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Les États-Unis après un an de présidence Biden

30 janvier 2022 Article Monde

Après son investiture le 20 janvier 2021, le président des États-Unis, Joe Biden, était salué presque unanimement par la presse et par des responsables politiques, notamment de la gauche en France, comme un nouveau Roosevelt, l’anti-Trump qui allait changer la situation aux États-Unis… et même au-delà ! Des tenants de la droite criaient à l’inverse au danger « socialiste ». Mais qu’en est-il après un an de mandat ?

La plupart des promesses de Biden aux classes populaires ont aujourd’hui fait long feu. La pandémie a secoué l’économie la plus puissante du monde, faisant plus de 860 000 morts, elle a aggravé des inégalités déjà criantes même si Biden a distribué des aides temporaires aux plus pauvres. Comme en France, non seulement les revenus des milliardaires y sont montés en flèche, mais le patronat américain a profité de la crise sanitaire pour mener des attaques contre les travailleurs. L’inflation à 7 % en est un des aspects. À tel point que l’on assiste à un retour des grèves dans le secteur privé, bien souvent poussées par la base.

Espoirs déçus

Les faibles espoirs qu’avait soulevés l’élection de Biden – lui-même ne s’était présenté que comme un retour à la « normale » après Trump plutôt qu’en grand réformateur – se sont évanouis au fil des mois. Une de ses mesures phares, le doublement du salaire minimum fédéral à 15 dollars (il est bloqué depuis douze ans à 7,25 dollars), a été abandonnée rapidement. Les promesses d’un budget inédit pour reconstruire les infrastructures vieillissantes du pays ou favoriser les énergies renouvelables, d’une loi pour limiter les prix exorbitants des médicaments sous ordonnance ou pour construire des écoles maternelles n’ont pas résisté aux négociations d’apothicaire entre républicains et démocrates, et ont même semé la zizanie entre élus démocrates, habitués qu’ils sont à obéir d’abord aux injonctions des groupes capitalistes et de la bourgeoisie américaine. Et il a suffi d’une décision de justice, pourtant contournable, pour que la vente bloquée de nouvelles concessions pétrolières et gazières ne reprenne au profit d’Exxon et BP dans le golfe du Mexique. Adieu lutte contre le réchauffement climatique…

Même la construction du mur d’acier anti-migrants à la frontière du Mexique, suspendue par décret quelques heures après l’investiture de Biden, a repris sous prétexte de « sécuriser » le chantier !

L’impuissance prétendue de l’administration Biden, ou plutôt ses renoncements et mensonges, n’ont rien d’étonnant mais écœurent ceux qui ont voté pour lui dans les classes populaires. Cela renforce les discours réactionnaires des républicains, de plus en plus ralliés à Trump, qui ne se gênent pas pour surfer sur la sidération créée par le retrait désastreux des troupes d’Afghanistan, sur l’inflation qui appauvrit les travailleurs ou sur le fiasco de la politique sanitaire et vaccinale (dont ils sont les premiers responsables).

Le fiasco de la politique vaccinale

L’obligation vaccinale que Biden voulait imposer à tous les travailleurs des entreprises de plus de 100 salariés, très impopulaire, a apporté de l’eau à leur moulin. Après une accélération de la vaccination au début du mandat, et les effets d’annonce sur l’éradication du Covid, les infrastructures de santé déficientes dans les villes et les quartiers les plus pauvres du pays ont vite montré leurs limites. Aujourd’hui, 35 % des Américains n’ont pas reçu les deux doses, parmi lesquels ceux qui sont éloignés des parcours de santé faute de couverture médicale, dont beaucoup d’Afro-Américains et d’immigrés. Dans les écoles, les familles et les professeurs ont dû se mobiliser pour obtenir le minimum des mesures sanitaires. Beaucoup d’Américains pensent aujourd’hui que le plan de lutte de Biden contre le Covid est bidon. Alors, vouloir imposer la vaccination à la quasi-totalité des salariés après toutes les mises à pied et les licenciements sous ce prétexte dans les secteurs de la santé et de la sécurité était une mesure méprisante pour masquer l’ineptie de la politique gouvernementale. Et si la Cour suprême, de plus en plus réactionnaire, l’a bloquée, c’est pour satisfaire les patrons du privé et la démagogie sur la « liberté » individuelle des républicains plutôt que pour protester contre cette situation.

