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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 34, juillet-août 2004

Irak : le blanc-seing de Chirac à Bush

Mis en ligne le 22 juin 2004 Convergences Monde

Le 30 juin, avec la mise en place d’un Gouvernement provisoire irakien, remplaçant le Conseil intérimaire de gouvernement, l’Irak « prendra à nouveau pleine possession de sa souveraineté » et « l‘occupation prendra fin ». Ce n’est pas seulement Bush qui le dit, c’est la « communauté internationale » par la résolution 1546 de son instance suprême, le Conseil de sécurité de l’Onu. A l’unanimité, la France en tête.

De quoi soulager Bush, empêtré dans les révélations des tortures en Irak (Les gouvernements français au temps de la torture en Algérie se contentaient de censurer la presse. C’était plus simple.).

Mais pas de quoi soulager d’un iota la population irakienne, ni même sortir l’armée américaine et les troupes de ses alliés du bourbier dans lequel elles sont enfoncées.

Le gouvernement provisoire, feuille de vigne de l’occupation militaire

Il y a déjà plus d’un an, en mai 2003, que la « fin de la guerre » a été officiellement proclamée par Bush. Les bombardements massifs des premiers jours (fin mars-début avril 2003), les combats pour l’occupation de Bassora, puis de Bagdad étaient terminés. Face à la décomposition de l’armée de Saddam Hussein, les troupes de la coalition s’en étaient tirées à bon compte. Mais jamais la guerre d’Irak n’a été aussi meurtrière pour elles que depuis sa fin officielle. Même si le nombre de morts dans les rangs des troupes de la coalition, des notables irakiens qui se sont ralliés au pouvoir d’occupation ou de la nouvelle police irakienne mise en place sous son égide reste sans commune mesure avec les morts que font dans la population irakienne les opérations de représailles et de ratissage de l’armée américaine.

Le retour à la « souveraineté » proclamé pour aujourd’hui est un mensonge de la même eau.

Le nouveau gouvernement provisoire que les autorités d’occupation vont introniser, chargé d’assurer l’intérim jusqu’à de futures élections en 2005 (sous contrôle militaire américain !), ressemble comme un clone au Conseil intérimaire qu’il remplace. A quelques membres près : l’ancien président du Conseil intérimaire, Ezzedine Salim, tué le 17 mai dernier dans un attentat, ou Ahmed Chalabi, homme d’affaires véreux revenu dans les fourgons de l’armée américaine et dégommé par les USA après un an de service, sous prétexte... de corruption.

Ses prérogatives, comme celles du premier ministre désigné, Iyad Allaoui, depuis de longues années étroitement lié à la CIA, ne seront pas beaucoup plus grandes que celles de son prédécesseur. Les autorités d’occupation se réservent l’essentiel : le contrôle sur toutes les forces militaires, non seulement les troupes de la coalition mais aussi la police ou l’armée irakienne reconstituées. Sans parler du contrôle des finances du pays au nom des prêts à la reconstruction et des dettes à rembourser directement sur les recettes pétrolières ou celui des champs pétroliers et des chantiers de reconstruction, déjà offerts aux trusts américains ou britanniques.

Le ralliement de Chirac

Ce simple changement de façade a suffi pour rallier Chirac à la cause de Bush ? Rien d’étonnant. Sa réticence n’était pas de principe. Le gouvernement français avait même, dans un premier temps, en décembre 2002, envisagé l’envoi d’un contingent aux côtés des forces anglo-américaines, avant de choisir de s’en abstenir. Et, le jour du déclenchement de la guerre, Chirac souhaitait aux USA une prompte victoire (souhait partagé par les leaders du PS). Il rajoutait seulement que les Etats-Unis finiraient bien par avoir besoin de la couverture de l’Onu, donc un peu besoin de lui. Il lui serait alors temps de jouer.

Car ce dont Chirac comme Schröder ne voulaient surtout pas, c’était que les Etats-Unis soufflent aux autres grandes puissances (sauf à l’Angleterre dont les intérêts sont étroitement liés aux USA) toute participation au contrôle des richesses du Moyen-Orient et aux contrats d’affaires. Les mêmes raisons le poussent aujourd’hui, face aux difficultés que rencontrent les Etats-Unis en Irak, à soutenir ceux-ci plus ouvertement, question d’avancer ses pions et ménager quelques places pour les trusts français en Irak.

Le soutien ostensible de Chirac à Bush sent le marchandage. Tout comme, de l’autre côté, l’appel du pied du ministre des finances du futur gouvernement provisoire irakien, invitant Chirac à annuler (comme le demandent les USA à la France) la dette de l’Irak avec l’argument que son futur ministère aura barre sur les milliards d’aides accordés au pays pour sa reconstruction, et que « ce sera la compensation française, le retour de ses entreprises et investisseurs ».

