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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 27, mai-juin 2003

Le capitalisme américain : les bases de l’hégémonie

Croissance au ralenti, déficit commercial massif, endettement extérieur colossal, réapparition du déficit budgétaire, effondrement des marchés financiers : de multiples hypothèques semblent peser aujourd’hui sur l’économie américaine. Pourtant, de l’autre côté, son leadership ne paraît guère menacé : il ne faut sous-estimer ni la modernisation de l’appareil productif depuis les années 80, ni l’importance de la suprématie militaire réaffirmée à l’occasion de l’agression contre l’Irak.

La contre-offensive du capital

A la fin des années 60, les taux de profit avaient subi une sérieuse dégradation avec comme contrecoup un ralentissement marqué de l’accumulation du capital. Les classes possédantes se sont dès lors employées, avec un certain succès, à s’extirper de cette situation et à imposer un repartage radical des richesses.

La hausse brutale des taux d’intérêts imposée par la Federal Reserve (la banque centrale) en 1979 marque cette contre-offensive : les créanciers (via le système bancaire ou les marchés financiers) vont obtenir des niveaux de rémunération plus élevés. Parallèlement, à la faveur du chômage et des réductions d’effectifs, en premier lieu au sein des grands groupes industriels, le partage des revenus se modifie en faveur des entreprises et au détriment des salariés.

Non seulement les entreprises exploitent davantage leur main d’œuvre, mais elles reversent une part croissante de ce butin à leurs propriétaires et créanciers : en acquittant des taux d’intérêts faramineux (surtout au début des années 80) mais surtout en distribuant une part croissante de leurs profits sous forme de dividendes à leurs actionnaires (plus des deux tiers des profits des entreprises américaines sont affectés aux dividendes depuis le milieu des années 80, contre moins du tiers au milieu des années 70).

Les ordinateurs et le taux de profit

La « Nouvelle économie » dont les médias ont tant chanté les vertus pendant dix ans n’était évidemment pas la nouvelle ère de croissance harmonieuse et de prospérité générale qu’annonçaient les plus irréfléchis des chroniqueurs. Pourtant, il serait tout aussi faux de vouloir réduire cet épisode de renouveau technologique à un phénomène superficiel, un simple engouement spéculatif passager doublé d’un bluff idéologique.

Les nouvelles technologies ont considérablement bouleversé les façons de produire : automatisation, gestion informatisée des stocks, raccourcissements des délais par l’ajustement très rapide de la production à la demande, traitement accéléré de toutes les tâches d’administration. Certes, cette modernisation n’aurait eu qu’un impact limité sur la productivité du travail (mais il s’agit de chiffres statistiques recouvrant ou masquant une réalité complexe et qui demanderaient une critique détaillée). Elle a bien permis, en revanche, d’améliorer l’efficacité du capital existant. De 1950 à 1965, 1$ d’équipement permettait d’obtenir environ 1$ de produits par an, mais seulement 70 cents en 1982. Entre 82 et 97, ce rapport remonte à 90 cents pour 1$ de capital.

Les gains d’efficacité liés au nouvelles technologies ont eu leur part dans le rebond du taux moyen des profits qui en 2000 avait regagné plus de la moitié du terrain perdu depuis 1965. Le regain de l’investissement observé aux Etats-Unis après 1990, après le marasme des années 70-80, les taux de croissance moyens du PIB supérieurs à 2,5%, et dépassant 4% dans les dernières années de la décennie, sont à mettre en relation avec cette rentabilité accrue.

L’Etat américain a de la ressource

Les difficultés actuelles de l’économie américaine, dont l’aspect le plus spectaculaire est la dégringolade des marchés d’actions, demeure fondamentalement une classique crise de surproduction.

En réaction, l’administration Bush a mis en œuvre des mesures de soutien aux entreprises et au capital financier qui témoignent d’une marge de manœuvre bien supérieure à celle des Etats européens et du Japon : la Federal reserve a abaissé ses taux directeurs (le « loyer de l’argent ») de façon spectaculaire, permettant un accès plus facile au crédit tant pour les entreprises que pour les intervenants sur les marchés financiers, avec l’espoir de contribuer à ralentir la baisse des cours boursiers par l’injection d’argent frais. La suppression de l’impôt sur les dividendes agit dans le même sens. L’Etat fédéral, dont le budget était redevenu excédentaire, a pu consentir des baisses d’impôts pour les plus riches (plus de 700 milliards de dollars sur 10 ans) et des mesures de soutien aux entreprises de bien plus grande ampleur que celles de ses rivaux. En d’autres termes, par la baisse des taux et le déficit budgétaire, le gouvernement a massivement recours à ce qu’on appelait autrefois la « planche à billets ». Pourtant, cela ne se traduit pas pour l’instant par un retour de l’inflation, et la dépréciation du dollar sur les marchés des changes reste limitée.

