Le piège des fonds de pension
Mis en ligne le 19 janvier 2003 Convergences Politique
La retraite par capitalisation peut prendre diverses formes. L’épargnant futur retraité peut adhérer individuellement à un fonds de pension de son choix, en lui confiant de l’argent qui sera investi en titres financiers, actions ou obligations, qui seront vendus plus tard par les gestionnaires du fonds pour verser sa pension à leur adhérent. Mais aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, de nombreux fonds de pension sont constitués dans le cadre des entreprises : les salariés versent une partie de leurs revenus dans un compte-épargne géré par l’entreprise, qui peut l’abonder de son côté, le plus souvent par ses propres actions.
Une miraculeuse cure de jouvence ?
On nous présente ces fonds de pension comme une solution, presque miracle, au problème du vieillissement de la population. Cette idée est pourtant absurde. Si à l’avenir la proportion des retraités augmente par rapport aux actifs et si l’on veut maintenir le niveau de vie des premiers, cela pose de toute façon le problème du transfert d’une partie plus importante du revenu global disponible de la société vers les anciens. Les retraites doivent être financées par une ponction sur les richesses réellement disponibles, donc produites durant l’année. C’est vrai des retraites par capitalisation comme des retraites par répartition.
Les partisans de la capitalisation, avant le reflux actuel des bourses du monde entier, faisaient miroiter les rendements de 9 % en moyenne par an des fonds de pension, alors que le produit national des pays développés ne croissait, lui, que de 2 à 3 % dans le meilleur des cas. Mais par quel miracle les marchés financiers offrent-ils parfois de tels rendements ? Tout simplement parce que les profits réalisés à la bourse se font par ponction sur les richesses créées par la société.
Les actions montent d’abord dans la mesure où s’accroît leur rendement c’est-à-dire où les entreprises sont capables d’accroître leurs profits et donc augmentent leur exploitation des travailleurs. Les fonds de pension ne peuvent donc être profitables à leurs adhérents que si l’exploitation augmente. On se retrouve devant le paradoxe d’un salarié qui verrait monter les actions de son fonds de pension à condition et dans la mesure où son entreprise… bloquerait son salaire, voire annoncerait son licenciement.
Mais les actions montent aussi (ce fut le cas avant la dégringolade actuelle) par l’effet de la spéculation, qui n’a qu’un temps et qui a toujours été suivie de leur effondrement. Pour ceux qui y adhèrent, et même pour les cadres supérieurs qui se verraient bien en salariés-rentiers à la façon des ingénieurs des années 1920, les fonds de pension représentent donc un risque considérable. La faillite d’Enron, dont les 20 000 salariés ont à la fois perdu leur emploi et la plus grande partie de leur retraite, en est un exemple.
Des fonds pour mieux rouler les travailleurs
Les fonds de pension, financés par le parasitisme des marchés financiers sur le travail des travailleurs, ne sont en aucune façon une solution pour l’ensemble des salariés. A la rigueur pour ceux qui ont les moyens d’épargner un peu pour compléter leur retraite, les cadres supérieurs par exemple qui peuvent espérer d’autant plus gonfler leur patrimoine en titres de l’entreprise que les autres travailleurs subissent les attaques de la direction et sont surexploités.
Mais ce sont surtout les capitalistes qui salivent devant la perspective que les travailleurs soient contraints de mettre à leur disposition des masses de capitaux de plus en plus gigantesques (en France les seules retraites versées aux salariés du privé représentent 150 milliards d’euros) qui pourraient être levés, à moindres frais, pour financer leur développement ou leurs fusions-acquisitions. Sans compter que les fonds de pension pourraient également être une activité très rentable pour les compagnies, sociétés d’assurance, banques, qui se proposeraient de les gérer contre de confortables commissions.
De plus les fonds de pension représentent aussi bien des avantages pour les entreprises qui en constituent au nom de leurs employés, souvent en les abondant en actions de l’entreprise elle-même. D’abord les patrons préfèrent ainsi distribuer des revenus virtuels et différés aux travailleurs plutôt que des augmentations de salaires concrètes et immédiates. Et puis de tels fonds peuvent constituer un fonds de roulement pour l’entreprise elle-même.
Bien sûr, Seillière et ses pairs peuvent aussi trouver des charmes idéologiques aux fonds de pension d’entreprise, le mirage de l’intérêt commun des travailleurs et de leur patron, l’alliance capital-travail : il faut accepter de faire des efforts pour que l’entreprise marche bien et on sera récompensé par la montée de l’action… Une perspective plus difficile à gober, aujourd’hui, pour les quelques millions de salariés français qui de fait ont déjà des actions de l’entreprise, comme à Alcatel et France Télécom, et qui ont vu le prétendu bas de laine que leur avait constitué leur patron s’envoler en fumée. Si leur retraite avait toute été investie en fonds de pension maison, ils seraient aujourd’hui en passe de la perdre, au moment où leur emploi est menacé.
