceur d’alerte avait prévenu en août 2019 que Trump tentait de faire pression sur le gouvernement ukrainien afin d’obtenir des informations sur une possible affaire de corruption concernant Hunter Biden, le fils de Joe Biden. L’objectif de Trump était bien évidemment de discréditer Biden dans la perspective d’une compétition contre lui aux élections de 2020. Comme les témoignages sur cette affaire ont commencé à se multiplier, les élus démocrates à la Chambre des représentants en ont profité pour lancer l’impeachment. Les Démocrates, bénéficiant de la majorité à la Chambre des représentants depuis 2018, purent lancer la procédure d’impeachment malgré l’opposition des élus républicains, ceux-ci détenant encore la majorité au Sénat qui devait instruire le procès. Les Républicains collaborèrent ouvertement avec la Maison-Blanche durant toute la procédure, refusant même d’appeler les témoins à la barre et votèrent en bloc contre la destitution de Trump. Les médias parlèrent en boucle de cette affaire pendant des semaines, la chaîne Fox se faisant le porte-parole de Trump et les chaînes CNN et MSNBC celles des Démocrates. La campagne présidentielle, qui avait été jusqu’ici polarisée par les sujets concernant la vie quotidienne des habitants se réduisait à nouveau à l’opposition politicienne entre les deux grands partis. Pis encore, loin des effets escomptés, la procédure d’impeachment contribua même à conforter et même légèrement faire monter Trump dans les sondages. Dans tous les cas, elle a participé à faire dériver la campagne loin des sujets qui intéressaient vraiment les travailleurs.

Une campagne qui n’en finit pas

Ce pari se révéla partiellement payant, avec 41 nouveaux sièges à la Chambre des représentants pour les Démocrates, portant alors le total à 235 sièges sur 435. Cependant, il fit émerger par là-même la gauche du parti démocrate qui s’était structurée et renforcée depuis la campagne Sanders autour de DSA. Certains des membres de DSA se présentèrent aux élections dans plusieurs villes, et dans certains cas en concurrençant les vieux caciques démocrates. Ce fut le cas d’Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), une New-yorkaise alors âgée de 29 ans, élue à la chambre des représentants sur la base d’un programme très proche de celui de Sanders. Pour ce faire, elle déboulonna Joseph Crowley, un ponte du parti démocrate, ce qui provoqua une forte inquiétude au sein de l’establishment du parti. Avec ses prises de position très à gauche, AOC est rapidement devenue une figure marquante à Washington, avec d’autres élues comme Ilhan Omar du Minnesota, Rashida Tlaib pour le Michigan et Ayanna Pressley au Massachusetts. Ce groupe, surnommé le « Bernie Squad », a été dès le début l’objet d’attaques sexistes et racistes répétées de la part de Trump, leur assurant en retour un certain prestige dans l’opposition.

Photo : le Bernie Squad : Rashida Tlaib élue du Michigan, Ilhan Omar élue du Minnesota, Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), élue de New-York et Ayanna Pressley élue du Massachusetts.

Après ce premier succès, les ambitions électorales se sont aiguisées d’avantage encore au sein du Parti démocrate : plus de vingt candidatures ont émergé pour les présidentielles. Du jamais vu. Sanders apparut cependant rapidement comme le principal candidat. Ses propositions ont polarisé dès le début les débats télévisés entre candidats, et ses meetings et rencontres ont été à nouveau des francs succès. En janvier 2020, plus de cinq millions de personnes avaient soutenu financièrement sa campagne pour un montant moyen de 18 dollars : bien plus que tous les autres candidats. Durant le seul mois de février 2020, il a récolté 46 millions de dollars. En face de lui, l’establishment démocrate a désigné dès le début Joe Biden comme son candidat officiel. Ancien vice-président d’Obama, membre du DNC, c’est un pur produit du sérail démocrate, tout comme Hillary Clinton avant lui. Sa campagne est d’ailleurs très semblable à celle de cette dernière en 2016… Cerise sur le gâteau, il trimballe derrière lui bon nombre de casseroles, portant entre autres sur des affaires de corruption.

