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DOSSIER : Loi Fillon, accords d’entreprise, représentativité… Les syndicats embourbés dans le « dialogue social »

Loi Fillon, loi filou

Mis en ligne le 12 janvier 2004 Convergences Politique

Pour mieux faire accepter sa nouvelle réforme réactionnaire, le gouvernement tient à montrer qu’elle est issue d’un véritable « dialogue », justement, avec les syndicats eux-mêmes. Il n’espère certainement pas avoir l’approbation de toutes les confédérations, mais l’accord de quelques-unes sur tel ou tel aspect de la loi, histoire de montrer qu’il y a eu concertation, arbitrages, compromis… Ensuite, puisqu’il faut bien trancher, face à des interlocuteurs qui ne sont pas d’accord les uns avec les autres, le gouvernement soumet les résultats de la discussion aux députés. Tout cela n’est-il pas éminemment démocratique ? Et qu’importe si l’essentiel de la loi, la possibilité pour les patrons d’obtenir des accords dérogatoires au code du travail, n’est qu’une simple transcription d’une revendication du Medef.

Des syndicats divisés…

Quelle chance le gouvernement a-t-il de parvenir à ses fins, à l’abri de cet écran de fumée ? Cela dépend en partie de son petit jeu de confrontation et de collaboration avec les syndicats. Il souhaite obtenir leur assentiment, ou leur passivité, au moins sur plusieurs aspects importants. C’est pourquoi Fillon a repris dans la loi l’accord sur la formation professionnelle conclu le 20 septembre 2003 entre l’ensemble des organisations patronales et toutes les organisations syndicales « représentatives ». Le gouvernement, qui s’était réjoui bruyamment de ce consensus, peut maintenant se vanter d’être capable d’avoir même le soutien de la CGT sur une partie de sa politique, et il en fait profiter la nouvelle loi Fillon…

Pour le reste, Fillon utilise à la fois les divisions entre les syndicats… et leur commune acceptation de dialoguer avec lui, sur ses bases, pour parvenir à un accord. Ainsi, la loi, en échange du caractère dérogatoire des accords, critiqué par tous les syndicats, concéderait le principe d’accords majoritaires, ce qui favoriserait bien sûr les deux plus grosses confédérations, la CGT et la CFDT. Comme on l’a vu, le gouvernement s’est contenté d’une majorité de syndicats et non pas d’une majorité de salariés concernés, ce que la CGT et la CFDT ont dénoncé.

Quant aux trois autres centrales syndicales, elles se sentent tout de même menacées par la réforme. La CGC s’est plainte qu’elle ne pourrait plus signer d’accord dans ces conditions. La plus féroce dans ses attaques est FO : pour Blondel, la loi est une attaque contre la « démocratie » et il dénonce la transformation des syndicats en « machine électorale », parce qu’elle prévoit dans certains cas la tenue d’élections pour déterminer la représentativité des organisations (comme s’il était choquant que les syndicats aient à se soumettre aux suffrages des salariés !). FO revendique avoir signé pendant des dizaines d’années des accords, souvent seul, et se plaint qu’avec ce système, il n’y aura plus moyen de parvenir à des accords, ce qui favorisera une culture de « contestation »… Tout en adoptant une posture hostile à Fillon, c’est donc au nom de la liberté de signer sans rendre de comptes aux travailleurs que FO conteste la loi !

… mais tous d’accord pour négocier de nouveaux reculs

Toute cette affaire est en tout cas révélatrice du meilleur atout de Fillon pour faire passer sa réforme : la volonté de tous les syndicats de négocier sur la base de reculs pour les travailleurs, et leur égal souci de défendre bien plus leurs intérêts de boutique que ceux de l’ensemble du monde du travail. FO, CFTC et CGC, au fond, défendent le maintien d’un système aberrant, où la liste des syndicats représentatifs, fixée par l’Etat en 1966 resterait gelée éternellement, où un seul syndicat, même rachitique et à peine existant dans l’entreprise ou la branche, peut valider un accord. Parce que cela leur assure une position privilégiée pour être reconnus et choyés des patrons en dépit de leur faible influence. La CFDT et la CGT, elles, ont beau jeu de se montrer plus ouvertes, plus démocratiques même, en réclamant l’accord majoritaire. Elles ne cherchent pas en réalité à empêcher ce nouveau recul, mais à le monnayer. En l’absence de possibilité pour les patrons de s’appuyer sur des syndicats les plus minoritaires, il leur faudrait obligatoirement en passer par la CFDT et la CGT lesquels seraient ainsi assurés d’être leurs interlocuteurs obligés.

