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Pour en savoir un peu plus

Comment se propage une épidémie, et les différentes mesures pour y remédier

24 mars 2020 Article Sciences

(Photo : CDC)

L’épidémie actuelle de coronavirus est une crise sanitaire d’ampleur comparable à celle de l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1919 et de grippe asiatique de 1956-1958. L’objectif de cet article est de faire le point sur les mécanismes de propagation d’une épidémie, et les différentes mesures pour y remédier.

1 – Comment se propage une épidémie

À ses débuts, une épidémie suit une progression exponentielle [1], c’est-à-dire que le nombre de cas double périodiquement ; pour l’épidémie actuelle, cette période est de l’ordre de cinq à six jours. Un paramètre clé de la propagation est appelé R0, c’est le nombre moyen de personnes contaminées par un patient infectieux : si un infecté contamine plus d’une personne saine durant sa maladie alors l’épidémie se propage, sinon elle s’éteint. L’épidémie ralentit soit lorsqu’une part suffisante de la population est immunisée, via un vaccin ou parce qu’elle a attrapé la maladie et en a guéri, soit en réduisant la contagion : en guérissant les malades, ou en réduisant leurs contacts avec des personnes sensibles.

Pour l’instant, aucun vaccin n’est connu ; d’une part car une épidémie est par nature imprévisible, et d’autre part par absence de recherche fondamentale, faute de budgets [2], or en élaborer un prend au minimum 12 à 18 mois. Par ailleurs, laisser le virus se répandre en comptant sur l’immunisation naturelle (c’était le choix initial de Boris Johnson et, à demi-mot, de Macron) est irréaliste, car cela entraînerait une mortalité très importante ; des centaines de milliers de victimes au Royaume-Uni d’après un rapport de l’Imperial College [3]. Compter sur « l’immunité de groupe » sans maîtriser la propagation n’est donc pas une option, notamment à cause du nombre très limité de places adaptées dans les hôpitaux ; l’objectif est plutôt de ralentir et, idéalement, de mettre fin à la contagion.

Des traitements sont à l’étude, élaborés à partir de médicaments existants (élaborer un nouveau médicament est coûteux, long et incertain) ; on parle de « repositionnement ». La choloroquine, un antipaludaire, est un candidat prometteur, et des études sont en cours en vue de sa mise en application. Il serait cependant prématuré d’en généraliser l’usage dès maintenant, car les preuves scientifiques sont pour l’instant insuffisantes : l’étude chinoise citée par le Professeur Raoult est réalisée in vitro, et non sur des patients [4] tandis que l’étude de l’IHU Marseille porte sur seulement 24 patients (son auteur, par un tour de passe-passe logique, explique que tester sur petit nombre de personnes est statistiquement plus significatif [5], ce qui est une aberration), et sa méthode est controversée [6]. Un autre candidat, le remdésivir, testé contre Ebola, est aussi à l’étude mais, s’agissant d’un médicament expérimental, il n’est pas possible à court terme de généraliser sa production et son utilisation.

2 – Les mesures

Pour cette vague de l’épidémie, il faut donc opter pour des mesures non-pharmaceutiques (en anglais NPI– Non pharmaceutical interventions), c’est-à-dire de faire en sorte que les personnes contaminées aient le moins de contacts possibles avec les personnes saines. Il y a pour cela toute une gradation de mesures, de la mise en quarantaine des personnes contaminées à un confinement total.

Comme le virus est très contagieux, mettre les personnes contaminées en quarantaine n’est pas suffisant, c’est pourquoi cette mesure s’est souvent accompagnée de la mise en quarantaine du foyer entier. Mais, comme une part non négligeable des personnes contaminées ne présente pas de symptômes, et que plus généralement, l’on commence à être contagieux avant de présenter des symptômes, ces mesures se sont à leur tour révélées insuffisantes. Cette caractéristique du virus est aussi à l’origine du sous-diagnostic général, qui fait que le nombre de cas réels est largement sous-évalué [7], et cette sous-évaluation entraîne un retard dans la prise en charge de l’épidémie [8].

Des mesures plus drastiques sont donc à envisager. La distanciation sociale consiste ainsi à éviter les regroupements de masse, c’est pourquoi les évènements rassemblant plus de 5000 (puis 1000, puis 100, et ainsi de suite) ont été interdits. Il est également recommandé de se tenir à distance d’au moins un mètre (idéalement deux) les uns des autres.

Le nombre de cas continuant d’augmenter, le gouvernement a par la suite fait le choix de fermer les bars et commerces non essentiels, puis les écoles et universités. Depuis mardi dernier, les déplacements sont également strictement contrôlés.

