La Guadeloupe, un an après la grève générale : toujours debout contre la « pwofitasyon »
16 février 2010 Convergences Monde
La population de Guadeloupe a aussi été secouée à sa façon par le séisme en Haïti. Moins que d’autres, elle pouvait être insensible au sort tragique de ses voisins. Le passé commun, de l’esclavage et aussi de la révolte contre celui-ci, la langue très proche, le créole, héritée de cette oppression coloniale au profit de la même bourgeoisie française, la présence actuelle en Guadeloupe de nombreux Haïtiens ayant fui la misère de leur pays, en sont les raisons les plus directes. Sans oublier que toutes les îles de la Caraïbe sont situées dans des zones exposées – quelques jours après le 12 janvier, dans l’archipel de la Guadeloupe, un séisme a été ressenti, heureusement de faible amplitude, dont l’épicentre était situé entre Marie-Galante et la Désirade. Si cette actualité a pris – et c’est bien compréhensible – une grande importance, elle n’en efface pas une autre : un an pratiquement après le début de la grève générale de 44 jours en Guadeloupe et de 38 jours en Martinique, dans les « départements français » des Antilles, la population et les travailleurs en particulier, restent fortement mobilisés.
En Martinique pour le 5 février une grève d’avertissement (à l’heure où nous écrivons nous n’en connaissons pas encore le résultat) est appelée par le Collectif du 5 février (K5F, un cartel d’organisations syndicales et politiques) qui a dirigé le mouvement de l’an passé. En Guadeloupe, la manifestation du 9 janvier à Pointe-à-Pitre à l’appel du LKP, (le collectif de quarante-huit organisations qui avait pris la tête du mouvement en 2009), a mis à nouveau des milliers de manifestants dans la rue, pratiquement autant qu’en novembre dernier à l’issue de deux jours de grève générale.
Le mécontentement y a pris une nouvelle ampleur avec la décision d’une augmentation du prix de l’essence et du gazole de 4 centimes au 1er janvier, après une première augmentation en octobre de 6 centimes. Alors que les mouvements des socio-professionnels (un collectif de transporteurs) puis la grève générale de l’an dernier avaient contraint le pouvoir à décréter une forte baisse des carburants et à s’engager à ne procéder à aucune hausse avant d’avoir fait la transparence sur les prix pratiqués par la SARA, filiale de Total, qui dispose du monopole de la distribution. Le comble étant que celle-ci venait de percevoir de l’État 44 millions d’euros et devait encore en toucher 50… pour compenser les pertes qu’elle prétend avoir subies du fait de la grève générale.
Mais le mécontentement ne vient pas seulement de cette augmentation des carburants. Les accords signés en mars dernier qui avaient mis fin à la grève générale, en particulier les 200 euros, ne sont que partiellement respectés, et même systématiquement remis en cause et les paiements retardés. Patrons et État s’ingénient par exemple à inclure, contrairement aux accords, les primes et accessoires dans le calcul du seuil pour tous les salaires au dessous de 1,4 fois le SMIC, dans le but d’en exclure le maximum de travailleurs. D’un autre côté, après une baisse effective de certains produits qui ont rapidement disparu des étalages, les prix, en particulier ceux de l’eau, n’ont pas cessé d’augmenter.
Tout est fait pour reprendre ce qui a été acquis par la lutte – de la part des exploiteurs on ne pouvait pas s’attendre à moins – et se venger d’avoir été contraint à un recul retentissant, un évènement qui reste la fierté des travailleurs et de la population de Guadeloupe. Pas évident qu’ils y parviennent. En témoignent non seulement l’ambiance qui a encore régné dans les rues de Pointe-à-Pitre le 9 janvier dernier, et aussi la ferveur et l’enthousiasme dans les différents meetings locaux au cours de la semaine de préparation de cette manifestation.
Louis GUILBERT
Le pouvoir joue vainement des muscles…
C’est en pleine semaine de « la trêve des confiseurs » que les bruits sur l’augmentation du prix de l’essence avaient été lancés. Le 30 décembre, les organisations syndicales et les élus de l’archipel avaient été convoqués à la préfecture de Basse-Terre pour un semblant de concertation. Tous, à part Mme Michaux-Chevry – sénateur de la Guadeloupe, notable de l’UMP et mère de Marie-Luce Penchard l’actuelle ministre de l’Outremer – avaient exprimé leur refus de la mesure. En vain. Pratiquement au même moment, 500 gendarmes supplémentaires avaient débarqué en renfort en Guadeloupe, logés dans les hôtels aux abords des plages. La population avait pu contempler à loisir – pour beaucoup d’un œil goguenard – ces « mamblos » comme elle les dénomme, stationnant en petites escouades devant les lieux ou les carrefours les plus fréquentés, ou encore les voir passer et repasser dans des véhicules grillagés. Ajouté à ce « ballet bleu », une campagne dans les médias agitait le spectre d’un retour de la grève générale, dans l’espoir d’effrayer les gens avant la manifestation.
De fait le LKP avait déposé un préavis à partir du 9 janvier. Mais c’était davantage pour couvrir les salariés des entreprises qui se mettraient d’eux-mêmes en grève que dans le but de lancer un mot d’ordre auquel, pour le moment, la masse des travailleurs n’était pas encore prête. Qu’un tel mot d’ordre n’ait pas réellement existé ne signifie évidemment pas que, du côté du LKP, des travailleurs et de la population, on soit disposé à entériner le retour en arrière que patronat et pouvoir s’efforcent de mettre en œuvre. Mais, au contraire, qu’on se prépare à ne pas se laisser faire, en choisissant le moment et les moyens de la réplique.
Le point faible du mouvement de l’an dernier subsiste : jusque-là peu de progrès ont été faits dans la mise sur pied d’organisations de classe à la base et il reste encore de grands pas à franchir pour arriver à la construction d’un parti révolutionnaire, autant d’outils dont les travailleurs auraient bien besoin pour parvenir à supprimer toute « pwofitasyon », c’est à-dire toute exploitation. Pour mettre fin à la fois au capitalisme et aux séquelles de l’esclavagisme et de la colonisation, toujours douloureusement ressenties, il n’en faudra pas moins.
Toujours est-il que toute une partie de la classe ouvrière a été profondément remuée par les 44 jours de grève générale et, un an après, de nombreux travailleurs demeurent toujours mobilisés. Reste donc un grand espoir non seulement pour là-bas et pour toute la Caraïbe, mais aussi pour ici, en France, où les problèmes des travailleurs ne sont pas si loin de ceux des Antilles.
L.G.
Mots-clés : Guadeloupe