Mais peu importe pour le Medef et le gouvernement… En menaçant d’allonger la durée de cotisation pour la retraite par répartition ils veulent mettre les travailleurs devant le fait accompli : contraints de partir avec une retraite à taux réduit, s’ils ne veulent pas travailler jusqu’à 65 ans, voire plus, ils n’auront pas d’autre choix que de compléter leur maigre retraite par la capitalisation individuelle. S’ils en ont les moyens…
Sinon, ce sera la retraite peau de chagrin, voire le minimum vieillesse.
Bernard RUDELLI
Jouer sa retraite à la Bourse ?
Il était peut-être parfois difficile il y a deux ans de convaincre un salarié de se méfier de l’actionnariat salarié, alors que le CAC 40 avait été multiplié par 2,4 pendant la décennie.
La faillite d’Enron, suivie par celle d’autres grands groupes américains, a été un sérieux avertissement. Pendant la période de montée du cours de l’action, les dirigeants d’Enron avaient incité leurs salariés à acheter des titres de la société pour constituer leur plan d’épargne retraite, et ils offraient aussi des actions aux travailleurs pour mieux faire accepter la stagnation des salaires. Quand le cours de l’action a commencé à chuter, ils se sont empressés de vendre leurs stock-options, alors que la plupart des employés étaient contraints de garder les leurs. Il est en effet spécifié dans la plupart des contrats des fonds de pension américains d’entreprise que les salariés ne peuvent vendre leurs titres avant l’âge de 50 ou 55 ans. Les 20 000 salariés ont perdu ainsi plus d’un milliard de dollars d’épargne retraite, 50 000 dollars par personne en moyenne !
Aux Etats-Unis, où les fonds de pension d’entreprise ont perdu 20 % de leur valeur en moyenne, celui d’IBM enregistre un trou de 3 milliards de dollars, Ford 3,2 milliards, General Motors 9 milliards. Du coup, le patronat tend à transformer la nature des fonds de pension, en remplaçant ceux « à prestations définies » (le montant de la future retraite est garanti) par des fonds « à cotisations définies », dont les prestations dépendent du rendement des placements financiers. Ainsi la part des salariés couverts par un contrat à prestation définie est passée de 28 % en 1989 à 19 % en 1995 et continue de baisser depuis.
En France, ce sont les revers de fortune de l’actionnariat salarié qui donnent une idée de ce qui se passerait pour les retraites des travailleurs si elles étaient constituées de fonds de pension d’entreprise. Sur 40 sociétés françaises, le « portefeuille » moyen des 1,68 millions des salariés possédant des actions de leur entreprise est passé de 15 939 à 11 360 euros entre janvier et octobre 2002. Soit une chute de 30 % ! Les plus pénalisés des salariés actionnaires sont ceux de France Telecom (-90%) et Alcatel (leur compte en actions est passé de 17 338 euros en moyenne en fin 2000 à 885 euros fin 2002 : - 86 %).
Où en sont les fonds de pension à la française ?
En France, les fonds de pension, comme la Préfon ou encore le Cref, qui concernent les fonctionnaires, sont encore l’exception.
Mais la loi Fabius de l’automne 2000 a préparé leur développement, même s’il s’agit encore d’une capitalisation honteuse. Elle a mis en place des Plans partenariaux d’épargne salariale volontaire (PPESV). Abondées par l’employeur et placées sous la forme de titres financiers, actions ou obligations, les sommes « épargnées » par le salarié sont bloquées pour une durée qui va de 10 à 15 ans, et c’est ce délai qui rapproche ces plans d’une épargne pour la retraite par capitalisation. Pour transformer les PPESV en fonds de pension, il suffirait de les rendre obligatoires et de transformer en rente le capital de sortie, quand le salarié peut enfin débloquer son compte. Il s’agit en plus de la forme de fonds de pension la plus défavorable aux futurs retraités, car c’est un système à « cotisation définie » : le montant de la prestation, dépendant de la rentabilité des titres financiers, n’est pas garanti, et le risque boursier est donc intégralement supporté par le salarié !
Ces plans d’épargne salariale sont également exemptés de charges fiscales et sociales. Le rapport Foucauld-Balligand remis au gouvernement en 2000, relevait à propos des 7 milliards d’euros composant l’épargne salariale cette année-là, qu’un euro de cette épargne fait perdre 0,45 euros à la protection sociale et 0,12 euros au fisc. Du coup, le développement de l’épargne salariale aggravera les difficultés de financement des caisses de l’assurance vieillesse… ce qui donnera de nouveaux arguments aux défenseurs de la capitalisation pour dire que la répartition ne suffit plus !
B.R.
Mots-clés : Retraites