Le droit de vote des classes populaires attaqué

Le dernier renoncement en date de l’administration Biden est l’abandon d’une loi visant à protéger le droit de vote des minorités, les républicains et deux sénateurs démocrates ayant voté contre [1] (les démocrates n’ont la majorité au Sénat qu’à une voix près). Actuellement, dix-neuf États républicains, dans le Sud surtout, ont adopté des lois de toute sorte – de l’interdiction de boire dans les files d’attente interminables des bureaux de vote à la fermeture de bureaux dans les quartiers noirs – qui entravent le droit de vote des classes populaires, et tout particulièrement des Afro-Américains, ceux-ci votant majoritairement démocrate. Les républicains ne se sont jamais gênés pour trafiquer un droit de vote déjà bien limité et en exclure les gens de couleur, mais ils le font de plus en plus ouvertement.

Si cette bataille juridique entre républicains et démocrates ne vise qu’à faire gagner l’un ou l’autre camp aux élections législatives de mi-mandat en 2022, le fait que cette loi ne soit pas passée, à deux voix près, le 13 janvier est hautement symbolique. Elle renvoie à la lutte pour les droits civiques de la population noire aux États-Unis. Elle est une claque à ceux qui se sont mobilisés contre le racisme – estimés à 25 millions – après le meurtre de George Floyd dans le mouvement Black Lives Matter. Les grandes envolées de Biden sur la démocratie le 6 janvier au Capitole, date anniversaire de l’émeute des partisans de Trump, non seulement sonnent faux, mais ont pris du plomb dans l’aile… par des sénateurs millionnaires ou les plus réactionnaires de son propre parti !

Adieu mesures sociales…

Pas étonnant donc que sa cote de popularité dégringole et qu’il soit critiqué par l’aile progressiste du Parti démocrate. L’autre projet de loi mis en échec en raison de l’opposition du sénateur démocrate conservateur Joe Manchin au Sénat est le volet social Build Back Better (« Reconstruire en mieux ») du plan d’investissement géant promis par Biden. Si le plan d’investissements de 1 200 milliards de dollars pour réhabiliter les infrastructures très vieillissantes du pays – une manne pour les entreprises de travaux publics – a été approuvé, y compris avec treize voix républicaines, le volet BBB, qui incluait des mesures telles que l’école maternelle pour tous, des congés payés fédéraux, y compris de santé, une meilleure couverture maladie pour les plus pauvres et des investissements écologiques, est pour l’heure au point mort. Et ceci après des mois de marchandages avec des élus des deux camps, qui ont fait baisser le montant promis de 3 500 milliards de dollars à 1 750 milliards.

Et si le plan de relance de 1 900 milliards de dollars pour l’économie américaine, qui incluait des rallonges pour les allocations chômage, des sommes exceptionnelles pour les familles en difficulté et l’augmentation des aides contre la précarité alimentaire, est lui bien passé en début de mandat, c’est qu’il n’était pas bien différent des mesures prises sous Trump lors de la première vague Covid. Car celles-ci ont surtout profité au patronat américain, qui a licencié près de 36 millions de travailleurs au premier confinement, puis empoché des subventions multiples.

