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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 82, juillet-août 2012

Quebec : vive la grève !

Mis en ligne le 3 juillet 2012 Convergences Monde

Nus, habillés (mais avec le carré rouge épinglé au T-shirt de rigueur), armés de casseroles, de mégaphones, de nuit comme de jour, par centaines de milliers ou par groupes de cent, à Québec, à Montréal, et sur tout le territoire de la province canadienne, 165 000 étudiants ont déserté les bancs de la fac et battent le pavé sans discontinuer depuis maintenant cinq mois. Depuis mi-février, les universités et Cégeps [1] sont en grève. Étudiants et professeurs ont gagné le soutien d’une large part de la population grâce à leur lutte contre les 75 % de hausse programmée des frais d’inscription à la fac.

Pas moins de 1 625 dollars canadiens (1 235 euros) supplémentaires par an devront sortir de la poche des Québécois pour accéder aux études supérieures. L’augmentation est répartie sur cinq ans, à hauteur de 325 dollars canadiens par an. Et ce, dès la rentrée prochaine. Le gouvernement provincial de droite, dirigé par le Premier ministre Jean Charest, en poste depuis 2003, n’en est pas à son premier fait d’arme contre les travailleurs et la jeunesse. Il y a eu la « taxe santé » en 2010 qui impose à chaque Québécois, quels que soient ses revenus, de verser 200 dollars canadiens par an. Les budgets sociaux ont été également mutilés et Charest avait imposé en 2007 une première augmentation des droits de scolarité s’élevant à 500 dollars.

Cette nouvelle attaque impose aux familles qui le peuvent de se serrer un peu plus la ceinture, à beaucoup d’étudiants de s’endetter pour payer leurs études et à d’autres tout simplement d’y renoncer. La riposte ne s’est pas fait attendre ; les foudres estudiantines ont su fondre les glaces de la vie politique québécoise tout au long de ce début d’année mouvementé et effriter l’iceberg gouvernemental. Et ce n’est pas fini !

Parmi les huit millions de Québécois, plusieurs centaines de milliers ont défilé depuis le début du mouvement. Des manifestations étudiantes d’une ampleur jusque-là inconnue au Québec : 200 000, voire 300 000 manifestants ont contesté la politique du gouvernement Charest qui, comme l’ensemble des dirigeants des pays riches, assène des mesures d’austérité sous prétexte de dette nationale à payer. Ici, l’objectif est de pouvoir opérer des coupes franches dans le budget public des universités et Cégeps aux dépens des jeunes (80 % des 15 à 24 ans sont scolarisés) et de leur famille. Pourtant, en cette période de vaches maigres, ce n’est pas la diète pour tout le monde. Les entreprises ont touché en aides publiques québécoises 3,5 milliards de dollars canadiens rien que pour l’année 2011 et les grands groupes de l’industrie d’armement canadienne se goinfrent allègrement sur les dépenses fédérales militaires qui ont augmenté de 50 % depuis six ans.

Pour la province canadienne, une grève étudiante si longue est inédite. Votée lors d’assemblées générales qui réunissent les étudiants mobilisés très majoritaires, la grève est reconduite et les portes de la plupart des facultés et Cégeps restent closes depuis maintenant cinq mois. Et, à l’heure où le gouvernement québécois joue son va-tout en pariant sur l’arrêt des cours et les congés d’été, les assemblées ainsi que les associations étudiantes ont d’ores et déjà appelé à reprendre la mobilisation et la grève dès la reprise des cours mi-août.

Du vaudeville ministériel... à la matraque

De son côté, le gouvernement Charest, soutenu par le Premier ministre du gouvernement fédéral du Canada, Stephen Harper, essaie tant bien que mal de ne pas perdre la face. Il a d’abord trépigné en sommant les étudiants d’arrêter « leurs actes de violence » et en refusant toute négociation. Charest a même mis en scène une tragi-comédie ministérielle. Une première ministre de l’Éducation a démissionné cherchant à provoquer un « électrochoc » dans les consciences contestataires, malgré les tentatives du Premier ministre « attristé » pour la retenir. En tout cas, cela a remonté le moral des grévistes qui sont sortis en masse dans la rue voyant dans ce vaudeville l’assurance que la mobilisation déstabilisait le gouvernement.

Afin de juguler la vague contestataire, le gouvernement Charest a choisi d’user de la matraque. D’une part, plusieurs centaines d’arrestations ont lieu chaque semaine, ce qui n’a pas entamé la détermination des grévistes. D’autre part, pour limiter le droit de manifester, le gouvernement provincial a conçu une nouvelle arme législative censée intimider étudiants et directions des associations étudiantes. Avec cette « loi spéciale », dite loi 78, promulguée à la mi-mai, les syndicats et associations peuvent être sous le coup d’amendes importantes si des rassemblements se déroulent sans parcours déposé auprès des autorités ou à moins de 50 mètres d’une fac. Même si elles n’ont pas appelé à des rassemblements, elles peuvent en être jugées responsables si certains de leurs membres y participent. De plus, cette loi a instauré le lock-out des facs et Cégeps mobilisées et impose une reprise des cours pour le 15 août.