C’est cela que le gouvernement français salue par la formule de « retour au droit international ».

Foreign affairs and Bagdad traffics

On n’en est pas encore là. Jusqu’à aujourd’hui, peu partageux, les USA et leurs alliés britanniques ont, depuis leur arrivée en Irak, partagé entre leurs propres trusts le contrôle et la remise en route des exploitations pétrolières, les marchés de la reconstruction, sans parler du marché de l’armement et de l’entretien des troupes, évidemment.

Et tout est source à profits dans la guerre, jusqu’aux activités de police, aux camps de prisonniers, aux interrogatoires et aux tortures, en partie sous-traités à des officines et compagnies privées.

Ces compagnies privées ont aujourd’hui plus de 20 000 hommes en Irak (certains journaux parlent de 45 000) : la société CACI-International, qui a son siège en Virginie, spécialiste en opérations militaires et renseignements, opérant notamment au camp d’Abou Chraib, a participé aux interrogatoires et aux tortures. Les « traducteurs » de la société Titan, une société en passe d’être rachetée par le trust de l’armement et de l’aviation Lockheed Martin, également. La société britannique DSL (Defense Systems Limited), créée par un ancien officier des SAS, a décroché un contrat de 100 millions de dollars pour embaucher 14 000 mercenaires irakiens ou étrangers chargés de surveiller des champs de pétrole. C’est une de ses spécialités, forgée déjà dans la lutte contre la guérilla colombienne pour le compte de la British Petroleum. La société américaine Dyncrop-International, elle, a embauché des Kurdes pour opérer contrôles et barrages musclés à Bagdad. Le responsable kurde de la sécurité des champs pétroliers de Kirkouk, qui vient d’être assassiné, n’était que le lien entre la compagnie pétrolière et la société de sécurité américaine Erinys, chargée de cette sécurité.

Quoi d’étonnant alors que, dans cette guerre où, à l’ombre des armées, milices privées et grands trusts mènent leurs barques, ce soient quatre mercenaires d’une des multiples compagnies privées américaines qui aient été pris et brûlés vifs à Fallouja le 4 avril, avant que les Etats-Unis ne déclenchent une vaste opération de représailles ? Quoi d’étonnant que l’otage américain exécuté le 18 juin dernier en Arabie Saoudite par un groupe se réclamant d’Al-Qaida soit un spécialiste en hélicoptères militaires du groupe Lockheed Martin ?

Grand Moyen-Orient ou grand bourbier ?

Cette guerre pourrissante d’Irak a ses répercutions dans toute la région. En Palestine, bien sûr, où le gouvernement israélien se sent les coudées franches pour intensifier sa guerre à la population palestinienne. Dans les pays voisins de l’Irak, Iran et Turquie. Mais aussi, aujourd’hui, chez l’autre grand voisin, l’Arabie Saoudite, principale puissance pétrolière de la région, étroitement liée aux trusts pétroliers américains, où travaillent pour ses compagnies pétrolières quelques 30 000 américains et quelques milliers d’autres occidentaux (dont 5 000 français). Mais dont le régime, divisé par les rivalités des grandes familles et ébranlé par le développement des groupes intégristes, n’est plus l’allié sûr et stable qu’il était jadis pour les Etats-Unis et les autres puissances impérialistes.

Ce royaume qui avait servi de base militaire à l’armada impérialiste déployée en 1991 lors de la première guerre d’Irak, celle du père Bush (et de Mitterrand), vient de connaître une série d’attentats et de prises d’otages dont la plus sanglante, au complexe pétrolier d’Al-Kobar les 29 et 30 mai, s’est soldée par 22 morts. Essentiellement des étrangers, Américains, Britanniques et Suédois d’un côté, immigrés indiens, philippins ou égyptiens de l’autre, à l’image de cet encadrement et cette main-d’œuvre que font venir dans le pays le royaume et les compagnies pétrolières.

C’est la vraie face de ce « grand Moyen-Orient » pour lequel Bush, après quelques corrections de formulation, a fait approuver son projet par ses collègues du G8. De ce prétendu plan de réformes économiques et démocratiques que devraient promouvoir les grandes puissances, de la Mauritanie jusqu’au Pakistan, on voit la réalité concrète : la « démocratisation » de l’Afghanistan et de l’Irak sous la botte des armées. Le succès de la « feuille de route » pour la Palestine sous la botte de Sharon. La misère et l’instabilité grandissantes dans toute la région sous la botte des impérialismes.

Et nos démocrates, de Chirac aux dirigeants socialistes, qui reprochaient à Bush sa guerre unilatérale en Irak, seront peut-être demain les chauds partisans, au nom de la paix et de la démocratie, de faire épauler ou remplacer l’armée américaine par des casques bleus.

20 juin 2004, Olivier BELIN

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