Adieu taxes sur les riches

Et qu’en est-il de la promesse de relever de 21 à 28 % le taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés (il était à 35 % avant Trump) ? Et celle d’augmenter l’impôt sur les revenus des plus riches et la fiscalité du capital ? Aux dires de Biden, il fallait faire contribuer les milliardaires au paiement de la dette colossale de l’État américain. Mais cette promesse aussi s’est envolée au gré des tractations parlementaires avec les républicains, qui conditionnaient leur appui aux investissements dans les infrastructures à l’abandon de ces timides taxations. Alors que les fortunes des milliardaires ont augmenté de 1 000 milliards d’euros depuis le début de la pandémie ! Aux dires de Biden lui-même, ni Jeff Bezos, ni Elon Munsk, ni 91 des plus grandes entreprises américaines ne paient un centime d’impôt à l’État fédéral. Et c’est tout à fait légal, avec leurs bataillons d’avocats d’affaires, ils optimisent leurs impôts y compris à l’échelle mondiale.

Biden s’en est donc sorti à peu de frais en proposant à 136 États de réfléchir à une taxation mondiale de 21 % – très vite abaissée à 15 % – sur les bénéfices des sociétés faisant plus de 20 milliards de chiffre d’affaires. Ce taux correspond au final tout juste à ce que payent déjà les grands groupes supposés être visés par la mesure. Ce n’est pas étonnant que cette proposition au rabais ait été saluée par Macron !

Vieux renard de la politique, sénateur depuis trente ans, huit ans vice-président d’Obama, Biden s’assoit sur les promesses de la campagne électorale en criant à l’opposition républicaine : « Je ne laisserai personne mettre le couteau sous la gorge de la démocratie. » Mais tout ce cinéma dans les chambres du Congrès américain cache bien mal que les intérêts des groupes capitalistes passent avant tout. Quand il a fallu voter la rallonge de plus de 700 milliards de dollars au budget de l’armée ou les mesures protectionnistes pour sauvegarder les intérêts de l’impérialisme américain, les deux camps se sont entendus à merveille.

Ces travailleurs qui n’attendent pas après Biden et se mettent en grève

Tout comme des millions de gens s’étaient mobilisés contre les violences policières en plein confinement et déjà sous Biden, des dizaines de milliers de travailleurs ne sont pas restés les bras ballants en cet automne 2021.

Ils se sont mis en grève chez John Deere (tracteurs), Kellogg’s, dans des mines de l’Alabama, chez Volvo ou dans les usines de friandises Nabisco. La crise sanitaire a aggravé les choses et ouvert les yeux de beaucoup, ils ont travaillé en sous-effectif, à des cadences intenables et ont ensuite subi le mépris et la pression managériale. Des jeunes salariées du grand distributeur Walmart ont posté des témoignages devenus viraux sur TikTok ou Facebook pour parler des mauvais traitements, annonçant leur démission par un retentissant « F…k this job ». Une des raisons de ce qu’on appelle le « big quit », la vague de démissions de l’été dernier aux États-Unis (4,3 millions de salariés ont quitté leur job) est certainement la pression aggravée subie pendant cette crise.

Il y a aussi une autre raison : les patrons en ont profité pour imposer des conditions dégradées à l’avenir. Des centaines de contrats collectifs de grandes entreprises sont arrivés à expiration chez John Deere (tracteurs), Kellogg’s, ou le groupe de santé et assurances Kaiser. Les travailleurs n’ont pas seulement voté massivement pour faire grève et exiger de meilleurs salaires face à une inflation inégalée depuis 40 ans. Ils refusent aussi la remise en cause de leur couverture santé gratuite, de leur retraite et la réduction de leurs jours de congés payés. Notamment pour les nouveaux embauchés.

Les salariés de chez Kellogg’s, qui ont travaillé jusqu’à douze heures par jour sept jours sur sept au plus fort de la pandémie, ont fait grève pendant deux mois et demi dans quatre usines. Ils refusaient un système à deux vitesses où les jeunes embauchés gagnent 30 % de moins que les anciens ou n’ont plus de couverture retraite. Dans un contexte de relative pénurie de main-d’œuvre, ils n’ont plus eu peur des menaces de délocalisation au Mexique, mais surtout ils se sont battus pour des droits équivalents pour tous et ont réussi à faire reculer la direction de Kellogg’s même si le nouveau contrat signé par leur syndicat n’est pas très clair.