Ce qui confère une telle liberté d’action aux dirigeants américains en matière économique ce n’est pas uniquement le statut privilégié du dollar. C’est aussi (mais c’est lié) l’attraction exercée sur les capitaux du reste du monde, de par les performances de l’économie réelle. Malgré la chute de Wall Street et celle du Nasdaq, les scandales de type Enron et les attentats du 11 septembre, les flux internationaux de capitaux paraissent toujours aimantés par la place financière américaine

L’évolution de la crise est aussi liée à l’issue de la guerre

En s’arrogeant un quasi-monopole sur les gisements irakiens, les Etats-Unis s’offrent la possibilité de stimuler leur machine économique par un pétrole bon marché chaque fois que le besoin s’en fera sentir, tout en ménageant les intérêts de leurs compagnies pétrolières. Dans cette éventualité, les seuls dindons de la farce seraient les compagnies rivales et les Etats producteurs. Quand aux petites compagnies américaines (notamment texanes), qui exploitent à grand frais le pétrole domestique, et ont besoin d’un pétrole cher pour survivre, elles pourront toujours être renflouées à coups de subventions.

Certains soulignent le coût élevé de la guerre et de l’occupation, chiffré en centaines de milliards de dollars. Mais les déficits publics ne sont pas un problème, en tout cas pour les détenteurs de titres du moment qu’ils ne sont pas générateurs d’inflation qui rognerait leurs revenus. Or rien ne dit qu’une telle inflation surviendra, surtout si le prix des produits pétroliers plonge.

Reste la crainte d’une érosion de la valeur du dollar en cas de déficits budgétaires excessifs. Mais dans un contexte de récession mondiale, où les marchés font l’objet d’une concurrence plus vive, la bourgeoisie peut se féliciter de voir le billet vert se déprécier dans certaines proportions, ce qui stimule les exportations, au détriment des concurrents.

Enfin, la victoire contre le régime de Saddam Hussein ouvre évidemment de nouveaux marchés, liés à la fois à la reconstruction de l’Irak et à la reconstitution des stocks militaires, comme après chaque grande campagne.

Toutes les hypothèques ne sont pas levées

Le capitalisme américain paraît aujourd’hui mieux placé que jamais pour faire payer la crise au reste du monde. Mais cela n’exclut pas qu’il soit demain en proie à de nouveaux soubresauts.

La croissance des années 90, tirée par la consommation, se solde par un niveau d’endettement très élevé des ménages mais aussi des entreprises. De plus, les bilans des sociétés américaines, qu’elles soient industrielles ou financières, sont remplies d’actions achetées en période d’euphorie et, aux cours actuels, fortement dépréciées : des pertes pour l’instant virtuelles mais qu’il faudra bien enregistrer un jour.

En levant une hypothèque qui semblait paralyser les affaires, la victoire en Irak va peut-être contribuer à enrayer la tendance baissière des marchés financiers : mais si ce n’était pas le cas des phénomènes comparables au krach des caisses d’épargne de 1989 sont envisageables, ou même une « spirale déflationniste » (effondrement simultané de la demande, des prix, de la production, de l’emploi, des recettes fiscales…) comme celle qui suivit le krach de 1929. Ou, plus simplement, une déflation rampante comme celle que connaît le Japon depuis plus de 10 ans.

Enfin, l’antagonisme entre les grands pôles impérialistes, toujours latent mais un peu exacerbé par la guerre en Irak, pourraient se traduire par un certain degré de régionalisation de l’économie mondiale : les Etats-Unis dont la suprématie est tributaire de l’afflux permanent des capitaux internationaux, pourraient à terme en pâtir.

Julien FORGEAT


La guerre, le pétrole et les profits

Avec la guerre en Irak, le prix du pétrole a eu tendance à s’envoler, flirtant avec les 40$ le baril. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, la décrue est amorcée, et à terme le baril pourrait très bien redescendre durablement en deçà des 20$, voire aux alentours de 10$. Certes, dans le passé, l’effondrement des prix du pétrole n’était pas un objectif de la politique américaine qui devait arbitrer entre des intérêts divergents et veiller à ne pas léser les intérêts des compagnies pétrolières. Mais aujourd’hui, si les majors américaines parviennent à obtenir la mainmise sur les réserves irakiennes (par la privatisation ou d’autres moyens plus indirects), elles contrôleront un potentiel de production qui équilibrera à terme celui de l’Arabie Saoudite. Les coûts de production du pétrole irakien étant nettement inférieurs à la moyenne (1$ le baril contre 3$ en Arabie Saoudite et jusqu’à 15 ou 16$ dans certaines zones), la rentabilité des compagnies américaines serait assurée à tel point qu’elles seraient en position d’autoriser le gouvernement fantoche pro-américain installé à Bagdad à faire chuter le prix du baril. Une telle menace suffirait pour dicter aux autres Etats producteurs et aux compagnies concurrentes un prix conforme en permanence aux intérêts américains.

Et un pétrole bon marché accroît les marges bénéficiaires et donc la rentabilité du capital. La baisse du prix réduirait également le déficit commercial américain. Enfin, elle éloignerait le risque d’inflation, ce qui autoriserait un retour accru à la « planche à billet » pour soutenir les entreprises en difficulté.


Bonds et rebonds de la productivité

Il y a 15 ans, le prix Nobel d’économie R. Solow, que personne ne suspecte de vouloir diminuer les mérites du capitalisme, constatait que « les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques de la productivité ». En effet, alors même que les Etats-Unis étaient au cœur d’une impressionnante vague d’innovations technologiques, les gains de productivité du travail (la quantité produite par heure travaillée) étaient devenus, eux, deux fois plus lents environ que dans les années 50 et 60. Ce « paradoxe de Solow » formulé en 1987 a cependant été en partie démenti par la suite : les gains de productivité du travail ont quand-même fini par accélérer, surtout à la fin des années 90 (voir graphique).

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