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Accueil > Les articles du site > À propos des vaccins contre le Covid-19 : La santé publique entre Big (...)

L’innovation des vaccins à ARN messager

Mis en ligne le 26 janvier 2021 Article Sciences

(Pour accéder au sommaire de la transcription de la réunion publique du 10 janvier 2021 sur les vaccins, cliquer ici)


Depuis le 11 mars 2020 et la déclaration par l’OMS de l’état de pandémie de Covid-19 jusqu’à l’approbation par le Royaume-Uni du vaccin développé par la startup BioNtech en partenariat avec le géant pharmaceutique Pfizer le 2 décembre 2020, il s’est écoulé moins de neuf mois. Soit un laps de temps bien inférieur non seulement au temps usuel pour développer et mettre sur le marché un nouveau médicament, mais également inférieur à ce qui avait été annoncé par de nombreux experts au début de l’épidémie, à savoir qu’il faudrait entre un et deux ans pour arriver à un vaccin fonctionnel. Forcément, tout cela interroge et on se demande bien comment on a pu arriver à ce résultat. Nous faisons donc le point sur les différentes questions qui se posent, notamment la manière dont est évaluée l’efficacité des vaccins, les raisons d’un temps de développement si court et les éventuels effets secondaires.

Une recherche qui remonte à 1995

Pour bien comprendre de quoi on parle quand on évoque les vaccins à ARN, rappelons qu’il s’agit de la première fois qu’on utilise cette technologie pour développer un vaccin destiné à être utilisé massivement [1]. Mais ça ne veut pas dire que cette technologie a été développée durant les derniers mois. En réalité, cela fait des années que des chercheurs, notamment issus du monde de la recherche universitaire, ont travaillé sur le développement de telles méthodes de vaccination (par exemple, Katalin Kariko travaille sur l’utilisation thérapeutique de l’ARN à l’Université de Pennsylvanie depuis 1995). En l’absence de maladie menaçant l’économie des puissances capitalistes, ni les gouvernements, ni les grands laboratoires pharmaceutiques ne voyaient l’intérêt d’investir là-dedans, malgré les nombreuses alertes des épidémiologistes depuis l’émergence des virus Sars en 2003 [2].

Pour l’heure, deux vaccins à ARNm

Si l’on revient sur les vaccins qui nous intéressent aujourd’hui, les vaccins à ARN développés par Moderna ainsi que par Pfizer/BioNTech, plusieurs ont été développés et testés par des essais cliniques avant de faire émerger un vaccin-candidat à ARN, le plus efficace. BioNTech, par exemple, a publié en octobre 2020 dans le New England Journal of Medicine, une des plus prestigieuses revues scientifiques médicales, un article sur les essais cliniques évaluant les risques et l’efficacité de deux candidats au vaccin à ARN. Et chacun de ces candidats présente un mécanisme d’action similaire mais diffère par l’ARN qu’il contient.

Les essais cliniques

Les essais cliniques sont une méthode scientifique qui a effectivement été mise au point afin de déterminer l’efficacité réelle d’une molécule sur un organisme. Cette méthode a pour but d’éliminer au maximum les biais dus à ce qu’on appelle l’effet placebo, ainsi que d’identifier les effets secondaires dus à cette molécule. L’effet placebo est un phénomène psychologique qui amène un individu à ressentir un effet bénéfique ou négatif à la suite de la prise d’une substance sans efficacité réelle, comme du sucre ou de l’eau.

Les essais cliniques les plus poussés et actuellement utilisés sont constitués de trois phases et réalisés par une méthode que l’on appelle « randomisée en double-aveugle ». C’est-à-dire que l’étude clinique est menée sur deux groupes dont les membres ont été répartis aléatoirement (d’où le terme « randomisé »). Un groupe recevra la molécule dont on cherche à tester l’efficacité et l’autre un placebo (donc sans substance active). Ni les personnes qui administreront le traitement, ni celles qui en sont destinataires ne savent si elles reçoivent la molécule ou le placebo. C’est pour cela qu’on parle de « double-aveugle ».

