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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 38, mars-avril 2005

Journaux à l’encan : sous presse... ou sous pression ?

Mis en ligne le 7 mars 2005 Convergences Société

La presse serait menacée. La faute aux lecteurs, bien sûr. Ne lisent-ils pas de moins en moins les journaux ? Ne vont-ils pas jusqu’à préférer les quotidiens gratuits, aux « vrais » journaux ? Si la presse est menacée, faute en est aux irresponsables qui se désintéressent de l’information comme de la politique. Les journaux ont donc dû réagir, pour éviter l’asphyxie économique à laquelle les méchantes gens les ont contraints. Heureusement, il est des bienfaiteurs qui aiment la presse, la politique et... la liberté d’expression !

Une presse de plus en plus indépendante... de ses lecteurs

Des remaniements de taille dans le monde de la presse ont eu cours en 2004. Le journal anciennement maoïste (il y a déjà si longtemps) Libération s’est offert à Édouard Rothschild. Cet héritier, rentier, patron d’écuries de chevaux de course, s’est donc trouvé un nouveau poulain : une prise de 37 % du capital du quotidien. Cet homme providentiel est si soucieux de la liberté d’expression qu’il s’est engagé à maintenir la minorité de blocage de la Société civile des personnels du journal. Libération reste donc indépendant ? Le quotidien n’hésitera sûrement pas à dénoncer Rothschild, ou les amis de celui-ci, dans ses colonnes si l’occasion devait se présenter ? À moins, bien sûr que ce dernier menace de retirer ses capitaux... et de faire couler le journal.

Le Monde, ce journal connu pour son indépendance [1], après avoir fusionné avec les Publications de la Vie catholique - indépendantes de tous sauf du bon Dieu - a annoncé 54 millions de déficit, une dette de 130 millions et la suppression de 90 emplois. Dieu le père, aux abonnés absents quand il s’agit de verser des sous de sa poche, a été remplacé dans le rôle du bienfaiteur par Lagardère. Celui-ci entrera prochainement dans le capital du quotidien, à hauteur de 15 %. Le saint homme, via le groupe Hachette, n’a la main que sur 47 magazines, quelques quotidiens (dont La Provence, Nice-Matin, Corse-Presse) et le premier réseau de kiosques à journaux. C’est dire combien il est friand d’informations !

Mais Rothschild et Lagardère ont un concurrent puissant : Serge Dassault. Ce fabricant de Jets privés pour le gratin et d’avions de combats, affirme depuis longtemps son rêve d’un « journal libéral » en France. Enfin, « un journal qui permettrait de faire passer un certain nombre d’idées saines ». Au moins avec lui, il n’y a pas de fausse pudeur : prendre des parts dans la presse, permet de faire passer ses idées, c’est-à-dire ses intérêts. En juin dernier, il a racheté le groupe Socpresse qui possède plus de 70 journaux, dont Le Figaro, l’Express, l’Expansion et de très nombreux journaux régionaux. Aux rédacteurs du Figaro il a tenu à préciser : « Je souhaiterais, dans la mesure du possible, que le journal mette plus en valeur nos entreprises. J’estime qu’il y a quelques fois des informations qui font plus de mal que de bien. Le risque étant de mettre en péril des intérêts commerciaux ou industriels de notre pays ». Le Canard enchaîné a relevé que pour défendre « notre pays », il a déjà censuré une interview sur la vente frauduleuse d’avions Mirage à Taïwan, et une information sur des conversations entre Chirac et le président Bouteflika en vue de vente d’avions Rafale. Que les Mirages et les Rafales soient des produits de Dassault Aviation, n’est là qu’une coïncidence fortuite. Y voir plus est la preuve qu’il est décidemment nécessaire que quelqu’un s’attelle à nous mettre des « idées saines » dans la tête.

Fini l’âge d’or de la presse libre ?

2004 a donc été une année fructueuse pour les grands patrons avides de s’offrir des journaux. Le fait notable, c’est que la concentration de la presse aux mains de grands groupes capitalistes s’est renforcée ces dernières années (même L’Humanité a une partie de son capital aux mains de Lagardère). Dassault, Lagardère, Bouygues, Pinault, Arnault, Bolloré, Bertelsmann contrôlent l’information plus encore qu’avant. En France, cela frise la caricature : l’essentiel de la presse écrite est aux mains de deux marchands d’armes. Imaginons donc l’objectivité des informations qui nous viennent de ce secteur.

De toute évidence, ce que les journaux ont réussi à préserver en faisant appel à des « bienfaiteurs », n’est pas la liberté d’expression, ni leur indépendance. D’ailleurs était-il besoin de cela pour savoir que la presse était aux ordres de ceux qui tiennent les cordons de sa bourse, patrons et gouvernement confondus ? Récemment encore, Canal + allait rediffuser un documentaire sur la manifestation d’Abidjan où l’armée française a fait entre 50 et 64 morts (le fameux manque d’informations...) et le programme a été retiré à la dernière minute sur ordre du ministère. Quand l’information pose problème, le plus simple encore est de la supprimer !

La presse n’était certes pas plus indépendante avant. Est-il besoin de rappeler la guerre d’Algérie ou plus récemment le génocide rwandais pour dire que quand une information est jugée néfaste en haut lieu, il existe mille moyens de « déformer l’information » ? Mais la concentration des groupes de presse ne fait que renforcer ce phénomène.

Autant dire que tant que les grands médias, télés, radios, quotidiens n’auront pas été enlevés aux capitalistes qui les détiennent et mis sous un vrai contrôle du public, il vaudra mieux se méfier de leurs informations... et tenter de les recouper par celles d’une presse moins voyante, connue ou diffusée mais plus critique parce que non inféodée. Elle existe quand même aussi, celle publiée par les organisations révolutionnaires par exemple !

Clara SOLDINI


Quand Libé était en embuscade

Ci-dessous quelques extraits de la profession de foi fondatrice de Libération. C’était il y a trente ans quand le quotidien portait en sous-titre : « l’information vient du peuple et retourne au peuple ».

« Il est temps que paraisse un quotidien démocratique. Il est temps que les grèves ouvrières, les souffrances, les choses de la vie ne soient pas bafouées et manipulées par ces hommes de pouvoir, d’autant plus puissants qu’ils sont cachés : les magnats de la presse quotidienne.

Il est temps de défendre l’opinion populaire pied à pied, jour après jour, contre l’opinion publique fabriquée dans les couloirs des ministères, dans les dîners en ville, quand ce n’est pas tout simplement dans les locaux de la police (...). La majorité des rédacteurs de la presse quotidienne reçoit servilement les directives fabriquées dans les grands restaurants où se rencontrent les faiseurs de la politique officielle. Le journaliste de Libération s’informe dans les cités ouvrières, les quartiers populaires, les villages (...). Libération sera comme une embuscade dans la jungle de l’information ».

Ah, les dîners en ville... Serge July aurait dû en rester au McDo ou aux bistrots populaires.

C.S.


[1Voir Le Monde, un contre-pouvoir ? de Jean-Paul Gouteux qui examine la manière dont le quotidien a travaillé au côté de la DGSE au moment du génocide rwandais, afin de masquer systématiquement les implications de l’Etat français dans le massacre des Tutsis. Le journal a porté plainte pour diffamation, et au vu du dossier dont disposait effectivement J.P Gouteux, a préféré étouffer l’affaire en... supprimant sa plainte.

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