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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 136, février 2021

Politique étrangère de Trump et Biden : une différence de style mais pas de fond

13 février 2021 Convergences Monde

Les trois premières semaines de l’administration du président Démocrate Joe Biden aux États-Unis ont été saluées par la presse bon teint, notamment à propos de sa politique étrangère. Après le fracas de Trump, le New York Times ou le Washington Post retrouvent un semblant de normalité qui les comble. Cependant, si Biden rompt en partie avec certains choix tactiques de Trump et surtout avec son style tapageur, il continue sur le fond la même politique impérialiste de la première puissance militaire mondiale.

Ceux qui prétendent, ici en France, que Trump et Biden présentent deux conceptions opposées des relations internationales cherchent en réalité à défendre leur politique : les uns, fervents soutiens des institutions internationales telles qu’elles sont (OMC, FMI, Banque mondiale, Nations unies – différents « repaires de brigands » où se discutent les compromis entre exploiteurs impérialistes) insistent sur le fait que Biden permettra de « renouer avec le multilatéralisme ». Les autres, ceux qui défendent une ligne « souverainiste », en réalité nationaliste, de droite comme de gauche, mettent certes en garde contre les velléités guerrières du nouveau président qui a effectivement appuyé toutes les aventures militaires des États-Unis dans sa longue carrière politique, mais en viennent à regretter un Trump repeint en pacifiste isolationniste. Cette façon de voir, qui calque une opposition d’ailleurs bien discutable aux États-Unis entre « interventionnistes » et « isolationnistes » sur les fantasmes d’une polarisation politique entre « mondialistes » et « souverainistes » ici, empêche de comprendre la continuité profonde de la politique étrangère américaine.

Biden séduit l’establishment à peu de frais

Selon le Washington Post, journal de référence aux États-Unis, dans un éditorial de David Ignatius du 3 février : « Joe Biden a toujours été facile à sous-estimer […]. Biden est très loin d’être un président parfait. Mais après deux semaines, les signes disent qu’il se débrouillera. Et pour maintenant, c’est largement suffisant. »

Les premiers gestes de Biden ont consisté à revenir sur les mesures les plus contestées de Trump, retournant au statu quo d’Obama : retour des États-Unis dans l’accord de Paris pour le climat et dans l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les deux désertés en 2020 par Trump. Mais le retrait comme le retour des USA dans ces institutions est uniquement symbolique et formel : l’accord de Paris signé en 2016 pour réduire la production de gaz à effet de serre n’est pas contraignant, et l’OMS prodigue conseils et enquêtes mais chaque État décide dans son coin de sa politique sanitaire – même en pleine pandémie.

Biden a surpris son monde en décrétant que les États-Unis cesseraient de soutenir l’Arabie saoudite dans sa sale guerre menée au Yémen, revenant sur la politique de Trump, mais également celle d’Obama avant lui. Cette guerre monstrueuse a déjà tué plus de 200 000 personnes, engendré la plus grande épidémie de choléra de l’histoire et a amené le pays au bord d’une famine à grande échelle. Les États-Unis sont le principal fournisseur d’armes de l’Arabie saoudite. Cependant, le langage de Biden est ambivalent : il retire son soutien aux opérations « offensives » de l’Arabie saoudite, mais pas aux opérations « antiterroristes » et « défensives ». Autant dire que la marge de manœuvre reste large ! Pour mettre tout de même une certaine pression sur son allié saoudien, Biden a retiré les rebelles houthis de la liste des organisations terroristes. Peut-être le début d’un changement de ton vis-à-vis de la monarchie réactionnaire saoudienne, alliée historique des USA dans la région, mais certainement pas une rupture avec le soutien que lui apportait Trump comme tous ses prédécesseurs.

Biden dans les pas de Trump, ou d’Obama, ou les deux à la fois

Le nouveau président est revenu sur la politique de Trump consistant à faire baisser le nombre de soldats américains en Afghanistan : vingt ans après l’invasion, l’occupation américaine continue ! Biden a cependant confirmé la décision de Trump de choisir Jérusalem comme lieu de l’ambassade américaine en Israël. Comme son prédécesseur, il soutient le politicien vénézuélien d’extrême droite Juan Guaido qui avait raté son coup d’État contre Maduro. Même continuité à propos de l’Iran : Trump avait piétiné l’accord qu’Obama avait négocié avec le régime des mollahs. Biden refuse de retirer les sanctions qui affament les couches populaires iraniennes tant que l’Iran ne revient pas à l’accord initial – dont les USA se sont retirés… – une manière alambiquée d’entériner le geste de Trump.

