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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 34, juillet-août 2004

Dans notre courrier : Cuba entre le marché et la planification ?

Mis en ligne le 22 juin 2004 Convergences Monde

Nous avons reçu, il y a un certain temps déjà, un très long texte d’un militant trotskiste cubain, dont nous ne pouvons ici que publier quelques extraits, faute de place, tout en essayant bien sûr d’en conserver l’esprit. Nous ne partageons nullement les analyses fondamentales de ce camarade sur la nature du régime castriste et de la société cubaine, qu’il juge en transition vers le socialisme. Nous avons cependant jugé utile de livrer une analyse par un militant communiste vivant dans l’île des contradictions dans lesquelles, à son avis, se débat la société cubaine. Les intertitres sont de la rédaction de CR.


...L’insertion de Cuba dans le marché capitaliste international a profondément perturbé l’économie du pays, non seulement au niveau de l’économie de l’Etat, mais aussi au plan des conséquences sur les conditions de vie des masses travailleuses. En effet, la part de la richesse nationale affectée, grâce à la planification, aux besoins de la population a diminué...

...La politique économique du marché aura pour conséquence l’augmentation des inégalités et des antagonismes sociaux internes. C’est la situation à laquelle nous sommes confrontés à Cuba ; elle met en danger de mort la transition vers le socialisme si nous n’appliquons pas la formule salvatrice de la démocratie prolétarienne avec le contrôle ouvrier, et un internationalisme prolétarien conséquent...

De la planification bureaucratique d’hier...

Ce n’est pas uniquement la CIA qui a le pouvoir d’inverser le cours des processus historiques de la transition vers le socialisme. Le pouvoir d’inverser ces processus révolutionnaires est dans la nature conservatrice des structures bureaucratiques. Sans contrôle de la base des producteurs qui sont les régulateurs et le contrepoids du processus de bureaucratisation, et sans démocratie prolétarienne, dans son plus large caractère démocratique, le danger contre-révolutionnaire subsiste dans les pays qui se maintiennent encore en transition comme Cuba, le Vietnam, la Chine et la Corée...

Prenons, par exemple, le projet ambitieux des dix millions de tonnes de sucre en 1970, dont je fus acteur et spectateur, qui ne se réalisa pas. A l’évidence, l’échec ne s’explique pas fondamentalement par les limitations des ressources techniques et naturelles comme la préparation des terrains de culture de la canne, l’irrigation, la disponibilité de la main-d’œuvre. Ce fut plutôt l’échec des méthodes bureaucratiques de commandement et d’obéissance.

Pour évaluer le rôle des facteurs technico-matériels, on peut se référer à la zafra  [1] d’avant la révolution sous le gouvernement capitaliste de Prio Socarras au début de la décennie 1950. Il fut produit plus de 7 millions de tonnes de sucre... en dépassant les résultats historiques des campagnes sucrières du début du siècle qui avaient atteint cinq millions et demi de tonnes de sucre en 1902.

Bien que l’on ne puisse pas disposer de toutes les données scientifiques nécessaires, quantitatives et qualitatives, sur la population, la richesse, les impôts et les récoltes, et bien qu’il n’y ait pas officiellement de données numériques pour les années 70, on peut toutefois estimer à partir des références de la presse, de la radio et de la télévision que les conditions technico-matérielles étaient en 1970 deux à trois fois plus avancées que celles du début de la décennie 1950. Par exemple, la mécanisation de la coupe était nulle en 1950, alors qu’en 1970 la coupe a pu compter avec l’existence d’une mécanisation utilisée sur 25 à 30% des terres permettant cette coupe mécanisée.

La frénésie pour l’accomplissement de l’objectif de 10 millions de tonnes de sucre avait tant exalté l’esprit des dirigeants administratifs et politiques que l’idée que ce projet pour réussir aurait dû s’appuyer sur les principes de la démocratie prolétarienne, n’est pas venu à l’esprit de ces fonctionnaires. Cela les amena à écarter l’expérience des campagnes sucrières que le paysan et surtout l’ouvrier agricole avaient acquise historiquement, sans parler de celle des coupeurs volontaires qui avaient déjà réalisé quelques récoltes...

Et si nous avions précisément pris en compte l’expérience acquise dans cette zafra, celles qui se sont succédées depuis lors auraient progressé jusqu’à aujourd’hui tant en rendement qu’en qualité... Le développement et l’industrialisation des dérivés du sucre auraient permis de renforcer ce marché tant au plan intérieur qu’extérieur. Dans le même temps, cela aurait ouvert un espace pour des activités nouvelles, renforçant la vie culturelle et sociale du prolétariat agricole et des masses paysannes en général...

... à l’économie de marché aujourd’hui

...Dans la pratique quotidienne, nous voyons comment la planification économique a cédé une grande place à l’économie de marché... La population aux ressources les plus faibles, qui est la majorité, est la plus frappée par ce marché. La hausse de la planification, est sa seule protection économique. On avait au début des années 1990 [2] justifié la baisse des quotas des produits fondamentaux planifiés comme la viande, l’œuf, le lait, le pain, etc., par celle de la production. Si l’on affirme aujourd’hui qu’il y a une amélioration économique, comment est-il possible que l’œuf, la protéine la plus accessible aux masses, dont la production a augmenté de 29 millions d’unités (d’après Granma 20/8/2003), avec même une légère tendance à la hausse selon le directeur du combinat avicole du ministère de l’Agriculture, Lazaro Cutiño Lopez, n’ait pas vu son quota rétabli ? Mais c’est aussi le cas des autres produits de base : pain, riz, viandes. Le pain, qui est le sine qua non de la subsistance familiale n’a maintenu ni sa qualité ni son quota d’avant la période spéciale. Depuis la radio, la presse et la télévision annoncent un mieux économique : le quota n’a pas été rétabli. Et pourtant il s’est ouvert de nombreuses boulangeries à travers tout le pays, mais à des prix inaccessibles pour la majorité de la population, étant donné le salaire moyen. Ce sont aussi toutes ces poissonneries, boucheries, avec des prix élevés, qui sont significatives de cette priorité mise à l’économie de marché parallèle, et pas à l’amélioration de la planification économique des moyens de production.

Il y a des choses si évidentes qu’il n’est pas besoin de statistiques pour en vérifier l’échec ou la réussite. Par exemple, quel voyageur, quel automobiliste ne peut se rendre compte que 75 % des rues et routes de La Havane sont abîmées et beaucoup impraticables ? Et comme nous n’affrontons pas ces problèmes qui à la longue se multiplient dans les fondements de notre économie, pourquoi augmenter le prix de l’essence sans prendre en compte que cela pèse sur le budget transport pour les masses ? Pourquoi en même temps parler de la hausse de la production nationale ?

...[A Cuba], alors que la voie de la planification est l’unique voie pour le développement du socialisme et sa stabilité, la lutte est engagée entre deux orientations économiques possibles mais opposées, la planification ou le marché.

La Havane, J. L. F.


[1La récolte de la canne à sucre, principale ressource agricole cubaine.

[2Années dites de la « période spéciale » qui connurent des difficultés économiques importantes suite à la disparition de l’URSS et des régimes de l’Est européen, partenaires commerciaux de Cuba.

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