On regarde ensuite les différences de réponses entre les deux groupes. S’il n’y en a pas, c’est que la molécule n’a pas plus d’effet qu’un placebo. C’est également à ce moment-là qu’on va déterminer si le groupe qui a reçu le futur traitement a manifesté plus d’effets secondaires que le groupe placebo.

Cette procédure est répétée en trois phases :

  • La phase I a lieu sur un petit nombre de volontaires afin de voir s’il y a vraiment une action de la molécule.
  • La phase II a lieu sur quelques centaines de volontaires afin de déterminer la dose utile du traitement nécessaire.
  • La phase III a lieu sur un grand nombre de volontaires (plusieurs milliers) afin de valider l’efficacité du traitement et d’identifier les effets secondaires potentiels. Dans la phase III de l’essai clinique du vaccin de BioNTech, par exemple, chaque groupe comprenait plus de 18 000 volontaires, pour un total de plus de 36 000 participants (plus de 43 000 initialement, mais des profils de candidats ont été successivement « retoqués »).

Ces résultats sont ensuite publiés dans des revues scientifiques. Ces revues sont dotées d’un comité de lecture, constitué de scientifiques indépendants, qui vérifient le contenu de l’article et valident, ou non, sa publication. Le processus est très strict, et l’on peut donc être raisonnablement confiants dans le contenu des articles publiés, même s’il peut arriver qu’il y ait des erreurs, comme dans le cas de l’article sur l’hydroxychloroquine publié par The Lancet cet été.

Comment est évalué le pourcentage d’efficacité dans le cas du vaccin contre le Covid-19

Moderna et BioNTech ont tous les deux annoncé que leurs vaccins présentaient une efficacité d’environ 95 %. Cette efficacité a été mesurée en comparant combien de personnes avaient contracté le Covid-19 dans le groupe placebo par rapport au groupe ayant reçu le traitement.

Le chiffre de 95 % d’efficacité correspond en fait à la diminution du nombre de personnes touchées par la maladie après injection du traitement par rapport à ceux qui ont reçu le placebo. Pour le dire autrement : le nombre de patients tombés malades dans le groupe traité représentait 5 % du nombre de patients tombés malades dans le groupe placebo. Par ailleurs, non seulement le nombre de patients infectés était notablement plus faible, mais, de plus, le nombre de formes graves parmi les 5 % infectés a été diminué dans le groupe traité. On a pu voir également que le vaccin commençait à protéger à partir du 10e jour après la première injection (le groupe placebo commençait à avoir des Covid positifs, contrairement au groupe vacciné qui n’en a pas).

Malgré tout, quelques zones d’ombre

Malgré des résultats réels, les études publiées comportent quand même quelques zones d’ombre. Tout d’abord, on observe assez peu d’apparition de formes graves de la maladie dans les deux groupes, il est donc un peu difficile de conclure sur une diminution significative des formes sévères de la maladie au sein du groupe traité, en tout cas pour le vaccin de Pfizer/BioNTech. Celui de Moderna semble avoir plus d’impact là-dessus.

De plus, les populations les plus à risques de contracter une forme grave de la maladie ne sont pas fortement représentées dans les deux groupes. Ainsi, on observe seulement 1 600 patients de plus de 75 ans, sur 36 000 participants à l’étude, alors qu’ils représentent l’immense majorité des décès dus au Covid-19.

Ensuite, le seul facteur de comorbidité [3] présenté dans ces études est l’obésité ou le surpoids. On n’a donc aucune donnée non plus sur les populations avec d’autres facteurs de comorbidité, notamment sur les personnes avec des problèmes respiratoires, ou avec des allergies pré-existantes. Pourtant, ce sont toutes ces populations qui sont les cibles prioritaires de la stratégie de vaccination du gouvernement.