Le confinement est une mesure radicale, mais nécessaire à ce stade de l’épidémie, qu’il n’est plus possible de contenir au vu de la multiplication du nombre de cas. Et en effet, un élément crucial est le timing : les pays asiatiques, et en particulier Taïwan et la Corée du Sud, en prenant des mesures plus tôt, ont permis de ramener l’épidémie sous un seuil « contrôlable » de manière relativement rapide [9], et dans ces pays il s’agit désormais seulement de maintenir la propagation du virus sous ce seuil, ce qui peut se faire par des mesures moins drastiques : distanciation sociale, rappel des mesures d’hygiène, surveillance des cas connus. À l’inverse, le retard de l’Italie a amené à une surcharge du système de santé (déjà bien mal en point avant la crise), qui oblige les médecins à choisir à qui destiner les soins intensifs ; il en ira prochainement de même en France (c’est déjà le cas dans l’Est). C’est cette surcharge qui est le principal facteur de surmortalité ; étaler la propagation du virus est un moyen de l’éviter. Selon le syndicat des jeunes médecins, le confinement n’est en France pas encore suffisant [10]. Sont pointés du doigt les individus qui n’ont pas pris la mesure des événements, mais que dire des multiples entreprises qui, soutenues par le gouvernement, maintiennent voire font reprendre la production…

Un autre facteur clé est l’information : dépister de manière systématique les cas et les personnes avec qui elles ont été en contact permet de limiter le confinement aux secteurs géographiques touchés par l’épidémie, et d’adapter les mesures au contexte géographique. Comme le dit le Dr Tedros, directeur général de l’OMS, « les pays ne peuvent pas combattre les épidémies à l’aveugle ». C’est de cette manière (et en anticipant) que la Corée du Sud a mis fin à l’épidémie sans avoir recours au confinement [11]. C’est aussi la stratégie choisie par l’Allemagne, même s’il semble que l’épidémie a dépassé le seuil critique où elle est praticable.

Eviter un « effet rebond »

De plus, pour éviter un « effet rebond » au sortir du confinement, il est impératif de pouvoir dépister massivement à cette date [12], sans quoi une nouvelle explosion de la propagation est à prévoir. En effet, dès lors que des cas subsistent dans la population, on sera revenus au même point qu’au début de l’épidémie. Pour l’instant, le dépistage n’est pas la voie empruntée en France, faute de moyens matériels, nouvelle preuve de la grande misère de la santé publique.

3- Ce qui est à prévoir… et ce qui est imprévisible

La trajectoire de l’épidémie en France est comparable à celle de l’Italie. À ce titre, comme le confinement est prolongé jusqu’au 15 avril et durci en Italie [13], il en sera probablement de même en France. La durée totale du confinement est impossible à prévoir car elle dépendra fortement de son observance, et en particulier de l’entêtement du gouvernement et des entreprises à maintenir la production coûte que coûte. Pour donner un ordre de grandeur, à Wuhan, le confinement a duré 57 jours [14]. Ce qui est aussi imprévisible, et dépendra fortement de facteurs comme la disponibilité ou non de tests de dépistage, c’est la possibilité d’un rebond au sortir du confinement, et donc d’une nécessité de se confiner à nouveau. De même, nous ne disposons pour l’instant d’aucune donnée sur la possibilité que le réchauffement des températures à l’arrivée de l’été mette un coup d’arrêt à la propagation du virus ; le cas de l’Australie (où c’est en ce moment l’été) sera à cet égard éclairant.

La limite des modèles

Enfin, d’aucuns [15] utilisent des modèles pour en tirer des chiffres visant à prévoir le nombre de morts liés à l’épidémie. Si la démarche permet d’alerter sur l’importance du danger, elle est toutefois trompeuse : un modèle est utile pour observer des tendances, mais il est basé sur des simulations qui dépendent d’un grand nombre de paramètres, dont la plupart ne peuvent pour l’instant pas être évalués de manière fiable.

C’est pourquoi les projections du nombre d’infectés, si elles permettent d’avoir un ordre de grandeur, ne donnent en réalité que peu d’informations sur ce qu’il en sera en réalité. A fortiori pour le nombre de morts, le taux de létalité du CoViD-19 est pour l’instant difficile à estimer, faute d’en répertorier systématiquement les cas, et variant énormément en fonction des pays, et notamment de la répartition des classes d’âges et de la robustesse du système de santé. De plus, un modèle repose sur un certain nombre d’hypothèses qui, sitôt invalidées, le rendent caduc. Ainsi, le modèle de l’Imperial College, en faisant abstraction de la possibilité de répertorier les cas connus, par exemple via le dépistage, empêche de constater l’efficacité d’une telle politique [16]. Il faut donc prendre garde à la portée accordée aux modèles : la science ne lit pas dans le marc de café, et ne peut se baser que sur des données soigneusement établies.

