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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 142, décembre 2021 > Argentine

Argentine

Élections législatives en Argentine : défaite du péronisme et percée de l’extrême gauche

Mis en ligne le 5 décembre 2021 Convergences

(Ci-dessous, la version parue dans Convergences révolutionnaires no 142. Une version plus longue est disponible sur notre site)

Le 14 novembre ont eu lieu en Argentine les élections législatives pour renouveler la moitié de la Chambre des députés, les sénateurs d’un tiers des provinces, la moitié des législateurs provinciaux (dans la moitié des provinces) ainsi que les conseillers municipaux de nombreuses communes à travers le pays, notamment les 135 municipalités de la province de Buenos Aires.

Retour sur quelques éléments saillants d’une élection marquée par la défaite de la coalition au pouvoir et une colère populaire qui s’est incarnée en partie dans les listes menées par l’extrême gauche trotskiste, qui réalise une percée importante.

Une claque qui vient sanctionner la politique d’ajustement du gouvernement

La coalition gouvernementale de « centre gauche », péroniste [1] (Frente de Todos, le « Front de tous ») subit une large défaite à l’échelle nationale, en ne recueillant que 33,83 % des suffrages. Elle recule à la Chambre des députés mais s’y maintient comme première minorité, tandis qu’elle perd, pour la première fois depuis la fin de la dictature en 1983, sa majorité au Sénat.

La coalition de droite, Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement [2]), bénéficie largement de l’effondrement des péronistes (avec un écart de plus de huit points), mais n’atteint cependant pas son niveau de 2019 et encore moins celui de 2015 en nombre de voix.

Ces résultats sont une véritable claque pour la coalition au pouvoir et ne peuvent qu’annoncer une crise gouvernementale majeure.

La défaite était déjà annoncée [3]. Les mauvais résultats des PASO (Primaires ouvertes, simultanées et obligatoires), couplés à une abstention importante (66 % de participation, alors que le vote est en principe obligatoire) en particulier dans des milieux populaires qui votaient habituellement pour les candidats péronistes, venaient déjà sanctionner une politique d’ajustement budgétaire aux conséquences catastrophiques pour la population, qui subit de plein fouet l’augmentation de la pauvreté (40 % de pauvres, 70 % des enfants en situation de pauvreté dans le Grand Buenos Aires) et une inflation galopante (51 % sur l’année) que les salaires ne rattrapent pas. Sanction aussi de la gestion gouvernementale de la pandémie qui a fait 116 000 morts en Argentine et précipité dans la misère les millions de personnes vivant de l’économie informelle, tandis que le président Fernández se faisait attraper à organiser des fêtes d’anniversaire dans la résidence présidentielle, en plein confinement.

La campagne dynamique de l’extrême gauche en direction des travailleurs et des secteurs populaires

La bonne nouvelle de ces élections vient évidemment des résultats importants et sans précédent de l’extrême gauche révolutionnaire. Avec 6,16 % à l’échelle nationale, mais surtout 1,4 million de votes (dont plus d’un demi-million pour la province de Buenos Aires), le Front de gauche et des travailleurs - Unité [4] (FIT-U) s’impose comme la troisième force politique [5].

Il obtient ainsi quatre députés au Congrès, renouvelant non seulement les deux sièges obtenus en 2017 pour la province de Buenos Aires, mais obtenant pour la première fois un siège pour la ville autonome de Buenos Aires, ainsi qu’un siège pour la province de Jujuy.

Les révolutionnaires obtiennent également des législateurs provinciaux pour la ville et pour la province de Buenos Aires. Autant d’élus qui laisseront leurs places à d’autres en cours de mandat, selon un système complexe de rotation établi au sein du FIT-U pour respecter un certain équilibre entre ses différentes composantes.

Fait notoire de ces élections à plus petite échelle mais non moins significatif : pour la première fois, le FIT-U fait entrer une dizaine de conseillers municipaux dans plusieurs villes ouvrières du Grand Buenos Aires, fiefs du péronisme, ainsi qu’à Coronel Pringles dans le sud de la province de Buenos Aires. Un petit exploit, alors que les seuils d’entrée dans ces conseils municipaux se situent autour de 8 ou 9 %, qui exprime un travail patient d’implantation, notamment de la part du Parti ouvrier par le biais de son intervention dans les secteurs précarisés et privés d’emploi.

Les résultats de l’extrême gauche, particulièrement saillants dans les quartiers populaires et ouvriers, montrent que le FIT-U a su capter une partie de la colère populaire par les perspectives qu’il a mises en avant : l’augmentation générale des salaires et des pensions, la répartition du travail entre tous, le refus de la politique d’ajustement et de l’accord avec le FMI, le non-paiement de la dette, etc. Les révolutionnaires ont ainsi capté une partie du vote habituellement acquis au péronisme, sur la base d’un mécontentement important dans la population.

Ce n’est pas la première fois que l’extrême gauche argentine obtient des députés à l’échelle nationale et provinciale, qui tâchent d’être une tribune pour porter les revendications des travailleurs et appuyer les luttes à l’intérieur des institutions. Mais le résultat de ces élections, avec une progression au Congrès et cet ancrage nouveau dans la banlieue ouvrière de Buenos Aires, sur le terrain même du péronisme, peut marquer un saut qualitatif… et pose évidemment de nouveaux défis en termes d’implantation, de structuration et de formation, qui plus est dans le contexte d’instabilité politique qui pourrait bien s’ouvrir.

