Des choix énergétiques qui n’ont jamais été neutres
9 décembre 2015 Convergences Société
Des scientifiques et des écologistes nous parlent aujourd’hui de l’Anthropocène (du grec ancien anthropos, être humain). Mais parle-t-on ici de l’empreinte de l’activité humaine en général sur la nature, comme une fatalité ? Ou bien d’un certain mode de production, ce mode de production capitaliste dont Marx expliquait qu’il libérait autant de forces productives… que destructrices.
En réalité, dès les débuts de l’industrialisation capitaliste, les choix énergétiques n’étaient pas neutres, ni uniquement déterminés par telle ou telle découverte scientifique ou innovation technique.
Au xviiie siècle, avant le « tout charbon » de la révolution industrielle, on exploitait différentes formes d’énergie… pour le coup renouvelables, hors énergie animale : hydraulique et éolienne essentiellement (moulins à eau, moulins à vent…). De fait, les premières innovations technologiques de l’industrie textile, dans les premières manufactures anglaises, vinrent plutôt de l’énergie hydraulique : la première fileuse mécanique, baptisée water-frame, brevetée en Angleterre en 1767 utilise l’eau comme force motrice. Et la fameuse mule-jenny dont parlait Marx, brevetée douze ans plus tard, utilisait l’eau et le charbon.
Pourquoi ensuite le tout charbon ?
C’est qu’à la différence des rivières, à utilisation locale et décentralisée, et donc peu propices à un changement d’échelle de la production, les mines de charbon offraient une énergie à la fois géographiquement concentrée et stockable : à partir des années 1800, l’utilisation de machines à vapeur (actionnées au charbon) permet d’installer les manufactures autrefois dispersées dans les régions où les cours d’eau abondent, près des villes, qui deviennent rapidement des villes industrielles. Et en changeant d’échelle, les manufactures deviennent des usines. Et l’on peut parquer la main-d’œuvre, aux très longues journées d’esclavage salarié, à proximité de leur lieu de travail.
… puis le pétrole ?
Les innovations qui vont suivre s’en tiendront à la voie inaugurée par ce choix énergétique de départ, en délaissant les autres. De la même façon qu’un siècle plus tard les recherches prometteuses sur le moteur électrique seront délaissées au profit du moteur à combustion interne, dit à explosion, vu la poule aux œufs d’or de l’exploitation des puits de pétrole.
On voit ici que les deux siècles de gloire des énergies fossiles, ont parfaitement répondu aux besoins, non pas de l’humanité, mais aux besoins de l’accumulation capitaliste et de la concentration du capital.
Et pas seulement dans le monde mythique de la libre concurrence. Car les énergies fossiles sont aussi un sacré enjeu de convoitises. Les industriels et hommes d’affaires qui sauront s’emparer, par l’escroquerie et la violence, mais aussi la guerre, des sous-sols miniers ou des puits de pétrole les plus rentables, disposeront d’une énorme rente acquise gratuitement (comparable à la rente foncière dont parlait Marx), d’un énorme surprofit. Bon nombre de westerns américains racontent plutôt bien cette saga sanglante.
Résumons : ce sont les ressources fossiles, charbon puis pétrole, qui se sont imposées dès le début du capitalisme, basées sur l’appropriation privée des ressources naturelles. Le pétrole est l’une des énergies fossiles les plus rentables à produire, et rapporte des centaines de milliards de bénéfices aux principales multinationales du secteur. Une ressource naturelle inépuisable telle que le rayonnement solaire pose un problème plus épineux aux capitalistes, car il leur reste à trouver des astuces pour s’en attribuer la propriété (via par exemple la propriété intellectuelle, c’est-à-dire des brevets sur les innovations qu’ils avaient jusque-là négligées), tandis qu’il suffisait de faire main basse sur les stocks limités de charbon, de pétrole, de gaz… et accumuler, en plus du profit, des rentes gigantesques..
Tout cela, pour souligner que toute l’histoire des conquêtes politiques et militaires des grandes puissances impérialistes, a partie liée avec des choix énergétiques qui ne doivent rien au seul amour de la science et du progrès.
R.P.
Mots-clés : Capitalisme | Écologie | Pétrole