Dans une interview au journal Le Figaro du 11 décembre 2003, Bernard Thibault dénonce abondamment la nouvelle loi Fillon, regrette que « l’accord majoritaire reste une perspective virtuelle », que « le droit d’opposition donne plus de pouvoir à trois petits syndicats qu’à deux syndicats majoritaires », mais c’est pour donner un avertissement bien ambigu au gouvernement : « Cela va se traduire par la persistance d’un dialogue social artificiel. Il ne faut pas s’étonner que les réformes soient contestées sur le fond. S’il y a un taux de conflictualité aussi élevé dans notre pays, c’est à cause de ces règles. » Rien sur le rapport de forces avec le gouvernement et le patronat, il regrette seulement que le jeu des négociations ne laisse pas assez de place à la CGT.

CGC, CFTC et FO veulent garder leur rente de situation, la CFDT depuis son recentrage ne rechigne pratiquement jamais à signer, et la CGT, qui voudrait aussi se transformer en « syndicat de proposition », revendique avant tout d’être mieux placée à la table des négociations ! Voilà une opposition qui ne doit pas faire trop trembler Fillon, même s’il doit aussi tenter de donner tantôt des carottes, tantôt des coups de bâtons, aux uns et aux autres !

Mais les bureaucraties syndicales auraient tout de même bien des raisons de se méfier. La CFDT a vu un grand nombre de militants la quitter, après l’appui de Chérèque à la réforme des retraites. Quant à la CGT, elle voit se développer en son sein un certain mécontentement contre le « recentrage » de la direction, il s’est exprimé par exemple au 47e congrès. A EDF, au début de l’année 2003, la direction de la CGT-Energie, menée par Denis Cohen, s’apprêtait à signer avec la direction un accord sur les retraites, qui aurait bien fait les affaires du gouvernement. Le référendum a vu contre toute attente la victoire du « non » parmi les salariés de l’entreprise, contre l’avis de presque tous les syndicats, et en grande partie grâce à la réaction de nombreux militants de la CGT refusant de suivre leur direction.

Le gouvernement et les syndicalistes « pompiers », ne sont toujours pas à l’abri ni d’une réaction des travailleurs ni même de celle de leur base. Heureusement !

Bernard RUDELLI


La CGT ne veut plus faire exception

La CGT affiche sa volonté d’être elle aussi un syndicat non seulement de « lutte » mais aussi de « proposition », pour reprendre les termes de sa direction. Aujourd’hui d’ailleurs, au niveau des entreprises l’attitude de la CGT face à la signature d’accords n’est pas très différente de celles des autres syndicats : elle en signe près de 85 %, les autres les signant à plus de 90 %. C’est par contre au niveau des accords de branche (conventions collectives) et accords interprofessionnels (comme les accords sur les retraites, sur l’emploi, sur l’Unedic, etc.) que la CGT a gardé une attitude différente, en ne signant que 37 % des accords contre 69 % pour FO ou 77 % pour la CFDT.

La CFDT a prouvé depuis bien des années sa disponibilité à cautionner des réformes réactionnaires. La CGT, elle, a persisté à se donner des airs plus radicaux, ce qui fait aussi sa force, sa capacité d’attirer et d’influencer les travailleurs les plus combatifs. Et pourtant… L’heure est au « recentrage ». Déjà, en janvier 2000, la CGT accepte de participer au lancement du cycle de négociations initié par le Medef sous le nom de « refondation sociale », pour montrer sa volonté de discuter. En février 2001, la CGT refuse de signer avec le Medef l’accord sur la retraite complémentaire, mais pour Jean Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral à la CGT cité dans Le Monde Initiatives de novembre 2003, « sans la surenchère de Kessler, notamment dans le préambule, la CGT aurait pu signer… » En mai 2002, la CGT entre au côté de la CFDT, de la CGC et de la CFTC au comité intersyndical de l’épargne salariale, ce qui revient déjà à accepter le développement de futurs fonds de pensions d’entreprises. En mars 2003, le 47e congrès de la CGT refuse d’entériner la revendication des « 37,5 annuités pour tous », qui ne serait soi-disant pas mobilisatrice, mais qui empêcherait surtout de continuer de négocier avec Fillon. Elle s’emploie enfin, en mai dernier, à empêcher la généralisation de la grève dans les transports en commun, et coupe ainsi les jambes à la mobilisation contre la loi Fillon de casse des retraites.

A sa façon, Fillon tire les leçons de cette nouvelle attitude « responsable » de la CGT, qui l’a autant aidé à imposer sa réforme que la signature de la CFDT. En faisant miroiter à la CGT la perspective de règles du « dialogue social » qui seraient plus favorables aux grosses centrales, il veut la domestiquer encore un peu plus, et espère aider la direction de la CGT à entraîner ses militants dans une démarche de négociations, de signatures d’accords. Il y aurait ainsi une grande centrale susceptible de signer des accords et de pouvoir les faire appliquer, qui garderait néanmoins un discours plus revendicatif que la CFDT, trop clairement alignée sur le patronat ? Celui-ci se réjouit pour sa part d’obtenir des signatures plus significatives, pour la « paix sociale », que celle des petites organisations.

Michel Charvet

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