D’autres secteurs qui s’étaient déjà mobilisés depuis 2018, comme la santé, ont aussi fait grève, les hospitaliers de Buffalo par exemple, près de New York. Dans cette même ville de Buffalo, une équipe de jeunes a mené une lutte acharnée et victorieuse pour imposer le premier syndicat dans la chaîne Starbucks. Leur popularité est assez significative de l’état d’esprit de beaucoup de travailleurs américains qui en ont assez de subir et regardent le fait de se syndiquer d’un très bon œil.

La santé provocante des profits

Le fait que les profits cumulés des entreprises ait atteint 1 800 milliards de dollars au deuxième trimestre 2021, que le nombre de milliardaires soit passé de 614 à 745 entre mars 2020 et octobre 2021, leur richesse accumulée passant de 3 000 milliards à 5 000, joue forcément un rôle dans cet état d’esprit plus combatif. L’accroissement des inégalités est astronomique. La plupart du temps, et comme en France chez Decathlon ou Arkema, la colère venait de la base qui poussait les syndicats à appeler à la grève suite aux annonces de profits records en pleine période de Covid. Par exemple, le groupe de santé Kaiser a annoncé un chiffre d’affaires de 88,7 milliards de dollars en 2020.

Aux travailleurs essentiels qui non seulement ont pris tous les risques en allant au travail quoiqu’il en coûte pour leur santé mais aussi ont dû redoubler d’efforts pour pallier les absences, les licenciements et les cadences bien plus dures, on annonçait des augmentations ridicules et des droits dégradés pour les nouveaux embauchés ? Alors il y a eu comme une sorte de début de grève générale « désorganisée » selon les termes de Robert Reich, un ancien secrétaire d’État au Travail. Mais la poussée gréviste qui avait déjà commencé avant la pandémie s’étend désormais un peu au secteur privé. [2]

Ne rien attendre du Parti démocrate

Bernie Sanders, le leader de la gauche du Parti démocrate, qui avait fait des campagnes très offensives et populaires pour les primaires des présidentielles de 2016 et de 2020, mettant les problèmes de la classe ouvrière en avant et se disant ouvertement socialiste, avait fini par soutenir la candidature de Biden. Dans une interview au quotidien The Guardian ce 10 janvier, il a déclaré qu’il est temps de « se mobiliser et de s’attaquer à la cupidité de la classe dirigeante américaine ». Mais s’il soutient ceux qui luttent pour un meilleur avenir, il n’en sème pas moins beaucoup d’illusions en disant que son parti « a tourné le dos à la classe laborieuse » et en appelant à un « changement de cap » des démocrates. Le Parti démocrate a depuis toujours été inféodé aux intérêts des groupes capitalistes américains. Biden n’a « gauchi » son discours que pour faire écho aux mobilisations et mieux se faire élire.

Alors si les fausses promesses de Biden n’entament pas le moral des travailleurs américains et de la jeunesse révoltée par les dégâts du capitalisme, l’année 2022 ne sera pas seulement celle des élections de mi-mandat et des petits espoirs électoraux déçus, mais celle de luttes plus importantes, de prises de conscience face à la poussée des idées réactionnaires. Seules ces mobilisations peuvent imposer un vrai changement de cap aux États-Unis.

22 janvier 2022, Anne Hansen


[1Joe Manchin, sénateur millionnaire de Virginie occidentale, actionnaire dans les industries du charbon de son État, et Kyrsten Sinema, sénatrice de l’Arizona, adepte de l’entente avec le camp républicain qu’il ne faudrait pas « diaboliser », opposée également à la hausse du salaire minimum.

[2Pour plus de détails sur cette vague de grève, lire l’article de Kim Moody paru sur le site Spectre le 15 novembre 2021 : Les grèves de 2021 analysées dans leur contexte. Traduction sur le site Alencontre.

Lire aussi entre autres, sur le site de nos camarades de Speak Out Now : Workers At Kellogg’s End 11 Week Strike (Onze semaines de grève des travailleurs de chez Kellogg’s).

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