Par ailleurs, notons que, pour évaluer le nombre de malades, les laboratoires n’ont dépisté que les personnes qui présentaient au moins un symptôme respiratoire ou bien deux symptômes autres, cela afin de simplifier la procédure et de réduire les coûts. Si l’argument de la logistique se tient, il n’en demeure pas moins que cela nous prive de données précieuses concernant la réduction des cas asymptomatiques. En effet, d’après les dernières études faites dans le cadre de recherches systématiques de variants en France, il semblerait que 30 à 40 % des personnes ayant des PCR [4] positives sont asymptomatiques.

Il en va de même concernant l’impact sur la transmissibilité du virus, sur laquelle nous n’avons aucune donnée car cela aurait supposé tracer systématiquement les contacts des volontaires et les dépister. Ces deux aspects ont un impact important sur la stratégie vaccinale à mettre en place : si le vaccin réduit également le nombre de cas asymptomatiques ou du moins leur faculté à transmettre le virus, cela fait sens de vacciner également les populations jeunes qui ne présentent pas de risques particuliers, mais c’est moins clair dans le cas contraire. On sait quand même que la vaccination ou le fait d’être porteur d’anticorps spécifiques anti-Sars-Cov2 diminuera l’inoculum viral (cela veut dire que la quantité de virus présente dans les voies respiratoires est moins importante) et donc limitera la transmission du virus entre les individus.

Cela serait donc en faveur de vacciner aussi les personnes non à risque. Pour autant, on ignore si la contagiosité disparaît totalement ; si ce n’est pas le cas il faudrait toujours appliquer les gestes barrières et la distanciation physique.

Enfin, on ne connaît pas la durée de l’immunité conférée par ce vaccin. Est-ce que ce sera plus que quelques mois ou est-ce qu’il faudra se faire vacciner régulièrement, comme pour la grippe ?

La stratégie vaccinale du gouvernement

Sur la stratégie vaccinale du gouvernement, pas mal de personnels médicaux (et pas seulement !) sont assez critiques non seulement sur la capacité logistique à mettre en œuvre rapidement une vaccination massive, mais également sur les choix opérés. Par exemple, Véran et les autorités sanitaires ont décidé de vacciner en priorité les personnes âgées avec le vaccin Pfizer alors que l’étude n’a pas été menée sur un grand échantillon de cette population et qu’elle n’a pas montré une efficacité particulière dans la diminution de la survenue des formes graves de la maladie parmi les patients traités et qui ont quand même contracté la maladie. En revanche, le vaccin de Moderna serait plus efficace sur ce plan-là. Certains spécialistes pensent qu’il serait plus logique de le « réserver » aux personnes les plus à risque, ce qui n’est pas le cas actuellement. Mais encore une fois, c’est un débat entre spécialistes, sur lequel nous nous garderons de trancher.

Les intérêts financiers en jeu

On ne peut pas soupçonner les trusts pharmaceutiques de philanthropie. On ne compte plus les scandales sanitaires qui ont émergé ces dernières années, à l’image du Médiator. Cela signifie-t-il que les données sur les vaccins contre le CoViD ne sont pas fiables, et que les labos seraient susceptibles de cacher des informations ?

L’impératif du profit pose en effet de nombreux problèmes dans le développement des traitements, et les multiples conflits d’intérêts qui existent entre le monde médical et les trusts pharmaceutiques ont provoqué des désastres, qui ont écorné la confiance dans la science en général et dans la recherche médicale en particulier. Dans le cas présent, les zones d’ombres dans les études s’expliquent certes en partie par des difficultés techniques à évaluer l’impact sur les populations à risque et sur la transmission, mais il est vrai que Pfizer n’a pas non plus cherché à pousser les investigations outre-mesure. En effet, le protocole d’évaluation de l’efficacité du vaccin est élaboré par les entreprises elles-mêmes. Même si les données sont ensuite transmises aux autorités et vérifiées puis publiées par des revues scientifiques, cela permet de laisser des zones d’ombres qui rendent plus difficile l’élaboration d’une stratégie vaccinale cohérente.

