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Lectures d’été : un roman choral sur les émeutes de Los Angeles en 1992

Six jours, de Ryan Gattis

Traduction française en poche en août 2016, 8,90€

12 juillet 2021 Article Culture

« All involved », titre original en anglais, est paru en 2015. Être impliqué (involved), c’est faire partie d’un gang, d’où le titre. Aucun des personnages de ce roman n’a plus de 25 ans, et pourtant tous vivent un enfer, entre la brutalité des gangs et de la police. Car les journaux titrent aussi : « four cops involved in the beating of Rodney King » (quatre flics impliqués dans le passage à tabac de Rodney King).

En 1991 à Los Angeles, quatre policiers s’acharnent sur un conducteur noir, Rodney King. Ce n’est pas le premier de leurs méfaits, mais c’est le premier dont l’enregistrement filmé par un témoin passera sur les chaînes publiques et entraînera un procès un an plus tard. En dépit des images accablantes, les policiers sont relaxés. Commencent alors six jours d’émeutes, et notre roman.

L’auteur fait le choix de nous les raconter de l’intérieur, en se mettant en particulier dans la tête de membres de différents gangs mexicains, qui profitent que la police soit débordée pour régler leurs comptes. Les revendications politiques de ces six jours sont donc totalement passées sous silence, ce qui contraste avec les émeutes de Watts des années 1960, et reflète la régression conjointe des luttes militantes et des conditions de vie. L’auteur nous entraîne ainsi dans un crissement de pneus à travers l’argot et la spirale de vengeances, de braquages en fusillades : « il restera toujours quelqu’un de la famille d’une victime ».

Le propos du livre n’est pas pour autant d’affirmer qu’il faudrait plus de lois ou d’agents. Au contraire, le chef d’un escadron militaire, chargé en théorie de rétablir l’ordre dans la ville, se décrit lui-même comme un chef de gang, mais de ce gang qui possède des tanks et fait à proprement parler la loi : l’État. Le chaos émeutier n’est donc qu’une conséquence de la jungle capitaliste, et la guerre civile entre gangs un résultat de la guerre sociale entre classes.

Cette immersion dans les quartiers pauvres de la deuxième plus grande ville de la première puissance mondiale nous montre le destin verrouillé par la misère, les armes à feu et la drogue de gamins et gamines aux courtes vies brisées en apparence par leurs propres mains, mais en réalité par l’absence de perspectives révolutionnaires.

Simon Vries


Pour ajouter des images à ce roman plein d’action, on peut regarder Kings, le deuxième film de Deniz Gamze Ergüven, avec un surprenant Daniel Craig. Le film suit principalement Halle Berry, mère de famille qui recueille des enfants abandonnés, et vit sur fond d’émeutes une ébauche de romance avec son voisin. On aurait pu se passer de la scène ratée de rêve érotique, mais cela n’empêche pas d’être saisi par l’ambiance d’une ville inquiète que brutalités policières et rage de la jeunesse amènent au bord de l’explosion.


Pour une B.O explosive des émeutes : Killing in the name – de Rage Against The Machine (RATM). Ce groupe originaire de L.A. combine une instrumentation entre funk et hard rock avec un rap aux paroles engagées contre la « Machine » (le système). Killing in the name est un des morceaux de l’album qui a propulsé le groupe en 1992. Sorti après les émeutes de L.A., il dénonce le racisme de la police en la rapprochant du Ku Klux Klan : « Some of those that work forces / Are the same that burn crosses » (les mêmes qui brûlent des croix se retrouvent dans les forces de l’ordre). En 2000, avec la chanson Sleep now in the fire, le groupe a tourné un clip dirigé par Michael Moore devant la Bourse de New York, avant de l’envahir avec le public, provoquant sa clôture temporaire… Sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=bWX...


Bref retour sur les émeutes de 1992 à Los Angeles

L.A. est la deuxième plus grosse ville du pays. Quelques heures après le verdict qui innocente les flics ayant agressé Rodney King, une partie de la population descend dans les rues. La police et l’armée protègent avant tout les quartiers riches de L.A. (Beverly Hills ou Bel Air), repoussant les émeutes dans South Central.

Un autre quartier pauvre, Watts, avait déjà connu des émeutes en 1965. La différence est qu’il y avait à cette époque une politisation forte dans le mouvement Noir américain. Le mouvement des droits civiques, alors entamé depuis plusieurs années, s’était déjà transformé dans les années 1960, abandonnant la non-violence, devant la compréhension que des avancées uniquement juridiques ne pourraient pas résoudre les inégalités sociales – ce qu’exprime Martin Luther King lui même : « What good is having the right to sit at a lunch counter if you can’t afford to buy a hamburger ? » (à quoi sert d’avoir le droit de s’asseoir au comptoir si on n’a pas de quoi s’acheter un hamburger ?).

La guerre du Vietnam avait aussi demandé son contingent de morts en première ligne aux classes populaires. Les émeutes de Watts étaient donc en partie l’expression de cette politisation, ce qui n’est pas le cas en 1992. Une autre différence est le contexte économique : en 1960, les patrons, poussés par les mouvements sociaux, embauchent des Noirs ; en 1992, la crise et les politiques patronales font que les Noirs sont virés, et non embauchés. Ceux qui ont donc une assurance préfèrent parfois mettre le feu à leurs propres maigres possessions.


Pour une analyse politique des émeutes de LA, on peut se rendre sur le site de Lutte ouvrière, et lire l’article : « Los Angeles - L’explosion de la colère »

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