L’effet incendiaire de la loi 78

Cette loi 78, désormais célèbre au Québec, a eu l’effet inverse de celui escompté par le gouvernement. Contre elle s’est cristallisé le mécontentement populaire. Une part croissante de la population québécoise est descendue dans la rue, armée de casseroles pour être sûre d’être entendue, histoire de crier « Chiche ! On est là ! Appliquez-là, votre loi ! ». Ainsi, à Québec comme dans toutes les grandes villes de la province, ces manifestations nocturnes et festives regroupaient des milliers de personnes de 7 à 77 ans, qui bravaient et raillaient cette loi 78. Le gouvernement, qui pariait jusque-là sur un pourrissement du mouvement étudiant, n’en redoutait pas moins ses possibilités d’extension au monde du travail.

Manifestation du 22 mai : les travailleurs rejoignent les étudiants

Le 22 mai, à l’occasion du centième jour de grève, une nouvelle grande manifestation a regroupé 250 000 personnes. Cette fois-ci, des syndicats de salariés dont les plus importants : la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la Confédération des syndicats nationaux et le Syndicat canadien de la fonction publique, ont appelé à manifester. Et, selon les participants à cette manifestation, les travailleurs sont venus nombreux pour gonfler les rangs des étudiants mobilisés.

Le gouvernement pouvait jouer la montre avec le mouvement étudiant tant que celui-ci ne faisait pas tache d’huile et n’entraînait pas dans la lutte le reste de la population. Et ce ne sont pas les raisons de se mobiliser qui manquent : la politique d’austérité du gouvernement Charest et de son homologue fédéral, Stephen Harper, dépasse largement le cadre de l’éducation. Deux semaines avant le début du conflit, Harper annonçait que l’âge légal de départ à la retraite devra être reculé de deux ans passant de 65 à 67 ans pour tous les Canadiens.

La rue et ceux qui négocient

Face au ralliement de la population, au moins lors des manifestations, le gouvernement a changé son fusil d’épaule. Le lendemain du défilé du 22 mai, il a rouvert des négociations avec les principales organisations étudiantes après les avoir fermées quelques semaines plus tôt. Ces associations ont proposé un moratoire de deux ans avant le début du paiement de la hausse des frais d’inscription, tout en signalant qu’après ces deux années (c’est-à-dire après les nouvelles élections générales au Québec) elles ne s’opposeraient pas à la hausse prévue si le nouveau gouvernement en décide ainsi. Le gouvernement, de son côté, a proposé un étalement sur sept ans et non sur cinq de la hausse des frais de scolarité. Autant dire que leurs options n’étaient pas si éloignées. En tout cas, elles étaient bien plus proches l’une de l’autre qu’elles ne l’étaient de celles scandée dans les rues et en assemblée générale par les étudiants mobilisés : annulation pure et simple de la hausse.

Ce n’est… qu’un début ?

Mais, à cette étape là de la mobilisation, accepter tout ou partie des revendications étudiantes pour le gouvernement aurait été un signal envoyé à l’ensemble de la population laborieuse ; une preuve que lutter pied à pied contre les mesures d’austérité paie. Du coup, le gouvernement a rompu les négociations et espère que la période estivale découragera les contestataires. Mais rien n’est moins sûr ! L’énergie étudiante n’est pas retombée ce mois de juin malgré le lock-out par le gouvernement des établissements les plus mobilisés. Les manifestations étudiantes incessantes lors du grand prix de Formule 1 de Montréal en juin ont bien prouvé que la mobilisation étudiante ne désarme pas.

Au Canada comme en Europe

Cette politique québécoise d’austérité universitaire est plus la règle que l’exception : selon Le Monde du 21 juin, entre 2008 et 2012, pas moins de la moitié des pays européens ont sabré leur budget pour les universités. Parmi eux, la Grèce, le Portugal, la Lituanie et l’Angleterre l’ont diminué de plus de 20 %. Mais la pilule amère n’a pas été avalée facilement. Au projet du gouvernement anglais en 2010 de tripler les frais de scolarité, les étudiants et lycéens anglais ont riposté par une longue mobilisation. Même chose en Italie. Sans oublier les Indignés espagnols, grecs ou états-uniens qui ont su se coordonner par dizaines de milliers et organiser une mobilisation sur la durée contre les politiques d’austérité qui étranglent les classes populaires.

Le gouvernement Charest, comme tous les gouvernements du monde, a toutes les raisons de se méfier des mouvements étudiants parce qu’ils sont, par leur obstination et les chemins qu’ils défrichent, une force d’entraînement considérable pour une classe ouvrière qui a toutes les raisons d’entrer dans la lutte. Surtout que les frontières entre le monde étudiant et le monde du travail tendent à s’effacer. Au Québec, par exemple, 80 % des étudiants travaillent à temps plein en même temps qu’ils étudient. Potentiellement, des dizaines de milliers de militants sont en position de mener au quotidien sur leur lieu de travail une politique d’extension de la grève chez les salariés.