D’autant que, dans le cas de Pfizer, l’entreprise s’oppose à la menée d’études indépendantes qui viseraient à évaluer ces paramètres avant l’autorisation de mise sur le marché, craignant que cela induise des retards et donc des pertes [5]. Ce n’est pas faute de volontaires, puisque l’Inserm se tient prêt depuis octobre à mener de telles études.

Plus généralement, ces multinationales rechignent à fournir les données au fur et à mesure, pour contrôler au mieux leur communication. En effet, les diverses annonces ont un impact très important sur les envolées boursières. Par exemple, l’annonce de l’efficacité des vaccins en novembre dernier a provoqué un bond de la valeur boursière de 7,7 % de Pfizer, de 15 % pour BioNTech et de 9,5 % pour Moderna. Cela pousse ces groupes à publier leurs données de manière anticipée via de simples communiqués de presse, sans attendre les publications scientifiques. En outre, la publication de ces résultats a exercé une forte pression sur les négociateurs des États : si les vaccins fonctionnent, on ne peut plus attendre pour commander des doses, quand bien même l’évaluation scientifique des données aurait fini par conclure à une efficacité moindre.

On peut d’ailleurs noter que les dirigeants de ces groupes, eux, ne se sont pas oubliés au passage et savent très bien profiter des réactions à leurs annonces se traduisant par des hausses en bourse. Albert Bourla, PDG de Pfizer, a ainsi vendu pour 5,6 millions de dollars d’actions, le jour de l’annonce de l’efficacité du vaccin. Le PDG de Moderna a également engrangé le pactole en vendant pour 50 millions de dollars d’actions.

Cependant, le déploiement d’un vaccin reste très encadré

Il est difficile pour les laboratoires de tricher avec les données, notamment en ce qui concerne les effets secondaires, puisqu’elles sont contrôlées par des équipes indépendantes et publiées dans des revues à comité de lecture. On peut donc être raisonnablement confiants quant à l’efficacité du vaccin pour réduire les formes graves de la maladie et sur l’absence d’effets secondaires sévères à court et moyen termes. De plus, au vu des enjeux, les données ont été vérifiées très scrupuleusement, y compris par les chercheurs des laboratoires concurrents.

Comment expliquer que ces nouveaux vaccins à ARNm aient pu être mis au point en deux fois moins de temps qu’estimé initialement et en dix fois moins de temps que les vaccins traditionnels ?

Premièrement, comme on a pu l’évoquer précédemment, la phase de recherche et développement de ces nouveaux vaccins avait déjà été anticipée par la recherche publique, universitaire, il ne restait plus qu’à passer à une dimension de production industrielle. Le temps économisé à ce niveau est déjà relativement important. Par comparaison, le vaccin en cours de développement par Sanofi, et qui repose sur une stratégie thérapeutique « classique », pas sur la méthode à ARN, est annoncé pour fin 2021. Ce qui est bien plus cohérent avec les délais évoqués initialement.

Deuxièmement, l’aspect administratif des phases d’acceptation des vaccins a été largement raccourci. Ces vaccins sont passés en priorité devant tous les autres traitements en attente de validation par les différentes agences de surveillance pharmaceutique.


[1Voir « Le point sur les vaccins et la vaccination »

[2En 2009, il y a bien eu une campagne de vaccination massive contre la grippe H1N1, mais l’échec de celle-ci, faute d’épidémie effective, a d’autant plus refroidi les gouvernements de miser sur ce genre de stratégies.

[3Les comorbidités sont les maladies associées qui peuvent engendrer une réaction plus sévère au Covid-19.

[4Les tests RT-PCR, acronyme anglaise signifiant amplification en chaîne par polymérase après transcriptase inverse, permettent la détection de l’ARN viral et la mesure de la charge virale par PCR, c’est-à-dire amplification d’une très faible quantité d’acide nucléique qui est multipliée in vitro par un facteur de l’ordre du milliard.

[5Voir l’article de Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/fr...

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