Soixantième anniversaire du 17 octobre 1961 : le plus grand massacre de travailleurs depuis la Commune de Paris
Mis en ligne le 20 octobre 2021 Convergences

(Le texte ci-dessous, publié dans Convergences révolutionnaires no141, est tiré d’un article plus long publié sur le site).
Le contexte
La guerre d’Algérie durait depuis l’insurrection de la Toussaint 1954 et avait causé la mort de 500 000 à un million de personnes, dont 25 000 soldats français. Incapable de gagner cette guerre, face à la détermination du peuple algérien, le gouvernement s’était résigné à engager des négociations avec les représentants du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) et à organiser un référendum pour l’autodétermination le 8 janvier 1961. Toutefois, ceux qu’on appelait « les ultras d’Alger », représentant les intérêts d’entreprises coloniales et certains secteurs de l’armée, ne voulaient pas entendre parler d’indépendance et avaient formé une organisation armée fasciste, l’OAS (Organisation armée secrète), qui menait des attentats non seulement contre les Algériens mais contre toutes les personnalités favorables à la paix. De Gaulle, venu lui-même au pouvoir à la suite du coup d’État d’Alger du 13 mai 1958, était décidé à mettre fin à la guerre. Mais il tentait aussi de donner des gages à l’armée et à la police, où les « ultras » restaient très influents, pour ne pas paraître trop favorable aux nationalistes algériens. C’est pour montrer sa fermeté contre les Algériens qu’il fit durement réprimer la manifestation du 17 octobre 1961, puis, contre les communistes, celle du 8 février 1962, qui a entraîné le massacre du métro Charonne.
Un crime jamais sanctionné
Si Maurice Papon a fini par être condamné pour les déportations de Juifs qu’il avait organisées à Bordeaux sous l’occupation, il ne fut jamais jugé pour les massacres du 17 octobre et de Charonne, lorsqu’il était préfet de police. Au-dessus de lui, Roger Frey, ministre de l’Intérieur, Michel Debré, premier ministre et bien entendu de Gaulle, président de la République, ne furent pas davantage inquiétés. Les milliers de policiers qui participèrent à la répression à des degrés divers conservèrent leurs postes, comme une partie d’entre eux qui avaient déjà procédé à la chasse aux résistants et aux Juifs, notamment à la rafle du Vél’ d’Hiv’, les avaient déjà gardés en 1945.
Un des plus grands massacres de l’histoire
Le 17 octobre 2021 marque le soixantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961. Ce fut le plus grand massacre de travailleurs depuis l’écrasement de la Commune de Paris par les troupes de Thiers en 1871. Le nombre exact de victimes n’est toujours pas connu, car les autorités ont tout fait pour masquer son ampleur. L’historien Jean-Luc Einaudi l’a évalué entre 200 et 300 morts, et des centaines de blessés, mais estimait qu’il pouvait être plus élevé.
Le sinistre Papon aux commandes
C’est pour protester contre l’instauration d’un couvre-feu interdisant aux « Musulmans algériens » de sortir après 20h30 que la fédération de France du Front de libération nationale algérien, qui comptait 15 000 militants en métropole, organisa la manifestation du 17 octobre. La situation était particulièrement tendue dans Paris depuis des mois. La police se livrait régulièrement à des descentes dans les cafés et hôtels fréquentés par des Algériens qu’elle traitait avec la plus grande brutalité. Il ne faisait pas bon avoir « le type nord-africain » pour se promener dans Paris. Les ratonnades, brimades, rafles étaient quotidiennes. Pour réprimer les Algériens dans la capitale, Papon avait fait venir 400 harkis d’Algérie. Ceux-ci constituaient la FPA (Force de police auxiliaire) qui patrouillait dans les rues, contrôlait et arrêtait des Algériens. Dans les commissariats où ces harkis étaient installés, comme à la Goutte-d’Or, des prisonniers étaient torturés nuit et jour, au point que les voisins se plaignaient de leurs cris. Mais les policiers français n’étaient pas en reste. Redoutant des représailles, la préfecture avait d’ailleurs décidé qu’ils ne porteraient plus leur matricule sur leur uniforme comme ils le faisaient jusqu’alors. Des détenus disparurent de commissariats des 13e et 18e arrondissements, probablement jetés dans la Seine. En représailles, le FLN avait mené plusieurs attaques contre des commissariats, des harkis et des policiers identifiés comme tortionnaires.
Michel Debré, premier ministre de de Gaulle, donne carte blanche à Papon
Maurice Papon, préfet de Paris, sera informé de la préparation de la manifestation par ses indicateurs. Michel Debré, alors Premier ministre de De Gaulle, donnera carte blanche pour mener la répression à ce haut fonctionnaire déjà responsable de la rafle des enfants juifs de Bordeaux en janvier 1944. Les Algériens avaient l’intention de défiler pacifiquement sur les grands boulevards entre 18 et 20 heures. Ils avaient même reçu pour consigne du FLN de venir sans armes et bien habillés pour faire bon effet sur la population française. La police va se déchaîner. En dépit du caractère pacifique de cette manifestation, tous les moyens seront utilisés : fusillades, coups et noyades. De nombreux Algériens furent jetés dans la Seine et leurs cadavres retrouvés souvent des jours plus tard. Certains furent torturés et assassinés dans des commissariats et un certain nombre trouva la mort dans la cour de la préfecture de police sous les yeux de Papon lui-même. Au stade Pierre-de-Coubertin, des prisonniers seront même gazés ! Le nombre officiel d’arrestations atteindra 11 500 sur 30 000 à 40 000 manifestants.
L’Omerta
Par la suite, le souvenir du 17 octobre devait être occulté par un autre massacre, celui du 8 février 1962, quand huit militants du PCF furent assassinés par des CRS à la station de métro Charonne, alors qu’ils manifestaient contre un attentat de l’OAS. Des centaines de milliers de personnes défilèrent à leurs obsèques. Les raisons de l’omerta semblent diverses. D’une part, le PCF et la CGT préféraient mettre en avant leurs propres victimes, d’autant que la faiblesse de leur réaction au lendemain du massacre ne leur faisait pas honneur. D’autre part, le FLN lui-même ne tenait pas à compromettre les négociations en cours par une dénonciation trop virulente et encore moins par une riposte, sans compter ses rivalités internes. L’étouffoir de la censure, de la raison d’État et de la mauvaise conscience a fait le reste.
Ce n’est que vingt ans plus tard que le massacre du 17 octobre cessera d’être une sorte de tabou médiatique et politique, avec la publication d’un roman de Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire, et surtout le travail de l’historien Jean-Luc Einaudi qui s’efforcera d’établir un bilan complet de cette sanglante répression.
15 octobre 2021, Gérard Delteil
La version intégrale de cet article a été publiée le 15 octobre 2021 sur le site de Convergences révolutionnaires.
Lire également sur le site de Convergences révolutionnaires, suite aux propos de Gérald Darmanin à l’encontre de notre camarade Philippe Poutou, l’article du 15 octobre intitulé « Soixante ans après le 17 octobre 1961… oui, la police française tue toujours »