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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 38, mars-avril 2005 > DOSSIER : Amérique du Sud : une nouvelle gauche… contre les travailleurs

DOSSIER : Amérique du Sud : une nouvelle gauche… contre les travailleurs

Bolivie : quand l’eau et le gaz provoquent la révolte

Mis en ligne le 10 mars 2005 Convergences Monde

En octobre 2003, la révolte de la population bolivienne a fait tomber le gouvernement du président Sanchez de Lozada. Il laissait la place à son vice-président Carlos Mesa. C’était suffisant pour que ce dernier reçoive l’« appui critique » des dirigeants des forces d’opposition, le MAS (Mouvement vers le Socialisme) d’Evo Morales, la COB (Centrale ouvrière bolivienne) principale centrale syndicale et le MIP (Mouvement indigène Pachakuti) dont l’un des dirigeants Felipe Quispe dirige aussi la Confédération syndicale unique des travailleurs paysans (CSUTCB). Mais les luttes des ouvriers et paysans pauvres n’en continuent pas moins.

Un pays riche de ressources et de révoltes

La Bolivie est l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud. Mais elle est riche en matières premières, l’argent, l’étain que les pays impérialistes pillent depuis des siècles, et aujourd’hui le gaz naturel. C’est aussi un pays riche en luttes, où paysans et ouvriers se sont plus d’une fois révoltés. En 1952 notamment où grèves de mineurs et émeutes avaient renversé le gouvernement et imposé la nationalisation des mines d’étain.

Depuis 1985, les principaux secteurs d’État ont été privatisés : les chemins de fer, les compagnies aériennes, les mines, l’électricité, le téléphone, et même l’eau. Pour les plus grands profits des multinationales américaines ou européennes. Ces privatisations ont entraîné de nombreux licenciements. Sur les 30 000 employés de la COMIBOL, la compagnie minière, 23 000 ont perdu leur emploi. Ces anciens mineurs n’ont souvent pas eu d’autre possibilité pour survivre que de rejoindre la cohorte des cultivateurs de coca.

Quand l’eau met le feu aux poudres...

La privatisation de l’eau a entraîné la hausse de son prix, catastrophique dans un pays où sept personnes sur dix vivent au-dessous du seuil de pauvreté. En 2000, dans la ville de Cochabamba, a éclaté la première « guerre de l’eau ». La population, regroupée en Coordination de d’eau, s’est mobilisée pour réclamer la dé-privatisation et le départ de l’entreprise Aguas del Tunari, filiale du groupe américain Bechtel. Le gouvernement a envoyé l’armée. Mais, devant la détermination des habitants, il a dû céder et rompre le contrat avec Bechtel, qui lui réclame maintenant d’exorbitantes indemnités.

Dans la région de La Paz, c’est le consortium français Aguas del Illimani (alias Suez-Lyonnaise des eaux) qui a repris la distribution de l’eau. Les prix ont été multipliés par six. Les compteurs n’étant plus relevés, suite aux licenciements massifs de personnel, la compagnie a exigé le règlement d’une facture forfaitaire tous les mois, quelle que soit la consommation, et le paiement au comptant de près de 1 100 bolivianos pour se faire installer l’eau, au lieu de 730 bolivianos étalés sur cinq ans avant la privatisation. (Un ouvrier gagne en moyenne 1 800 bolivianos par mois). Depuis novembre 2004, la population de La Paz se mobilise à son tour pour demander des comptes à la compagnie et au gouvernement.

... et quand il y a de l’eau dans le gaz

Mais c’est surtout autour de la question du gaz que le mécontentement s’est cristallisé au cours de l’année 2003. Le pays était agité par les marches et blocages de routes de paysans cocaleros (cultivateurs de coca) protestant contre les campagnes d’éradication menées par le gouvernement. En février, sur conseil du FMI, ce dernier créait un impôt supplémentaire. Cette fois, la police de La Paz, elle-même, se soulevait, entraînant lycéens, ouvriers, et chômeurs ! Le palais présidentiel était mis à sac, les membres du gouvernement introuvables... L’armée, chargée de la répression, faisait 33 morts et plus de 200 blessés. Mais l’impôt était retiré.