Cela dit, alors que sa campagne patinait depuis des mois, la direction démocrate a réussi le tour de force d’inverser la tendance lors des primaires de Caroline du Sud, en mobilisant massivement la « communauté » noire, c’est-à-dire, les notables qui dirigent celles-ci, politiciens, pasteurs, stars ou hommes d’affaires et autres leaders d’influence qui « guident » le vote des noirs. La discipline collective dans cette communauté est d’autant plus importante du fait des discriminations racistes qu’elle subit toujours aujourd’hui et qui l’emmène souvent à faire corps derrière ses dirigeants – même sans guère d’illusions sur leur compte. D’autre biais s’y rajoutent comme l’existence de réseaux clientélistes éprouvés dans les municipalités tenues par des politiciens noirs ou l’exclusion du vote des couches les plus pauvres du fait d’une extrême précarité ou de l’incarcération de masse. À cette mobilisation de la communauté noire, qui forme un des principaux piliers du Parti démocrate, en faveur de Joe Biden, s’est rajouté le désistement et le ralliement rapide des autres candidats centristes qui lui ont apporté leurs équipes de campagne et leur trésor de guerre. Il faut enfin noter le tir de barrage continu des médias contre Sanders ces dernières semaines qui a sans aucun doute contribué à remobiliser les électeurs centristes, effrayés par un homme qui aurait pu, au dire d’un journaliste de MSNBC, « procéder à des exécutions d’opposants dans Central Park » s’il avait pris le pouvoir dans les années 1970.

À rebours, et malgré le succès de sa campagne de terrain, Sanders semble avoir échoué à mobiliser autant qu’il l’aurait voulu la masse des non-votants et abstentionnistes à son profit. Ce qui s’est illustré lors des Primaires du Michigan, grand État industriel, le 10 mars dernier. Alors qu’il avait obtenu l’avantage sur Clinton en 2016, Joe Biden a cette fois obtenu une nette avance sur lui.

Le défi pour les révolutionnaires

La polarisation de la société américaine et la montée en puissance de l’extrême droite incarnée par Trump pose de nombreux défis aux révolutionnaires. L’un d’entre eux, et pas des moindres, est la réapparition d’un mouvement de gauche après presque un siècle d’absence.

Pour l’heure, elle se tient en bordure du Parti démocrate et est animée par Bernie Sanders et les dirigeants et élus de DSA (Democratic Socialist of America). Cette tendance du Parti démocrate a connu une très forte croissance numérique en quelques années, même si cet afflux est assez contrasté en fonction des régions et qu’il s’agit le plus souvent d’adhérents plus que de militants (exemple : à Baltimore par exemple, seuls 10 à 15 % des 600 adhérents participent régulièrement à des réunions et/ou aux activités de l’organisation). C’est cependant en son sein que s’est cristallisée une nouvelle génération militante se revendiquant ouvertement du « socialisme », ce qui est une rupture notable après des décennies de silence, même si ce terme recoupe bien des acceptions et des ambiguïtés volontaires, comme le montre la remise au goût du jour du « kautskysme » par la rédaction de Jacobin, l’organe officieux de DSA.

De même les nombreux ‘Chapitres’ (comités de base) de DSA dans les différents États ont souvent des conceptions très différentes les unes des autres concernant leurs liens avec le Parti démocrate.

La direction de DSA a fait le pari que le soutien à la campagne de Sanders pourrait pousser le Parti démocrate sur sa gauche, ce qui, espère-t-elle, aboutirait en cas de victoire à de réelles avancées sociales concernant le système de santé, la lutte contre le changement climatique, la question des logements, de l’éducation, etc.

En revanche, certaines tendances de DSA estiment de leur côté que la classe ouvrière a besoin de construire son propre parti, et que l’action actuelle au sein du Parti démocrate n’est qu’un choix temporaire et tactique pour aller dans cette direction. Ces militants affirment que la campagne de Sanders, et plus globalement leur action au sein du Parti démocrate, leur permet de parler du socialisme à une frange bien plus large de la population que s’ils étaient en dehors de ce parti.

Dans tous les cas, presque tous sont persuadés que la possibilité d’engranger des victoires électorales, qu’il s’agisse d’un siège à un conseil municipal ou la présidence du pays, représenterait autant de victoires significatives pour leur camp social. Cette approche participe malheureusement à entretenir les illusions électorales et renforce la tendance à toujours se positionner par rapport au Parti démocrate.

De son côté, la gauche révolutionnaire américaine a été largement surprise, voire désorientée, par le succès soudain la campagne de Sanders en 2016, et la croissance rapide de DSA ou de diverses associations de défense des migrants ou écologiste radicale.