Au sein des mouvements des Indignés comme dans la mobilisation de la jeunesse québécoise, la jeunesse scolarisée et de nombreux travailleurs ont arpenté les rues côte à côte et participé aux mêmes assemblées générales dans les quartiers. Pour l’instant, la classe ouvrière en tant que telle n’est entrée en grève que ponctuellement. Mais rien n’est bouclé ! En 1968, quand les mouvements étudiants faisaient le tour du monde, du Japon aux États-Unis en passant par le Mexique et l’Europe, la mobilisation étudiante en France avait entraîné onze millions de travailleurs dans la grève générale. Quarante-quatre ans plus tard, quand il s’agit cette fois de faire payer la crise à la population, les étudiants québécois ont de belles perspectives devant eux. Et les gouvernements du monde entier bien du souci à se faire...

22 juin 2012

Alek SOZEN


La grève en dates !

31 mars 2011 : Plusieurs milliers d’étudiants manifestent contre la hausse programmée des frais d’inscription. Un campement étudiant est installé chaque week-end de l’été devant le ministère de l’Éducation.

10 novembre 2011 : 30 000 étudiants manifestent à Montréal contre la hausse.

13 février 2012 : grève déclenchée par des étudiants-chercheurs de l’université de Laval et de Montréal.

Du 13 février au 5 mars 2012 : La grève se répand comme une traînée de poudre d’une université à l’autre, d’un Cégep à l’autre jusqu’à atteindre 120 000 grévistes.

22 mars 2012 : Appel à la grève et à la manifestation par les principales associations étudiantes. Sur les 400 000 étudiants québécois, 300 000 font grève et 200 000 manifestent, une première au Québec. Plusieurs associations étudiantes appellent à la grève générale illimitée.

Semaine du 23 avril : Négociations entre associations étudiantes et gouvernement. Le ministre de l’Éducation rompt les négociations prétextant des actes de vandalisme lors de manifestations.

Du 23 avril au 9 juin 2012 : 50 manifestations nocturnes consécutives et plusieurs milliers d’arrestations.

5 mai : Accord de principe signé par les représentants des associations étudiantes qui acceptent la hausse des droits de scolarité contre des baisses possibles d’autres frais de scolarité. Mais les assemblées générales locales des associations refusent cet accord.

14 mai 2012 : Démission de la ministre de l’Éducation. La nouvelle ministre annonce la « loi spéciale » qui limite le droit de manifester.

22 mai : 250 000 manifestants à l’occasion du centième jour de grève à l’appel des associations étudiantes mais aussi des principaux syndicats de travailleurs.

23 mai : Reprise et rupture des négociations.

Depuis, la mobilisation continue !


L’addition salée des droits de scolarité !

La hausse des frais d’inscription passerait en cinq ans de 2 168 dollars canadiens (1 677 euros) à 3 793 dollars canadiens (2 934 euros). À ce coût s’ajoutent les « frais afférents » que les universités demandent aux étudiants de payer pour couvrir les frais administratifs ainsi que les dépenses pour les bibliothèques et les dispositifs sportifs. Cela augmente la note de 650 dollars par an, en moyenne.

Néanmoins, les droits de scolarité québécois restaient en moyenne deux fois moins élevés que dans les autres provinces du Canada, loin derrière les provinces anglophones de l’Ontario et de Colombie Britannique où ils culminent à 6 500 dollars canadiens (5 000 euros). Le choix du gouvernement québécois des années 1970 de démocratiser l’accès à l’université et aux études post-secondaires en créant les Cégeps avaient imposé de faibles frais de scolarité. Depuis la fin des années 1980, ils n’ont cessé de monter. Il ne reste plus grand-chose de l’idée de « massification de l’accès aux études supérieures ». Beaucoup d’étudiants y renoncent, n’ayant pas la possibilité de s’endetter.


Une « loi spéciale[ment] » inefficace...

Avec cette « loi spéciale », dite loi 78, promulguée le 18 mai, manifestants, syndicats et associations peuvent être sous le coup d’amendes importantes si des rassemblements se déroulent sans parcours déposé auprès des autorités au moins huit heures avant le début de la manifestation : jusqu’à 5 000 dollars pour un étudiant, 125 000 dollars pour une association et 35 000 pour un dirigeant d’association... Il y est aussi écrit l’interdiction de se rassembler à moins de 50 mètres d’un établissement scolaire. De plus, cette loi impose la fermeture des universités et Cégeps mobilisés jusqu’à la reprise des cours le 15 août. Loi promulguée le 18 mai. 22 mai : 250 000 étudiants et travailleurs manifestent dans la rue.


[1Cégep : établissements qui dispensent à la fois des formations pré-universitaires qui correspondent aux deux dernières années de lycée en France, et des formations technologiques du type IUT.

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