Quand il a été question, en septembre, de vendre le gaz naturel à la firme transnationale Pacific LNG, les milliers de paysans de l’Altiplano qui marchaient encore sur La Paz pour défendre les cultures de coca y rajoutèrent la revendication de non vente du gaz. Reprise à travers tout le pays. Le 19 septembre, la centrale syndicale COB, ainsi que le leader des cocaleros, Evo Morales, lançaient un appel à une mobilisation nationale. Le 8 octobre, la COB appelait à une grève générale illimitée. Les marches de paysans et mineurs convergeaient vers la capitale en réclamant désormais la démission du président, Sanchez de Lozada. Les 16 et 17 octobre, plus de 200 000 personnes, mineurs armés de bâtons de dynamite et paysans manifestaient à La Paz et faisaient le siège du palais gouvernemental. Le président fit sa valise pour Miami.

Les leçons oubliées de la « révolution bolivienne » de 1952

Une telle combativité ne s’était pas revue depuis les révoltes ouvrières de 1949 et 1950 et le soulèvement armé d’avril 1952 où des milices de mineurs, appuyées par des paysans en armes, renversaient le gouvernement. Mais déjà à l’époque, la COB, dont le fer de lance était les ouvriers des mines, s’était contentée de l’arrivée au pouvoir du chef du Mouvement national révolutionnaire (MNR), l’avocat Victor Paz Estenssoro, dont l’armée avait jusque-là empêché l’élection pour arrêter le mouvement. Paz Estenssoro se voulait défenseur des intérêts de la bourgeoisie nationale contre les intérêts étrangers. Le fondateur de la COB, le syndicaliste Juan Lechin, devenait ministre des Mines et du Pétrole avant de se retrouver, de 1960 à 1964, vice-président de la République.

Dès 1953, le gouvernement Paz Estenssoro renouait avec les USA et cédait aux trusts de l’étain. En 1955, il favorisait l’implantation en Bolivie de la Gulf Oil Company. En 1964, à l’époque où l’impérialisme était partout contesté dans le tiers monde, face à une remonté de la contestation sociale, l’armée prenait les rênes du pouvoir.

Quelles directions pour ces luttes ?

Avec le renversement, en octobre 2003, du président Sanchez de Lozada, l’histoire semble se répéter, tout au moins en ce qui concerne les trahisons des leaders du mouvement. Il a suffi à Carlos Mesa, pour obtenir leur aval, de promettre un référendum sur la question du gaz et la prochaine réunion d’une Assemblée constituante qui représenterait mieux les Indiens Aymaras et Quechuas. Il a aussi promis d’augmenter jusqu’à 50 % les royalties imposées aux sociétés étrangères, de relancer la compagnie publique d’exploitation des hydrocarbures. Mais cela ne l’empêche pas d’annoncer d’ores et déjà que remettre en cause les contrats déjà signés avec les multinationales n’est pas envisageable.

Le leader de la COB, Jaime Solares a prôné une trêve, pour voir ce qu’allait faire Mesa. Evo Morales, le dirigeant des luttes des cocaleros et du MAS a appelé à la modération du mouvement et apporte son soutien critique au gouvernement. Arrivé en seconde position aux élections présidentielles de juin 2002 avec 20,9 % des suffrages, il se voit déjà futur vainqueur de l’élection présidentielle prévue pour 2007. Son parti vient d’ailleurs d’avoir un nouveau succès aux élections municipales de décembre 2004.

Quant à Felipe Quispe, ancien guérillero, dirigeant du MIP, qui a aussi joué un rôle important dans les luttes de 2003 en organisant la marche, puis la grève de la faim, de milliers de paysans aymaras, il ne parle que d’une « opposition vigilante ». Les «  majorités nationales, et avant tout indigènes » dont il se veut le défenseur (les Indiens aymaras, quechuas ainsi que les Guaranis, paysans très pauvres du Sud du pays, représentent plus de 60 % de la population) n’ont, dit-il, « assisté qu’à un changement de personnes ». Mais pour lui, Mesa doit encore choisir : être un dirigeant qui défend les intérêts nationaux, donc un ami, ou être l’ami des gringos.

En mettant en avant les différentes identités, paysannes et indiennes, les courants politiques communautaires ont favorisé le développement de mouvements locaux, au lieu de pousser à l’unification des luttes.

Un parti défendant des perspectives révolutionnaires devrait au contraire pousser à dépasser les particularismes pour donner aux luttes actuelles l’unité politique révolutionnaire d’une lutte de classe.

Lydie GRIMAL

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