Ainsi l’ISO (International Socialist Organization), organisation trotskyste américaine, dénombrait il y a encore peu de temps un millier de membres et insistait sur la nécessaire distinction qu’il fallait établir vis-à-vis des partis bourgeois lors des élections. En ce sens, toute démarche électorale en lien avec la gauche réformiste ne pouvait qu’être considérée comme un pas dans la mauvaise direction. Aussi en 2016, même si l’ISO s’était félicité d’une campagne Sanders permettant de populariser une rhétorique vaguement socialiste, elle avait cependant refusé de soutenir sa campagne en arguant de l’appartenance de fait de Sanders au Parti démocrate. Mais confrontée à la compétition de DSA et au succès de Sanders – ainsi qu’à des problèmes internes et à l’absence de toute organisation ouvrière indépendante dans laquelle s’engager – l’ISO s’est dissoute en 2019… et nombre de ses dirigeants et militants ont depuis rejoint DSA et/ou la nouvelle campagne Sanders !

Quand à SA (Socialiste Alternative), la section américaine du CWI (Commltee for a Workers’ International) qui avait réussi à se faire connaître à l’échelle nationale grâce à l’élection de Kshama Sawant au conseil municipal de Seattle en 2014, elle a participé à la campagne Sanders dès 2016 en lançant la campagne #movementforBernie, puis en organisant des comités locaux de soutien, en récoltant des signatures, sans oublier « d’interpeller » Sanders pour qu’il rompe avec le Parti démocrate s’il n’arrivait pas à obtenir sa nomination. De plus, alors même que les militants de SA soutenaient Sanders, ils ne rejoignirent pas le Parti démocrate pour autant, ni ne votèrent aux primaires, pas même là où l’affiliation obligatoire à ce parti n’était pas nécessaire. En conclusion, le groupe explosa sous la pression de DSA en 2018, une part substantielle des militants décidant de rejoindre cette organisation. Ce qui reste de SA est cependant de nouveau impliqué dans la campagne de Sanders pour 2020…

La disparition de l’ISO et l’affaiblissement de SA représentent un tournant significatif pour la gauche révolutionnaire américaine, car elle signifie le basculement d’un nombre non négligeable de militants vers le soutien à un programme réformiste. C’est une perte importante car, chacun à sa manière, ces groupes avaient tout de même maintenu et défendu le principe révolutionnaire de la nécessité pour la classe ouvrière de se doter d’une politique indépendante.

Et maintenant…

À l’heure où nous écrivons ces lignes, la victoire de Joe Biden semble de plus en plus probable. Il est difficile de savoir quelles seraient les chances d’un tel candidat, incarnation d’une politique vomie par un grand nombre de travailleurs, face à un Donald Trump dont l’ignominie n’est plus à dépeindre.

En tant que révolutionnaires notre rôle n’est pas d’éluder les questions que Sanders a mises sur le devant de la scène, bien au contraire car celles-ci correspondent bel et bien aux problèmes quotidiens auxquels la population est confrontée. Notre rôle est de réussir à répondre aux aspirations que soulève la campagne de Sanders tout en dissipant toute ambiguïté sur le Parti démocrate et les fausses solutions électorales. Pour Sanders, le principal obstacle à sa prétendue révolution est le contrôle actuel des grandes entreprises sur le Parti démocrate, pas le système capitaliste. Il entretient l’espoir sur le fait que, si lui et d’autres sociaux-démocrates arrivaient à obtenir la direction du parti, alors il serait possible de répondre aux problèmes quotidiens auxquels les travailleurs des États-Unis sont confrontés. Mais tout cela est de la mascarade.

Notre problème ne doit pas être de savoir si les électeurs doivent voter pour Sanders ou non. Comme l’historien et militant Howard Zinn l’affirmait : « Voter ne prend que quelques minutes, alors la vraie question est surtout ce que l’on va faire en dehors de ce temps-là. »

Il s’agit de discuter avec toutes celles et tous ceux qui ont été attirés par la campagne de Sanders et qui vont ressentir une grande désillusion après les attaques de l’establishment démocrate et des médias contre Sanders. La réalité du processus électoral qui va se dérouler sous leurs yeux leur donnera peut-être l’envie de rechercher des solutions alternatives à la vieille soupe électorale. Cela nous offrira la possibilité de discuter de nos perspectives révolutionnaires.

Amy Berman


[1Dans Le Marxisme et notre époque – 18 avril 1939

[3Un caucus signifie une « tendance » dans la vie politique américaine. On trouve donc des caucus dans chaque parti ou organisation. Dans le cas des primaires, le caucus désigne aussi l’ensemble du processus electoral qui aboutit à la désignation dans chaque État des délégués qui choisiront le candidat.

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