24 mars 2020 – Martin Castillan


[1Les simulations du Washington Post, bien que volontairement très simplificatrices car elles supposent que les individus interagissent de manière totalement aléatoire (comme les particules d’un gaz), permettent d’avoir une idée plus précise : https://www.washingtonpost.com/grap...

[2cf le témoignage éclairant de Bruno Canard, chercheur au CNRS : https://universiteouverte.org/2020/....

[3https://www.imperial.ac.uk/media/im.... Le rapport cite le chiffre de 500 000, mais ce chiffre est issu de nombreuses extrapolations, seul l’ordre de grandeur est donc à retenir.

[15Le plus relayé étant Tomas Pueyo, https://medium.com/@tomaspueyo/coro...

[16C’est la raison pour laquelle l’étude de l’Imperial College, qui ne prend pas en compte le suivi des cas dans son modèle, prévoit une nouvelle vague de contagion à la fin des mesures de confinement https://www.academia.edu/42242357/R...…_

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Réactions à cet article

  • Y-a t’il un lien entre le marché de WUHAN où se vendaient des animaux vivants(pangolins,poissons,volailles) et le virus ? D’après des statistiques chinoises le groupe sanguin O serait plus résistant à la contagion(absence d’histaminidases).

    P.S. en Sibérie orientale s’est déclarée une épidémis d’anthrax dans des troupeaux de rennes(bactérie très résitantes dans le sol).Il y aurait même des inquiétudes à avoir en cas de dégel massif dans la toundra.

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    • Bonjour,

      Il est en effet probable que le virus ait été transmis par des animaux sauvages, mais c’est plus généralement la (non-)gestion du rapport à l’environnement par le capitalisme qui est en cause [1].

      Quant à la résistance accrue du groupe sanguin O, l’étude [2] semble en effet solide statistiquement, cependant il s’agit de travaux préliminaires qui n’ont pas encore été contrôlés par d’autres chercheurs. De plus, la différence de résistance est relativement faible, les conséquences pratiques sont donc assez limitées [3].

      Enfin, l’épidémie d’anthrax que vous mentionnez a eu lieu en 2016 [4], à moins qu’une nouvelle ne se soit déclarée depuis. Cependant, il est vrai que les glaces recèlent potentiellement des virus dangereux pour l’Homme [5] ; une raison de plus de lutter contre le réchauffement climatique, et donc, contre sa cause principale : le capitalisme [6].

      [1] https://blog.mondediplo.net/le-covid-19-la-chine-et-les-autres

      [2] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.11.20031096v1

      [3] https://www.forbes.com/sites/claryestes/2020/03/20/what-the-relationship-between-blood-type-and-coronavirus-susceptibility-means-for-future-treatments/ (en anglais)

      [4] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/la-siberie-victime-d-une-epidemie-d-anthrax_1788059.html

      [5] https://www.franceculture.fr/ecologie-et-environnement/co2-et-virus-oublies-le-permafrost-est-une-boite-de-pandore

      [6] Sur ce sujet, le livre d’Andreas Malm, "L’anthropocène contre l’histoire", est très instructif.

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  • cher camarade, vraiment très instructif cet article ! Mais il faut quand même rappeller que la grippe espagnole de 1918/19 a fait 20 million des morts, pendant que la grippe asiatique de 1957 a fait 2 million de morts. Il me semble alors un peu exagéré de prédire un nombre de victimes pareil à 2 mio. soit à 20 mio. quand on se rappelle de ce qui s’est passé en Chine ! Pour le reste mes félicitations,

    fraternellement, un lecteur de Berlin en RFA

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    • Bonjour,

      En effet, la comparaison avec les épidémies de 1918/19 et de 1957 ne portait pas sur le nombre de morts probables, seulement sur le caractère de crise sanitaire majeure. À l’heure actuelle, il est très difficile de faire des pronostics, car cela dépend fortement de la résistance des systèmes de santé des différents pays, et plus généralement de leurs réactions. On peut espérer qu’avec l’avancée des connaissances en biologie du siècle écoulé, nous parviendrons à éviter pareilles hécatombes ! La seule estimation chiffrée citée est celle de l’Imperial College, qui prédit des centaines de milliers de victimes en cas d’inaction, mais justement, un des objectifs de ce rapport était de mettre fin à l’inaction, et l’estimation est donc caduque. Et, comme dit dans l’article, même en cas d’inaction, il aurait fallu la prendre avec des pincettes, car elle repose sur de nombreuses autre hypothèses.

      Fraternellement

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