Trump remettait en cause la politique étrangère « bipartisane », que Républicains et Démocrates appliquaient main dans la main, même lors des épisodes les plus aigus de « polarisation » dans les joutes politiciennes intérieures. S’il y a bien un domaine que la bourgeoisie de la première puissance impérialiste mondiale tient à préserver des logiques démagogiques électorales, c’est la politique étrangère ! Durant le mandat de Trump, il y a eu des moments de friction avec « l’establishment » sur la politique étrangère : le retrait des troupes de Syrie, la relation avec l’Otan, la démission de James Mattis comme secrétaire de la Défense. Dans un éditorial du New York Times intitulé « mettre fin à la crise nationale », Trump est décrit comme « un homme indigne du poste qu’il occupait » : « le mandat ruineux de Trump a endommagé les États-Unis du point de vue national et international. Nous avons critiqué son vandalisme du consensus post-guerre, un système d’alliance et de relations internationales qui a couté beaucoup de vies à établir et à maintenir. »

La remise en cause unilatérale – mais souvent uniquement symbolique – des alliances et politiques précédentes a été critiquée par les Démocrates et les Républicains. Le milliardaire avait une fâcheuse tendance à utiliser des sujets sensibles de politique étrangère pour se faire mousser, notamment sur Twitter, ce qui semblait crisper bien des décideurs de Washington, responsables devant la bourgeoisie. Mais la politique étrangère de Trump n’était en fait qu’une version plus crue, débarrassée du décorum idéologique classique, de la politique impérialiste de la première puissance mondiale. Biden tentera peut-être de remettre un vernis « libéral » sur cette domination impérialiste, à condition que la conjoncture le lui permette. Mais si de véritables menaces au leadership américain se précisaient, venant de concurrents capitalistes ou, bien plus dangereux, d’une mobilisation ouvrière et populaire, alors ce vernis serait immédiatement oublié.

L’impérialisme américain face à la Chine

Le développement fulgurant de la Chine, qui a contrasté avec le recul ou la stagnation des États-Unis dans les crises successives, financière en 2008 puis sanitaire cette année, a accru les tensions inter-impérialistes. La tentative de contenir et d’isoler la Chine, baptisée stratégie du « pivot vers l’Asie » sous Obama, a continué sous Trump, prenant la forme plus spectaculaire de la guerre commerciale.

Au second jour de l’administration Biden, la porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Emily Horne, a déclaré à l’agence de presse Reuters : « Le président Biden a hâte de travailler avec les leaders des deux partis pour que les États-Unis surpassent la Chine. »

Lors d’un échange téléphonique entre le président chinois Xi Jinping et Joe Biden, tous les sujets qui fâchent (Hong Kong, Taïwan et le Xinjiang) auraient été mis sur le tapis par Biden. À propos du Xinjiang, région autonome à majorité musulmane à l’ouest de la Chine, où un million de Ouighours sont enfermés dans des camps de rééducation, l’administration Biden, comme l’administration Trump, parle de « génocide ». Les États-Unis ont réaffirmé leur soutien à Taïwan, que Pékin considère comme une province sécessionniste qui lui appartiendrait, ainsi que leur attachement à la démocratie à Hong Kong. Des déclarations d’intention, d’autant plus belles qu’elles n’engagent à rien, mais qui embarrassent le rival chinois. Biden a également signé un ordre exécutif « Acheter américain », qui encourage le gouvernement américain à acheter des produits nationaux, très similaire au programme (raté) de Trump pour créer des emplois. Le nouveau président, comme ceux qui l’ont précédé, continue d’œuvrer, par la diplomatie parfois, par la force et la contrainte toujours, à maintenir la position dominante des USA dans le jeu impérialiste mondial, en tentant d’empêcher l’émergence d’une puissance à même de la lui contester.

Stan Miller


Sources :

https://jacobinmag.com/2021/02/joe-...

https://www.washingtonpost.com/opin...

https://www.nytimes.com/2021/02/10/...

https://www.tempestmag.org/2020/11/...

https://www.nytimes.com/interactive...

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