L’extrême droite à la sauce Trump et Bolsonaro progresse

Si la percée des révolutionnaires s’est faite en partie au détriment des partis traditionnels de gouvernement, il est un autre secteur qui se démarque dans ces élections : une extrême droite ultra-libérale ou « libertarienne », incarnée, notamment, dans la capitale, par le sulfureux Javier Milei (17,04 % – deux députés et cinq législateurs) et dans la province de Buenos Aires par José Luis Espert (7,51 % – trois députés et trois législateurs), où elle se place comme troisième force politique à l’échelle régionale après une campagne menée essentiellement sur les réseaux sociaux et dans les médias.

Surfant sur un certain rejet du système politique et du gouvernement, Javier Milei a réussi à canaliser, à droite, une partie du mécontentement en se présentant contre la « caste politique », et en prônant la « liberté » (à l’instar d’autres courants de droite et d’extrême droite en ces temps de pandémie). Dans ses meetings et parmi ses soutiens, on trouvait également un grand nombre d’admirateurs de Trump ou de Bolsonaro, mais aussi des militaires.

José Luis Espert a lui aussi passé toute la campagne à essayer de faire passer pour « anti-système » les vieilles recettes libérales : réformer le Code du travail, limiter le droit de grève, supprimer les aides sociales et baisser les impôts, liquider le statut des enseignants, etc.

L’influence croissante de cette frange libérale réactionnaire n’est certainement pas une bonne nouvelle pour la classe ouvrière argentine. Le phénomène semble pour l’instant circonscrit à Buenos Aires et sa province, mais l’entrée de Milei et Espert au Congrès pourrait bien leur donner une tribune plus importante. Et s’ils passent leur temps à dénoncer « la caste », ils prennent soin d’en exclure les figures de l’opposition de droite, tels Mauricio Macri ou Patricia Bullrich, avec qui ils espèrent bien nouer quelques alliances à l’avenir.

Un avenir incertain

Le soir même des élections, le président Alberto Fernández a tenu à annoncer la couleur pour la suite de son mandat : on ne change rien ! Au contraire, il annonce la présentation prochaine au Congrès d’un « programme économique pluriannuel » dans le cadre des négociations avec le FMI, en appelant au « patriotisme » de l’opposition de droite pour le soutenir dans cette étape. Depuis début 2020, ce sont 12,4 milliards de dollars qui sont partis pour rembourser les intérêts d’une dette qui ne cesse d’augmenter, plaçant le pays dans une situation de banqueroute et dans un cercle vicieux d’endettement.

Les péronistes au pouvoir s’appuient sur les appareils syndicaux bureaucratiques pour faire accepter à la population et aux travailleurs les mesures d’ajustement nécessaires pour continuer à payer la dette. Ainsi mercredi 17 novembre [6] les dirigeants de la CGT argentine appellent-ils leur base à descendre dans la rue pour soutenir le gouvernement.

Au sortir des élections, le panorama est incertain, avec un gouvernement qui dépend des faveurs de l’opposition pour mener à bien les négociations qu’il souhaite avec le FMI, le tout dans un contexte de crise économique et sur fond de situation sociale critique. Reste à savoir à quel point la défaite électorale des péronistes affectera aussi sa capacité à imposer ou non ses attaques anti-ouvrières destinées à financer la dette et les capitalistes. Vingt ans après l’Argentinazo l’explosion populaire de 2001 qui avait fait démissionner le président et trembler la bourgeoisie, les raisons ne manquent pas pour que s’exprime à nouveau la profonde colère des classes exploitées.

15 novembre 2021, Sabine Beltrand


[1De Juan Domingo Perón, qui fut Président de juin 1946 à septembre 1955, puis d’octobre 1973 à juillet 1974 après une période d’exil. Courant nationaliste bourgeois avec un ancrage populaire important, notamment par le biais syndical.

[2La coalition Juntos por el Cambio réunit plusieurs tendances plus ou moins libérales ou conservatrices, nationalistes, mais aussi des secteurs issus du radicalisme, de la démocratie chrétienne, du péronisme et de la social-démocratie.

[3Voir l’article sur le site de Convergences révolutionnaires du 19 septembre 2021, intitulé Les élections en Argentine ouvrent une crise politique gouvernementale et de nouveaux défis pour les révolutionnaires.

[4Le Front de gauche et des travailleurs (FIT-U) regroupe depuis 2010 trois, puis quatre organisations trotskistes : le Parti des travailleurs socialistes (PTS, lié au Courant communiste révolutionnaire-Révolution permanente en France), le Parti ouvrier (PO), la Gauche socialiste (IS) et le Mouvement socialiste des travailleurs (MST).

[56,83 % dans la province de Buenos Aires, de loin la plus peuplée ; 7,77 % pour la ville autonome de Buenos Aires ; 25,08 % dans la province de Jujuy, quasiment à égalité avec le Frente de Todos ; 7,04 % dans la province de Santa Cruz, fief de la famille Kirchner, auxquels il faut ajouter les 2,08 % du Nuevo MAS ; 8,19 % dans la province de Neuquén.

[6À l’occasion de la « Journée des militants » instituée pour l’anniversaire du retour de Perón en 1972 après 17 ans d’exil, rappelé par la bourgeoisie pour tenter de contenir la remontée des luttes populaires, une ultime étape avant le coup d’État militaire de 1976.

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